Ruby Gobert, de l’ombre d’Enes Kanter à la lumière du All-Star Weekend
Le 18 févr. 2015 à 17:24 par David Carroz
En mesurant 2m18 et en proposant une envergure de 2m36, difficile de passer inaperçu. Pourtant, on a l’impression que les Américains n’ont découvert Rudy Gobert que lors du Rising Stars Challenge où il a crevé l’écran. Il faut dire que le Jazz n’est pas l’équipe la plus médiatique de la Ligue, malgré de nombreux jeunes à gros potentiel. C’est parmi eux que le Français progresse, alors que tout n’était pas si facile à son arrivée dans l’Utah.
Seulement 45 matches sans aucune titularisation, de nombreux voyages en D-League, la première saison de Rudy Gobert à Salt Lake City est tout sauf une balade. En même temps, avec Enes Kanter et Derrick Favors, le frontcourt du Jazz possédaient déjà deux jeunes joueurs talentueux qui connaissaient bien mieux la Ligue que notre Frenchie. Mais il ne baisse pas les bras et s’accroche, en bossant dur, confiant en ses capacités.
J’ai beaucoup de fierté. J’ai été drafté en 27ème position, mais je savais que j’aurais dû être drafté plus haut. Chaque jour, j’essaie de leur faire regretter de ne pas m’avoir choisi. – Rudy Gobert.
Pas facile sans jouer… Son heure vient cet été, tout d’abord lorsqu’il participe à la Summer League de Las Vegas, durant laquelle il compile 11,8 points, 9,8 rebonds et 2,5 contres en 23,8 minutes, bien au-dessus de ses standards de sa saison rookie (2,3 points, 3,4 rebonds et 0,9 contre en 9,6 minutes). Ensuite, il profite des nombreux désistements et forfaits chez les Bleus pour gagner du temps de jeu en équipe de France durant le Mondial. Temps de jeu qu’il met brillamment à profit jusqu’à son quart de finale monstrueux face à l’Espagne des frères Gasol. S’il ne marque que 5 points lors de cette rencontre, il gobe 13 rebonds et surtout réalise un contre mémorable sur Pau en fin de match. En France, la hype Gobert est née, peu importe si ses deux prestations suivantes sont moins convaincantes : l’irrégularité fait partie de l’apprentissage, mais nul doute que le potentiel est là. Comme quoi, une compétition internationale, c’est peut-être mieux que passer un été enfermé au gymnase à s’entrainer pour progresser…
Quin Snyder a lui aussi apprécié l’été de son nouveau poulain. Alors qu’il vient de remplacer Tyrone Corbin à la tête du Jazz, il sait que son rôle va être principalement de développer le talent de ses jeunes joueurs et de leur permettre d’atteindre leur potentiel. S’il ne considère pas Rudy Gobert comme un titulaire, il compte bien se servir de sa taille et de son envergure dans ses rotations en l’utilisant derrière Kanter et Favors. Le Français répond présent, et au fur et à mesure que la saison avance, il grappille des minutes, profitant de chaque occasion pour prouver qu’il mérite plus. Snyder s’en rend compte et n’hésite pas à augmenter son temps de jeu ou à le mettre titulaire lorsque l’un des intérieurs du 5 est sur le flanc. Ainsi, après un mois de novembre timide (4,9 points, 4,6 rebonds et 1,7 contre en 15,8 minutes), il monte en puissance en décembre (6,6 points, 8,3 rebonds et 2 contres en 21,7 minutes) avant de prendre définitivement son envol courant janvier (9,4 points, 9 rebonds et 3,1 contres en 27,6 minutes).
À tel point que son coéquipier mais rival pour le poste de pivot souhaite quitter le Jazz. Ne soyons pas trop chauvins non plus, le fait que Rudy Gobert prenne des minutes à Enes Kanter est surtout la goutte d’eau qui a fait déborder le vase pour le Turc. En effet, celui-ci attend depuis bientôt deux ans d’avoir des certitudes sur son rôle et son temps de jeu, sans que la franchise de Salt Lake City n’ait été claire avec lui. En outre, alors qu’il était éligible pour une prolongation de contrat l’été dernier, aucun accord n’a été trouvé entre les deux parties – si ce n’est celui d’attendre et voir – et il se retrouvera donc agent libre avec restriction en juin. Pourtant, avec 13,8 points à 49,1% (31,7% de loin) et 7,8 rebonds en 27,1 minutes, le troisième choix de la Draft 2011 montre également de belles choses, en particulier offensivement.
