Drazen Petrovic, une vie trop courte mais un impact éternel
Le 22 oct. 2022 à 13:23 par Gauthier Cognard
Emporté par un accident de voiture en Allemagne en juin 1993, Drazen Petrovic est décédé tragiquement à l’âge de 28 ans et n’a donc pas eu le temps de s’exprimer pleinement. Néanmoins, il fut tellement talentueux qu’il a eu le temps de devenir l’un des joueurs les plus importants de l’histoire du basket européen. Retour sur sa carrière et sur son influence immense.
Nikola Jokic double MVP en titre, Giannis Antetokounmpo MVP et DPOY la même année, Luka Doncic qui frappe à la porte cette saison et bientôt, peut-être, Victor Wembanyama… Les joueurs européens dominent la NBA depuis quelques saisons et on ne peut pas dire que ça nous déplaise. Et tout ça, ce serait peut-être impossible sans un homme venu tout droit de Croatie pour mettre la Ligue à ses pieds : Drazen Petrovic. Il n’a passé que quatre saisons en NBA, mais c’était assez pour devenir l’un des Européens les plus influents de l’histoire.
L’histoire de Drazen Petrovic commence chez lui, en Croatie, alors membre de la Yougoslavie. C’est au Sibenka Sibenik, club de sa ville natale, qu’il se fait connaître en atteignant notamment deux finales consécutives en Coupe Korac, l’ancêtre de l’EuroCup. Les deux sont perdues face au CSP Limoges mais là n’est pas l’important. À peine majeur, Drazen Petrovic s’est montré. Cela lui ouvre les portes du Cibona Zagreb, grand club du pays, et devient à seulement 20 ans le meilleur arrière d’Europe. Des performances phénoménales l’y attendent, notamment en Coupe des champions : il marque par exemple 51 points contre Limoges, et en enfile 47 assortis de 25 (!) assists contre Milan. En quatre ans à Zagreb, il tourne à 37 points par match. Oui, vous avez bien lu, 37, avec une pointe à… 112 en octobre 1985 dans un match de ligue yougoslave. Des statistiques à peine croyables pour ce prodige de la balle orange, qui gagne le surnom de “Mozart du basket”. Ça veut tout dire. Au-delà de ces stats faramineuses, c’est en plus un joueur spectaculaire, intelligent, capable de tout faire en attaque. Bref il a tout !
Un début de carrière construit sur une base de talent, évidemment, mais aussi de travail acharné. Drazen Petrovic vit basket, mange basket, ne parle que de ça, tous les jours, à toute heure. Il s’entraîne seul dès qu’il le peut, en mettant en place des chaises et en dribblant autour. Il fait tout pour se développer physiquement, et même pour grandir, même si la méthode je m’agrippe à des trucs par les bras et je me laisse pendre, on y croit moyen. Sa mère Biserka, elle, y croyait.
“Il disait qu’il régressait dès qu’il ne faisait rien. Il voulait toujours être en mouvement, travailler […] Il n’avait pas peur du succès et pensait toujours pouvoir faire mieux. Cela le poussait à jouer plus, à toujours aller plus loin. C’est un psychologue qui l’a peut-être caractérisé le mieux en disant qu’il était un ange dans la vie, et un démon sur le parquet.” – Biserka Petrovic, via le documentaire Once Brothers par ESPN et NBA Entertainment.
Un bourreau de travail qui ne pensait qu’au jeu. Une description qui correspond à celle que fait de lui Vlade Divac, son coéquipier en sélection nationale. Les deux étaient bien différents mais très proches : Drazen le calme, concentré sur le basket, Vlade l’excentrique et farceur. Les deux se complémentaient. En équipe de Yougoslavie, ils ont partagé une chambre et des titres, dont celui de champion du monde en 1990, devant la grande URSS et des États-Unis pas encore à la sauce Dream Team. Ils seront séparés, plus tard, par la guerre et les tensions entre la Croatie, terre natale de Petrovic, et la Serbie, celle de Divac. Mais ça c’est encore une autre histoire…
En 1989, les deux s’envolent ensemble pour les États-Unis et la NBA. Si Vlade Divac fait son trou chez les Lakers de Magic Johnson, c’est beaucoup plus compliqué à Portland pour Drazen Petrovic, qui avait pourtant quitté la scène européenne par la très grande porte avec 62 points marqués en finale de la Coupe des Coupes sous les couleurs du Real Madrid. Barré par Clyde Drexler, Terry Porter et Danny Ainge, Petrovic ne joue en effet que 11,5 minutes par match en une saison et demi chez les Blazers. Il débarque alors dans le New Jersey où ça va tout de suite mieux : 20,5 minutes, 12 points, le Croate commence à faire son trou. Et la saison suivante, en 1991-92, c’est la consécration. Bien plus en confiance que dans l’Oregon, il prend les rênes de la franchise des Nets aux côtés de l’intérieur Derrick Coleman et ne les lâche plus pour deux saisons : 21 points et 3,1 assists en 35 minutes, Drazen Petrovic fascine par son jeu de passe, son redoutable shoot à 3-points, ses drives, sa mentalité de vainqueur… Il a tout pour être une star de la NBA, et il l’est comme le prouve sa nomination dans la All-NBA Third Team en 1993. Mais pas encore assez pour être voté comme un All-Star par les fans US, ou sélectionné par les coachs. Les Américains boudent toujours les Européens ? Peu importe, il n’est pas vexé. Maintenant il joue.
