Débat entre passionnés : Dirk Nowitzki est-il responsable du manque de jeu intérieur en NBA ?

Le 27 mars 2014 à 17:56 par Bastien Fontanieu

Depuis des années, les puristes de la balle orange semblent se retrouver sur un point important du jeu qui -hélas- ne devrait pas changer dans les semaines à venir : la disparition des vrais joueurs intérieurs traditionnels. Seulement, pourquoi en sommes-nous arrivés là, et comment remédier à cette soudaine mutation des géants ?

Ils sont désormais partout. On peut ne pas s’en apercevoir au quotidien, mais leur présence est indéniable parmi nous. Ils sont grands, immenses même, et font comme si de rien n’était. Avant, on les appelait poteaux, tiges, voir sacs de viande. Aujourd’hui, on les prénomme Dirk Nowitzki, Kevin Durant, voire Andrea Bargnani. Les plus grands joueurs au monde ne sont plus de simples intimidateurs défensifs aux longs bras, ce sont des athlètes complets capables de scorer de n’importe où sur un parquet. Et même si nous méritons instantanément une centaine de coups de fouet pour avoir mentionné Barilla aux côtés de deux légendes du jeu, l’Italien reste le premier à être concerné par la question suivante : pourquoi avoir quitté le jeu intérieur ?

Flash-back, 1992. Disons qu’à cette époque, Jordan domine la Ligue sans merci et l’Université de Michigan souhaite faire la même en NCAA. Les potes de Chris Webber ont pour obsession de suivre la révolution culturelle véhiculée par le hip-hop et décident de changer fondamentalement les règles du jeu. Chaussettes noires et baggy-shorts débarquent alors dans le game, tout le monde les aime et tout le monde les déteste à la fois. Seulement, durant cette année pleine d’évènements épiques dans le monde de la balle orange, un phénomène étrange prendra place : son nom, c’est Charles Barkley. S’il serait aussi idiot de désigner Chuck comme étant responsable du changement des traditions intérieures que de donner à Derrick Rose le statut de pionnier dans la déception à échelle mondiale, il ne faut cependant pas oublier l’impact du boulot réalisé par Barkley pour comprendre ses conséquences futures. Et en premier lieu Webber, qui comme un certain Shaquille O’Neal avouera avoir voulu apprendre à dribbler en voyant Sir Charles enchainer les coast-to-coasts à Phoenix comme à Philadelphie, et surtout avec la Dream Team. Barkley, c’est ce petit tas qui réalise ce que personne n’a fait auparavant : jouer à l’intérieur, mais avec les mains et la mentalité d’un arrière. Ralph Sampson ? Pourquoi pas. Mais les contre-attaques tête baissée en allant dégommer le moindre innocent qui voudrait prendre un passage en force, le tout avec une finition en tomar et la faute en prime, c’est labellisé Barkley à cette époque. Et avec des Jeux Olympiques transmis dans le monde entier, c’est une génération entière d’intérieurs dont les mensurations et qualités athlétiques feront penser aux bêtes d’antan (Shaq pour Wilt, Webber pour Moses Malone) qui suivront une autre voie, la voie des années 2000.

