Génération Stephen Curry : comment se baser sur un phénomène, pour construire l’avenir ?
Le 30 déc. 2015 à 18:55 par Bastien Fontanieu
Si la NBA et ses apôtres sont littéralement agenouillés devant les performances du pyromane de Golden State, c’est surtout la suite qui nous intéresse, notamment l’héritage identitaire déposé par Stephen Curry. Car comme le diraient certains avec plus ou moins de tact : attention aux générations futures…
« Il fait du mal au basket d’une certaine manière. Ce que je veux dire par là c’est que lorsque je me rends dans des lycées, j’ai remarqué que ces jeunes couraient tous jusqu’à la ligne à trois points pour prendre un tir. Tout le monde n’est pas Steph Curry. Il faut d’abord travailler sur d’autres aspects de son jeu. »
Les propos étaient maladroits. Le timing ? Mal choisi. Et le contexte surtout, trop instable pour se permettre ce type d’envolée lyrique. Mark Jackson, ex-coach des Warriors et donc du meneur à gueule d’ange, s’est lâché le soir de Noël, en affirmant que le numéro 30… faisait mal au jeu. Un saut déjà bien mal engagé du plongeoir, malheureusement rattrapé d’aucune manière concevable si ce n’est avec un énorme plat, puisque les habitants de la planète basket se sont offusqués devant les propos du commentateur. Et comment leur en vouloir ? En terme d’attraction, de spectacle et d’efficacité, Curry représente une tornade comme on en a rarement vu, un phénomène qui rassemble tous les fans de basket et provoque même la curiosité des non-initiés. C’est simple : aujourd’hui, montrer des highlights de Stephen à sa famille ou à des proches qui ne connaissent rien aux règles peut quand même chatouiller leurs émotions. C’est ce mélange de culot, d’absurdité, d’efficacité et tout simplement d’esthétisme qui rend le joueur aussi populaire, aussi adoubé, aussi… beau, tout simplement. On s’émerveille devant ses échauffements, on garde le silence face à ses éruptions, on monte sur la table-basse lorsqu’il humilie un adversaire. Tout ça, c’est l’expérience actuelle proposée par l’enfant aux mains d’or. Mais notre but ici ne sera pas de soutenir Mark Jackson dans ses propos, loin de là. Face au clavier, les pensées se mélangeant afin de délivrer le message le plus clair possible, l’objectif principal sera de respecter la réponse de Curry, ce demi-pardon public dans lequel le MVP en titre affirmera la phrase suivante. Probablement la plus importante.
J’aurais simplement aimé qu’il formule sa phrase un peu différemment.
Ding dong. On arrive. Difficile de s’attribuer le titre d’avocat en faveur de Jackson, surtout quand on connaît son entêtement et sa capacité à communiquer maladroitement. Mais en toute honnêteté ? Il y a beaucoup de vrai dans ce que ce dernier a évoqué, beaucoup de sensé. Une pulpe compliquée à aller chercher pour certains, mais qui peut être avancée et s’expliquer en regardant quelque peu… en arrière. Et notamment les générations qui ont suivies les phénomènes marquant dans l’histoire de la NBA. En premier lieu, Allen Iverson. Non, ce n’est certainement pas ici que vous allez lire des séquences écrites comme ‘A.I a défoncé le jeu, il a ruiné la Ligue et tout le monde en voit les conséquences aujourd’hui puisque l’économie mondiale est dans le rouge pourpre.’ Le lutin génial des Sixers fût probablement responsable du dernier gigantesque raz-de-marée imposé à la NBA, ce type de vague inarrêtable qui transporte toute une génération de fans et bouleverse les codes préconstruits. Iverson, c’était le représentant idéal d’un virage immense dans la société de l’Oncle Sam, lui aussi. Le hip-hop en ascension fulgurante, les tatouages par douzaines, le débarquement du playground et des mixtapes And-1, une grand gueule pleine d’affirmations osées, des fringues extra-larges et un culot aussi large que son coeur : Allen était un petit ouragan qui servait d’aimant pour les fans, un type aux dimensions normales mais qui attirait justement par sa normalité, totalement… anormale. Cependant ? D’un point de vue purement sportif, la génération qui suivra la pépite formée à Georgetown heurtera de nombreux joueurs, des carrières qui auraient pu vendre autant de rêve si la compréhension et la structure avaient été plus solides.
