Interview Nadir Hifi x TrashTalk : « J’vais aller aux États-Unis avec l’idée de cogner les Américains »
Le 10 avr. 2023 à 18:06 par Arthur Baudin
Au lendemain d’une victoire 74 à 79 à Blois, Nadir Hifi, jeune prospect de l’ESSM Le Portel, s’est posé dans un pouf virtuel pour disserter autour de son parcours, de sa saison en cours, et de ses ambitions à l’approche des échéances que vous connaissez. La Draft NBA, c’est déjà dans 73 jours : ne serait-il pas le temps de mettre du respect – en trombe – sur le petit prince de la Côte d’Opale ?
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Bon, tu t’es senti comment hier à Blois ?
J’me suis senti bien. C’est cool que les équipes adverses me donnent du fil à retordre. Les défenses sont beaucoup plus concentrées sur moi donc c’est à moi de faire les meilleurs choix possibles pour l’équipe. Et hier on a tous été bons. Tout le monde a apporté un truc à la rencontre. On a pu prendre cette victoire importante à l’extérieur… donc voilà on est contents et c’est le plus important.
Note de la rédaction : Le Portel est 12e du championnat de France avec trois victoires d’avance sur la première lanterne rouge.
Plus le prospect Nadir Hifi grandit, plus il développe ses qualités offensives, et donc… plus les défenses le ciblent ?
Oui c’est normal. Plus tu fais de bonnes performances, plus les équipes en face ont envie de t’arrêter. Ça fait partie du jeu, c’est comme ça. On se prépare pour anticiper ce nouveau type de défense, et voilà comme j’ai dit avant, ça ouvre d’autres portes et d’autres joueurs peuvent performer… même si je mets encore 17 points et 5 passes hier.
Tu vas avoir 21 ans en juillet.
C’est ça.
Comment à 20 ans, dans un championnat aussi rodé que la Betclic Élite, tu ne complexes pas contre des défenseurs professionnels, certains ayant connu de grandes rencontres d’Euroleague ?
Je change pas mon jeu en fonction de ça. J’ai un jeu à l’instinct. Je joue au feeling. Je travaille depuis des années pour jouer contre les meilleurs. Maintenant que j’y suis, c’est à moi de prouver que je suis meilleur qu’eux.
T’es un super attaquant Nadir, mais sur tes premières rentrées en pro, Éric Girard [entraîneur du Portel] t’envoyait sur le parquet pour ta gniaque. Maintenant, on te stéréotype un peu comme un joueur unidimensionnel.
Exactement. J’suis capable de faire plein de choses aujourd’hui. Les gens oublient beaucoup que je suis avant tout un bon défenseur. Ils pensent que je ne fais que scorer et poser des highlights… mais quand un jeune rentre dans le monde professionnel, ce qu’on lui demande c’est pas de mettre 20 points tu vois. Un joueur de basket doit apprendre à défendre avant d’attaquer. C’est indéniable. Chaque joueur doit passer par là, faut le comprendre, surtout en France. Ailleurs je sais pas, mais en France ça se passe comme ça.
Note de la rédaction : il est rarissime qu’un jeune joueur score autant dans le championnat de France, connu pour ses défenses athlétiques et organisées.
On peut même établir un parallèle avec Bilal Coulibaly. Il s’en sort bien en défense, mais il n’a pas ton impact offensif. Et pourtant, il a plus de visibilité.
Après faut pas oublier que Bilal Coulibaly c’est sa première année en pro. Il est dans une équipe du Top 3, où les responsabilités sont beaucoup plus partagées. Il y a d’autres options avant lui. Mais voilà, j’pense que c’est beau de voir un jeune qui arrive à s’exprimer dans une équipe comme ça. Il gravit les échelons et progresse match après match. Il apprend beaucoup avec Vincent Collet, et ça doit beaucoup peser.
Note de la rédaction : Bilal Coulibaly est annoncé en 38e position de la Draft 2023 par ESPN, et potentiel Top 10 de la Draft 2024.
Finalement, tu t’y retrouves peut-être dans cette position d’outsider médiatique. La pression est un poil atténuée. C’est plus facile pour s’épanouir ?
Non j’dirais pas que c’est plus facile. On ne m’a pas attendu. Je me suis révélé et j’ai fait des bons matchs, mais il n’y a pas de pression. Plus j’ai de la visibilité, plus on parle de moi, et plus ça me motive à faire plus.
Et…
En fait, je pense qu’il y a plus de pression quand on essaie de faire ses preuves, que si la lumière est déjà sur toi et que t’as juste à continuer ce que tu fais. Et les gens ont du mal à comprendre ça. Ils disent « Ah ouai Victor Wembanyama, la pression médiatique et tout… ». Beh non en fait ça lui donne juste de la force. Ça le pousse à continuer et à faire plus. C’est comme ça que je perçois la chose, moi, mais peut-être que c’est différent pour d’autres personnes.
Oui. Peut-être que face à la pression, tu es fait du même matériau que Victor.
Exactement. Y’a d’autres joueurs qui réagiront différemment, mais je pense que Victor et moi on réagit de la même façon.
Et t’as des envies de quoi à l’instant T ? Qu’est-ce que tu penses mériter ?
Sur plusieurs années ?
Y’a la Draft NBA cet été. J’ai lu que tu rêvais d’Euroleague, mais la draft est-elle dans un coin de ta tête ?