Un apport qu’on a tendance, en tant que Français souhaitant voir Gobert réussir, à sous-estimer, surtout que l’intérieur n’a pas encore 23 ans. Si on ramène ses statistiques à 36 minutes, on arrive tout de même à 18,4 points et 10,4 rebonds. Des performances qui placent Kanter dans un cercle restreint avec 7 autres pivots (ou joueurs pouvant évoluer à ce poste), proposant aussi bien ou presque sur un tel temps de jeu : DeMarcus Cousins (24,8 points et 13 rebonds sur 36 minutes), Anthony Davis (24,7 et 10,4), Pau Gasol (18,9 et 12,5), Dwight Howard (18,3 et 12,3), Greg Monroe (18,3 et 12,4), Nikola Vucevic (20,6 et 11,8) et Hassan Whiteside (18,4 et 15,8). Pas mal comme compagnons, non ?! C’est pour cela que malgré se frustration et sa demande de trade, Utah ne veut pas le laisser partir sans une belle contrepartie. Pour l’instant, car le salary cap pourrait avoir raison du trio Kanter-Favors-Gobert, l’un d’eux devra quitter le navire dans le futur. Favors étant lié jusqu’en 2018, le choix se fera entre les deux pivots. Malgré son bon rendement, le Turc parait moins indispensable que par le passé du fait des progrès du Français qui est devenu, en quelques temps, l’un des protecteurs de cercle les plus réputés de la Ligue. C’est ainsi que d’improbable il y encore deux ou trois mois, le départ d’Entes Kanter n’est plus une utopie, lui qui ne possède absolument pas les qualités défensives de Rudy Gobert.
Car le Frenchie semble aujourd’hui prêt à embrasser un rôle plus important, et ses dernières prestations rendent donc la demande de départ de Kanter moins préjudiciable qu’elle l’aurait été l’an dernier. Aussi talentueux soit-il, l’ancien troisième choix de la Draft ne pourra jamais apporter autant que Gobert en défense, et le seuil du Français semble désormais un peu plus élevé que celui de son rival.
Actuellement, les voyants sont au vert pour le pivot formé à Cholet. Ses coéquipiers l’apprécient et sa confiance est au plus haut. Si certains peuvent prendre cela comme de l’arrogance, cette attitude est mieux perçue de l’autre côté de l’Atlantique, où son regard lancé à Nerlens Noel après l’énorme contre lors du Rising Stars Challenge a parfaitement illustré son état d’esprit. Le joueur de Philly a été pris 21 places avant Rudy Gobert lors de la Draft, et le pivot du Jazz ne l’a pas oublié.
En tant que joueur, vous devez avoir ce type de comportement. Vous devez être confiant en vos capacités et sur ce que vous pouvez faire. Et c’est son cas. – Trey Burke.
Rudy Gobert ne doute pas, et ce ne sont pas les propos de Scottie Pippen qui le voit All-Star d’ici 2 ou 3 ans qui vont changer son état d’esprit. Désormais cité aux côté des Roy Hibbert, Andrew Bogut, DeAndre Jordan ou Tyson Chandler parmi les meilleurs protecteurs de cercle de la Ligue, il se permet même le luxe de les surclasser. En effet, parmi les 36 joueurs NBA faisant face à au moins 7 tirs au nivaux du cercle par match, il est celui qui concède l’adresse la plus faible, avec seulement 37,8% de réussite pour son adversaire, suivi d’Andrew Bogut avec 41%. Même Anthony Davis (48,7%) et Serge Ibaka (41,1%) ne peuvent pas lutter (statistiques NBA.com). Lorsqu’il est sur le parquet, la défense du Jazz prend 7 points de moins pour 100 possessions. Vous en voulez encore ? Lors de ses 8 titularisations, il a proposé 8,8 points, 8,6 rebonds, 1,3 interception et 3,9 contres. Seuls Kareem Abdul-Jabbar (1,5 steal et 4,1 blocks en 1976), David Robinson (1,5 et 3,9 en 1991 et 2,3 et 4,5 en 1992) et Hakeem Olajuwon (4 fois entre, de 1989-90 à 1992-93) ont su réaliser une saison avec de telles statistiques défensives. Certes, l’échantillon pour Rudy Gobert est trop réduit pour être significatif, mais il peut laisser rêveur.
Tout comme sa prestation lors du Rising Stars Challenge. Avec 18 points, 12 rebonds et 3 contres, il s’est donc offert une sortie médiatisée pour son plus grand plaisir.
C’était génial pour moi de montrer ça à certains fans de la NBA qui me ne connaissement probablement pas, qui ne regardent probablement pas souvent le Jazz d’Utah. C’était une bonne occasion de leur donner la possibilité de me connaitre. – Rudy Gobert.
Et pour ceux comme nous qui l’avions déjà vu, c’était une preuve de plus qu’il pouvait sortir du lot.
Attention cependant, briller dans un match de gala ne signifie pas plus que cela. Même s’il y a eu la manière pour sortir ses belles stats, il faut maintenant confirmer lorsque ça compte. Trey Burke croit en son pivot, en pensant qu’il peut devenir bon en NBA. Rudy Gobert le sait et il le dit. Et s’il l’était déjà ?
Source image : www.dailyhoops.nl et ballislife.com, montage TrashTalk