Dajuan Wagner, Sebastian Telfair, anyone ? Dans le genre petite pile capable de scorer à outrance mais dribblant pendant des siècles et des siècles, amen. Le premier (photo ci-dessus) est probablement un des plus beaux représentants de cette tendance post-phénomène, ce ‘certain degré’ mentionné par Mark Jackson concernant Stephen Curry. Car du talent, Dajuan en avait plein les mains, Sebastian aussi. Fans d’Iverson de la première heure, comme de nombreux joueurs qui arpentent la Ligue aujourd’hui, les deux garçons furent draftés dans les hauteurs de leur cuvée pour leur capacité à tout simplement suivre la tendance, reproduire le modèle mis en avant. Sans vouloir manquer de respect à l’immense carrière du numéro 3 des Sixers qui comporte bien plus que ces deux simples aspects, lâcher des cross sensationnels et pouvoir dribbler parmi 5 joueurs était ‘à la mode’ à l’époque. Mesurer moins de 195 centimètres et avoir un sale caractère, également. Et c’est là, sur ce point précis, que les propos tenus par Jackson prennent un peu de sens, ou du moins méritent d’être reformulés. Oui, hélas, de nombreux jeunes pensent déjà pouvoir jouer comme Stephen Curry en se rendant directement derrière la ligne à trois-points, regardant -comme nous tous- avec émoi la facilité déconcertante dégagée par le meneur des Warriors. Non seulement cette génération est déjà en construction, avec de futurs croqueurs fantastiques, mais elle frappera de plein fouet une NBA de plus en plus portée vers le tir à distance. Sauf si…
Sauf si le représentant lui-même de cette génération, c’est-à-dire Stephen, prend à coeur son héritage, ce qu’il semble déjà faire via ses propos ou son image. Une phrase qui aurait pu faire toute la différence dans le discours de Mark Jackson, ressenti comme bien plus hostile et pessimiste que prévu, alors que l’homme doit probablement être dans le même état que nous devant les performances fabuleuses du meneur. Certains détesteront lire la phrase suivante, surtout quand on connaît la rivalité naissante entre les deux hommes, mais LeBron est en grande partie responsable du nettoyage exceptionnel qui a été effectué en NBA, le cyborg d’Akron montrant un attrait exemplaire pour la polyvalence, l’excellence des deux côtés du terrain et le partage de balle. Si le meilleur joueur de notre Ligue préférée était un enfoiré de première, uniquement intéressé par les points marqués et totalement désintéressé par son devoir de transmission, on serait tous dans une belle merde. Sauf que James a agit pendant des années avec la même rectitude, agressant certes de nombreux passionnés en trahissant sa région pour aller gagner deux titres en Floride… mais rentrant ensuite à la maison pour aborder son plus beau et grand challenge. L’a-t-il fait par envie de bien faire ? De montrer l’exemple ? Ou par simple esprit de compétition ? Chacun son histoire, chacun son interprétation. Mais devant une passation de pouvoir qui se profile doucement et sûrement, LeBron et Curry se rendant coup pour coup au sommet de la pyramide ronde et orange, cette obligation de ‘bien paraître’ et ‘bien agir’ sera intéressante à observer, le meneur de Golden State montrant déjà toutes les qualités prérequises pour conduire le porte-avion qu’est la NBA.
J’ai compris où il voulait en venir. Les enfants qui nous regardent et qui me regardent en particulier essayent de reproduire les mêmes choses. Mais tout est une question d’entraînement, de routine et de répétition pour arriver à ce niveau. Il ne faut surtout pas oublier cela. J’aurais simplement aimé qu’il formule sa phrase un peu différemment. J’essaye d’inspirer les gens pour les forcer à voir le jeu d’une autre manière, toujours positivement. Je comprends ce qu’il a voulu dire, j’y vois même un compliment. Le connaissant personnellement, je pense que c’est ce qu’il voulait essayer de dire. »
Voilà qui servira déjà d’exemple, et de plateforme sur laquelle se baser pour les mois comme les années à venir. Car en voyant le chantier réalisé par Stephen Curry et sa franchise ? On n’est pas prêt de le voir tomber de sitôt. Une aubaine fantastique pour le jeu, une vitrine remarquable pour notre sport, mais qui devra être solidifiée en agissant aussi bien sur comme en dehors des terrains, balle comme micro en main. Le cas échéant, les propos de Jackson pencheront vers la pertinence. Aussi maladroitement ceux-ci furent exprimés.
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