Je sais que mon principal objectif est d’aller en EuroLeague. Maintenant, des opportunités pourront s’ouvrir en fin de saison, dans un mois et demi/deux mois. Y’a des franchises NBA qui veulent me voir donc c’est à moi de saisir les opportunités à fond… et oui bien sûr, la draft j’pense que j’vais mettre mon nom. Ça dépendra juste de ce que je donne dans les mocks draft plus tard.
Et pour l’instant t’y es pas.
J’y suis pas mais je pense que je mérite d’y être. Largement, au deuxième tour. Je sais que je fais pas deux mètres, que je tape pas des moulins, mais je mérite d’être au deuxième tour. Et je suis le meilleur joueur du deuxième tour. Tant que j’ai pas convaincu les Américains, et que je suis pas allé combattre les Américains chez eux, j’aurais jamais de respect. C’est à moi d’aller faire le boulot.
Note de la rédaction : Nadir Hifi mesure 1m84.
Les Américains n’avaient peut-être pas un télescope en direction du Portel, mais tu y a mis la lumière et les a forcés à regarder : 39 points contre le Paris Basket, c’est beau.
Je pense que les gens étaient impressionnés, bien sûr, parce qu’il y a la performance, mais ça confirme juste tout ce que j’ai fait avant. Même si c’est une très très grosse performance, je ne pense pas qu’on en ait assez parlé.
C’est à titre comparatif, ça vaut ce que ça vaut, mais Victor Wembanyama n’a pas mis 39 points cette saison.
Il n’a pas fait 44 d’éval non plus.
Note de la rédaction : Nadir Hifi détient la plus grosse évaluation de la saison en Betclic Élite, devant les 41 de Victor Wembanyama.
39 points à 20 ans dans un championnat pro très référencé… et tu n’apparais pas dans un seul mock draft. Pas celui d’ESPN en tout cas, de loin le plus scruté. Pourtant, il y a trois Français avec Cidy Sissoko, Victor et Bilal Coulibaly.
Et Rupert aussi nan ?
Oui ! Et Rupert, en 15 ou 16e position. J’suis sûr que t’es content pour les copains, mais que ce qui t’importe le plus à l’instant T est d’aller mettre ton nom au moins au second tour.
Oui exactement. J’aimerais un peu plus de considération parce que j’ai fait des choses dans ce championnat. J’ai montré des choses que d’autres n’ont pas montré avant d’aller en NBA. Mais comme je l’ai dit, j’ai toujours été ignoré, depuis le début. Maintenant c’est mieux, on me donne de la considération en France. J’suis très content, les médias français me mettent en valeur. Mon prochain step, ce sont les médias internationaux. Faudra que j’sois prêt, parce que si je n’arrive pas à reproduire ce que je fais en France aux États-Unis, bah j’vais vite revenir.
Et là justement, t’as peut-être plus de pression quand tu dois montrer ce que tu sais faire devant des gars… qui ne t’ont jamais vu à l’œuvre. La fameuse peur de manquer le train.
Eux ne savent pas à quoi s’attendre, mais moi je sais à quoi m’attendre, donc non j’ai pas de pression. J’vais aller là-bas avec l’idée de cogner les Américains. Et c’est comme ça, car si c’est pas moi qui les tue, c’est eux qui vont me tuer.
Faut les cuisiner quoi.
Ouai, j’vais tout faire pour faire ma place. Donc c’est clair, pas de pression, que du bonus.
Tu dis qu’auparavant t’as été un peu ignoré. Instant phrase bateau : est-on plus fort quand on s’est construit aussi seul ?
Je sais pas si je suis plus fort parce que je connais pas l’inverse *rires*. Mais oui aujourd’hui ça me forge, j’ai toujours l’esprit revanchard. Je pense que c’est ça qui fait ma force. Je lâcherai jamais parce que je sais d’où je viens, et je suis fier de mon parcours. Maintenant, j’ai envie de dire que c’est que le début. Y’a un long chemin à faire avant d’atteindre mes objectifs. Faut pas lâcher et je vais y arriver, y’a pas de doute.
En parlant de tes objectifs : il fait quoi idéalement, Nadir Hifi, à l’été 2024 ?
On est en train de planifier, je sais pas encore.
Donc les Jeux olympiques de Paris avec l’équipe de France par exemple…
Hum, j’y pense pas encore. Je sais que y’a plein de joueurs prioritaires avant moi. Mais on ne sait pas de quoi demain est fait. Tout peut arriver, surtout avec moi comme on l’a vu.
Note de la rédaction : Nadir Hifi aurait dû jouer avec l’équipe de France en février, contre la République Tchèque et la Lituanie, mais, ayant déjà joué des rencontres avec les U16 de l’Algérie, il n’était pas éligible aux yeux de la FIBA. La FFBB devrait monter un dossier afin de changer la « nationalité basket » du Franco-Algérien.
T’as un joueur “idole” qui t’a aidé dans la conception de ton jeu ?
Ouai, j’ai Shane Larkin ! Shane Larkin, Kyrie Irving et Damian Lillard.
Ah ouai. Il avait scoré combien déjà Larkin en Euroleague ?
49.
La vidéo qu’il en a faite était tellement folle.
Ouai vraiment.
Par ce relais vidéo bien malin, Larkin a mis la lumière sur l’EuroLeague auprès des jeunes. C’est peut-être ce que t’as envie de faire aussi.
Ouai après… moi je veux juste aller combattre là-bas, gagner un t… gagner des titres, et faire ce qu’ont fait d’autres joueurs français. C’est un rêve. Gagner l’EuroLeague, c’est un rêve.
Merci pour ton temps Nadir. Bonne fin de saison.
Avec plaisir !