Hommage à Tariq Abdul-Wahad : retour sur le parcours à part d’un pionnier du basket français
Le 03 nov. 2018 à 15:27 par Pierre Andrieux-Laclavetine
Si la NBA est aujourd’hui une Ligue plus mondialisée que jamais, c’est en grande partie grâce aux différents pionniers internationaux qui ont pavé la voie aux jeunes de leur pays et montré que le rêve américain n’était pas inaccessible. On parle de piliers comme Hakeem Olajuwon pour le continent Africain tout entier ou Vlade Divac pour la Serbie, ces précurseurs sont des grandes stars dans leur région natale et dans le monde entier. Mais qu’en est-il pour la France ? L’Hexagone est une vraie terre de basket, mais si la liaison entre NBA et patrie bleu-blanc-rouge est si proche, c’est aussi grâce au véritable pionnier français, au premier joueur tricolore qui a réussi à se faire une place chez l’Oncle Sam, Tariq Abdul-Wahad. Premier Français a avoir foulé un parquet NBA, Tariq fête aujourd’hui son anniversaire : c’est donc l’occasion idéale pour faire un retour sur le parcours du joueur.
Comme de nombreux observateurs de longue date le savent, Tariq est né Olivier Saint Jean, le 3 novembre 1974 à Maisons-Alfort dans le Val de Marne, de parents Guyanais. Sa formation basket débute à l’ALM Évreux en 1990 où il fait ses preuves et devient même champion d’Europe Juniors avec l’équipe de France en 1992 avant de faire le grand saut et d’emmener ses talents outre-Atlantique, un an plus tard, en 1993. Forcément, on se bouffe les doigts au pays, car on se demande si TAW va être capable d’atteindre la fameuse NBA, encore pas mal fermée aux joueurs européens à l’époque. C’est à la prestigieuse université de Michigan qu’Abdul-Wahad dépose ses valises. Mais chez les Wolverines, l’ailier-fort a d’abord du mal à se faire une place. Question d’adaptation, de rythme, de changement, lors de sa première année, il tourne à 3,6 points, 2,3 rebonds, et 0,5 passes en 13 minutes par match. Et après avoir disputé 32 matchs en tant que freshman, Tariq ne joue que 4 rencontres la saison suivante. Disons qu’à ce moment-là, on n’a pas trop prévu de parler de pionnier du basket français en NBA…
Mais n’ayant jamais réellement trouvé sa place dans l’équipe de Michigan, le Frenchie rejoint alors les Spartans de la fac de San Jose State en Californie. Bien plus modeste, cette université ne peut pas offrir une bourse au joueur, qui, en grand bosseur qu’il est, fait la plonge à côté de ses études et son emploi du temps sportif. Oui, le tout premier tricolore à avoir foulé les parquets de la NBA nettoyait très probablement des assiettes en rêvant de finir une contre-attaque devant des milliers de spectateurs, au sein de la plus grande Ligue au monde. Le travail paie pour Abdul-Wahad, et c’est cette période de sa carrière, de 1995 à 1997 qui marque un tournant dans sa vie de sportif, mais d’homme également. Olivier Saint Jean s’appelle désormais Tariq Abdul-Wahad à partir de 1996, après s’être converti à l’Islam, choix qui aura eu beaucoup d’impact sur la carrière du joueur. L’ailier trouve ainsi sa place chez les Spartans et termine la saison NCAA 1996-97 en compilant 23,8 points et 8,8 rebonds de moyenne, faisant de lui le septième meilleur marqueur du championnat. C’est après cette dernière saison universitaire à San Jose qu’Abdul-Wahad décide de se présenter, avec confiance, à la Draft 1997. C’est donc pépère, aux côtés de Tim Duncan, Chauncey Billups ou encore Tracy McGrady, que le premier compatriote à jouer en NBA est appelé par David Stern.
En effet, Tariq est sélectionné en onzième position par les Kings, le troisième plus haut choix pour un joueur européen à l’époque derrière l’Allemand Detlef Schrempf (8ème) et le Néerlandais Rik Smits (2ème). C’est à Sacramento que le rêve NBA de Tariq débute. Ses débuts le forcent d’ailleurs à faire évoluer son jeu, la densité physique de la Ligue l’entraînant à jouer plutôt ailier voire arrière, Tariq arrive tout de même à faire parler ses qualités athlétiques (1,02m de détente sèche) et se mue petit à petit en un spécialiste défensif. En concurrence avec Mitch Richmond, TAW ne joue pas énormément lors de sa saison rookie qu’il termine à 6,4 points et 2 rebonds en 16 minutes par matchs et 59 rencontres jouées. Mais le natif du Val-de-Marne profite tout de même de l’absence de Richmond pour planter son career-high de 31 points face aux Grizzlies (de Vancouver à l’époque). Tariq passe ensuite l’été 1998 avec l’équipe de France (de basket, hein) et obtient sa première cape le 9 juillet à Vittel face à l’Allemagne. Y’a un début à tout.
La saison suivante est écourtée par le lock-out en NBA, mais le Français, alors sophomore, n’en à rien à faire : il se montre et tourne à environ 9 points et 4 rebonds dans ce qui va être sa dernière année à Sacramento. En effet, Abdul-Wahad est transféré en 1999 à Orlando où il sera coaché par un certain Doc Rivers, et avec succès initialement parlant. Auteur d’une saison réussie (sa meilleure en carrière), Tariq verra son ascension malheureusement brisée par un transfert à Denver, où il ne s’épanouira finalement jamais, bien qu’il y deviendra le sportif tricolore le mieux payé de l’époque en signant un contrat de 43 millions de dollars sur 7 ans. Les sous sont là, mais où est l’épanouissement basket ? De nouveau échangé vers Dallas en 2002, Abdul-Wahad, alors gêné par des pépins physiques au genou notamment et une densité énorme de l’effectif chez les Mavericks, ne disputera alors que 18 matchs dans le Texas avant d’être définitivement placé sur la liste des blessés. Après divers bras de fer avec Mark Cuban et la franchise, le joueur sera libéré de son contrat longue durée en 2005. La carrière NBA de Tariq laisse un sentiment mitigée, tout comme son histoire compliquée avec l’équipe de France, pour laquelle il a disputé 45 sélections. Nombreuses sont les raisons qui ont empêché TAW d’être l’icône qu’il devrait être, que ce soit des conflits internes et publics au sein de la sélection nationale ou encore une relation difficile avec les médias. Mais il est une chose qui reste indéniable et qu’on a tendance à trop souvent oublier : Abdul-Wahad, qui coach aujourd’hui dans un lycée de la banlieue de San Francisco, est le véritable pionnier tricolore en NBA, et restera à jamais le premier. Comme on dit vers le Vieux-Port.
Difficile de se pencher davantage sur cet immense précurseur du sport français tant Tariq se fait discret aujourd’hui. Peut-être n’a-t-il pas eu l’impact culturel sur le long terme d’un Olajuwon ou d’un Divac. Peut-être n’a-t-il pas eu le statut d’un Tony Parker élevé au rang de patron du basket tricolore. Mais Abdul-Wahad n’en reste pas moins un grand sportif de l’histoire de France, qui aura ouvert les portes à tous les adolescents rêveurs de l’époque. Et pour concentrer tout ça dans un seul mot, on en connaît un : merci. Merci Tariq.