Source : DN Foundation

Source : DN Foundation

Mais alors quel rapport avec Nowitzki ? Quand Barkley inspire ces dizaines de gamins à dribbler et faire ce qu’ils veulent sur un terrain de basket, la transition s’effectue en douceur puisque la Ligue reste dominée par les intérieurs traditionnels. Hakeem Olajuwon, David Robinson, Patrick Ewing et Shaquille O’Neal se partagent le succès et laissent alors aux autres le soin de bosser leur jeu au poste. La NBA ne change pas en un clin d’oeil, et si certains coquins préfèrent laisser tomber les skyhook et autres jeux de jambes pour aller dégainer à trois points, leur notoriété est aussi élevée que celle de Kevin Garnett lors de son arrivée en 1995. Da Kid est pointé du doigt pour être parti trop tôt trop vite, mais il est surtout en parfaite inadéquation avec les intérieurs de l’époque de par sa vitesse, sa maigreur, et ses mains en or. La suite, on la connait. C’est alors qu’arrivera la mante religieuse de Würzburg. Dirk, les cheveux blonds au vent, la coupe au bol d’un ado qui n’a aucune idée du monde dans lequel il se ramène, ce même monde qui n’a aucune idée du bordel que ce gosse va mettre. La révolution est en marche. Les débuts sont difficiles, pénibles : on traite les Mavericks de fous et non d’avant-gardistes. Puis les victoires s’enchainent, les équipes prennent note. Dallas s’installe à l’Ouest et Dirk s’invite chez les étoiles. Internet se développe et les réseaux sociaux s’emparent de la planète. Quinze ans plus tard, regardez le résultat. Avec un bilan exceptionnel dans le Texas et une bague de champion en 2011, Nowitzki réalise le fantasme de milliers de jeunes : on peut être grand, géant même, et dominer ailleurs que dans la raquette. Une aubaine pour beaucoup, un véritable cauchemar pour d’autres.

S’en suivent alors les Ersan Ilyasova, Andrea Bargnani, Kevin Durant, Kevin Love, Ryan Anderson et enfin Anthony Davis. Certains profils y arrivent, d’autres non. Le monstre de New Orleans est un meneur solide à l’adolescence, mais une poussée extraordinaire le forcera à jouer dans la raquette pour le reste de sa vie. Du coup, on obtient la recette ultime : plus rapide que certains meneurs, plus long que certains pivots, plus haut que beaucoup d’ailiers et plus technique que nombreux intérieurs. Est-ce là le fruit du boulot abattu par Dirk pendant toutes ces années de bataille dans le Texas ? En gagnant un titre et même le concours de tirs à trois points, Nowitzki redéfinit les équipes NBA, et même le jeu. Derrière un écran, l’intérieur ne roule presque plus, il sort. Chris Bosh, qui était d’une belle exemplarité à Toronto balle en main au poste, s’en prend plein le crâne par le Wünderkind en Finale et change son répertoire : pick-and-pop à volonté pour le Heat qui laisse les ailiers prendre possession de la Ligue. Aujourd’hui donc, comment expliquer à un jeune talent qu’il doit apprendre le jeu au poste de Tim Duncan et Kevin McHale quand les stars actuelles sont les Durant, Dwight Howard ou Kevin Love ? Si le pivot des Rockets n’est pas une assurance à distance, son jeu au poste reste faible : c’est son aisance sur pick and roll, une autre influence européenne suite à la révolution causée par la Dream Team, qui fait son bonheur. Impossible donc de former les intérieurs de demain sans avoir la validation par les stars de l’époque. Shaq a appris avec Ewing, Durant a appris avec Dirk. C’est aussi simple que ça.

Al Jefferson, Luis Scola, Pau Gasol, David Lee, Roy Hibbert, Brook Lopez, DeMarcus Cousins : certains résistent tel Astérix et ses gaulois. Seulement, la révolution ne fait que commencer. Quand on voit ce que Kevin Durant et Anthony Davis sont capables de faire pour leur taille, on n’est pas prêts de revoir un type dominer au poste en bossant ses skyhooks matin et soirs. La ‘faute’ à qui ? Un peu tout le monde, mais surtout Dirk. Sans le vouloir, l’Allemand est en grande partie responsable du manque de tradition au poste, et s’il ne faut pas le blâmer pour autant puisque le basket est un sport qui évolue comme tous les autres, son impact dans l’histoire sera bien plus important qu’on ne peut imaginer aujourd’hui. Laissons ainsi tomber les débats sur les prochains Shaq et Hakeem, tant que nous acceptons tous “eine kleine” influence de la légende allemande.

Source couverture : NBC Sports