Il joue, comme il a toujours voulu le faire, jusqu’au 7 juin 1993. Comme Mozart, mort à 35 ans, Drazen Petrovic est parti tôt, encore plus : 28 bougies soufflées, un accident de voiture en plein prime sur une autoroute allemande après un match avec l’équipe nationale, et voilà comment une vie s’arrête sans prévenir. Voilà comment le basket perd l’un de ses plus grands talents, comment la Croatie perd l’un de ses héros dans une véritable tragédie nationale. Son numéro 3 est retiré par la franchise des New Jersey Nets quelques mois après sa disparition. Le trophée de MVP du McDonald’s Championship (qui oppose une équipe NBA à des équipes internationales) devient le Drazen Petrovic Trophy. Et en 2002, il est intronisé au Hall of Fame à titre posthume. C’est son frère Aleksandar qui donne le discours, accompagné de leur mère.
Mais Drazen Petrovic ne laisse pas derrière lui que tristesse et désolation. Il a été le premier Européen à enfiler le costume de franchise player en NBA, à être la star d’une équipe de Playoffs à une époque où on ne faisait pas vraiment confiance aux internationaux outre-Atlantique. Il a montré que les autres continents pouvaient se hisser au niveau. Pour cela, il est unanimement reconnu. À commencer par David Stern, commissionnaire de la NBA avant, pendant, et après la carrière du Croate :
“Drazen Petrovic était un jeune homme extraordinaire, et un vrai pionnier du basket. Son héritage sportif durera dans le temps. Il a ouvert le chemin aux joueurs européens, a montré qu’eux aussi pouvaient réussir en NBA. Sa contribution à son sport a été énorme.” – David Stern, via NBA.com
Ses pairs, ses héritiers, sont eux aussi de cet avis. En 2013, lors du championnat d’Europe remporté par la France, les joueurs ont été invités à voter pour le plus grand basketteur européen de l’histoire. Et sans grande surprise, Drazen Petrovic a hérité de la première place. Devant Tony Parker et Arvydas Sabonis. Et devant Dirk Nowitzki, cinquième de ce classement, qui ne peut que qualifier de légende celui qu’il voyait à la télé lors de son enfance.
“Il a eu une énorme influence sur tous ceux qui ont commencé le basket à cette époque. Il travaillait très, très dur. Tout le monde l’aimait en Europe, c’était une légende. Un jour, sa mère m’a dit que je lui faisais penser à son fils. Je l’ai prise dans mes bras. À ce jour, c’est l’un des plus grands compliments qu’on m’ait jamais fait.” – Dirk Nowitzki, via NBA.com
Dirk Nowitzki fait partie de ces légendes dont la réussite a sans doute été permise, ou du moins facilitée, par le pionnier Drazen Petrovic. Grâce aux portes qu’il a pu ouvrir et les grands noms qu’il a inspirés par la suite, on fait aujourd’hui confiance aux Européens et à leur capacité de briller en NBA. Certes ça n’a pas empêché les Kings de privilégier Marvin Bagley III à Luka Doncic lors de la Draft NBA 2018, mais vous voyez l’idée. Les Européens peuvent être des franchise players. Les Européens peuvent être MVP. Il aura fallu qu’un Croate ronge son frein à Portland, fasse la gueule, soit transféré dans le New Jersey et étale tout son talent à la face de la NBA pour s’en rendre compte. Alors merci Drazen.
Sans ce foutu camion, sans cet orage fatal, l’un des plus grands Européens all-time aurait sans doute marqué encore plus la NBA de son empreinte. En tout cas, sans Drazen Petrovic, l’histoire européenne du basket aux États-Unis ne serait sans doute pas la même. RIP Mozart.
Le palmarès de Drazen Petrovic
En NBA :
- Nomination dans la All-NBA Third Team en 1993
Avec l’équipe nationale :
- Médaillé de bronze aux Jeux Olympiques 1984 (avec la Yougoslavie)
- Médaille d’argent aux Jeux Olympiques 1988 (avec la Yougoslavie)
- Médaillé d’argent aux Jeux Olympiques 1992 (avec la Croatie, défaite face à la Dream Team en finale)
- Médaillé de bronze au Mondial 1986 (avec la Yougoslavie)
- MVP du Mondial 1986
- Champion du monde en 1990 (avec la Yougoslavie)
- Médaillé de bronze au Championnat d’Europe 1987 (avec la Yougoslavie)
- Champion d’Europe en 1989 (avec la Yougoslavie)
- MVP du Championnat d’Europe 1989
En Europe :
- 2 fois champion de l’Euroleague
- 4 trophées Euroscar (meilleur basketteur européen de l’année)
- 2 fois vainqueur de la Coupe Saporta et top scoreur
- 1 fois vainqueur de la ligue yougoslave
- 3 fois vainqueur de la coupe de Yougoslavie
- 1 fois vainqueur de la Coupe du Roi en Espagne