La Dream Team 1992 – 30 ans après : entre adoration et débats, comment les Américains voyaient-t-ils leur “Équipe de Rêve” ?
Le 03 août 2022 à 17:26 par Arsène Gay
C’était il y a trente ans. Déjà. Trente ans que les États-Unis obtenaient l’autorisation d’envoyer des joueurs NBA participer aux Jeux Olympiques. Trente ans que, de ce fait, la « Dream Team » était créé. Trente ans qu’une simple équipe de basketball prenait une dimension jusqu’alors jamais vue. Records, légendes, influence… cet été TrashTalk a décidé de revenir avec vous sur toutes les histoires qui ont fait de cet effectif l’un des plus mythiques de l’histoire du sport. Sortez vos Hoverboard, montez dans la Delorean et lancez Johnny B. Goode sur l’autoradio car il est temps de revenir en 360 degrés sur ce qu’il s’est passé il y a… 360 mois. Cinquième épisode ? L’avis élogieux mais un peu plus nuancé des Américains sur leur “Équipe de Rêve”.
Épisode précédent : La Dream Team 1992 – 30 ans après : Christian Laettner, la présence controversée d’un joueur universitaire parmi les stars de NBA
Soyons honnêtes : en 1992, la Dream Team ne débarque pas à Barcelone. Non, en réalité, elle emporte la ville comme une véritable tempête, déchaînant passions et admiration à travers le monde entier. Ce véritable phénomène n’a connu que peu – voire aucun – équivalent dans toute l’histoire du sport. Partout sur la planète, les stars de la NBA ont inspiré, mais aussi coupé le souffle. Une réaction globale qui n’a jamais vraiment étonné, tant l’aura de cette équipe était inhabituelle pour nous, pauvres mortels. L’attente, l’enthousiasme, l’émerveillement… des émotions d’une intensité très différente de celle à laquelle nous étions jusqu’alors habitués devant nos propres équipes européennes par exemple. Toutefois, s’il y a un bien un endroit sur Terre où la Dream Team pouvait être regardée singulièrement, c’est bien chez elle, aux États-Unis. Sans pour autant affirmer que cette différence de visions existe bel et bien, il est donc intéressant de se pencher sur la question, afin de mieux comprendre comment la Team USA 1992 était vue par les Américains, qui étaient par définition plus habitué à ce genre de spectacle.
Avant de commencer, et pour couper court à tout suspense inutile, donnons une réponse claire et rapide à la question traversant cet article : oui, la Dream Team était une fierté nationale pour une immense majorité d’Américains. Plus qu’une fierté même, cet assemblage de monstres de la balle orange était vu comme une sorte de satisfaction ultime. Car pour la première fois, ceux qui ont forgé leur légende en tant que rivaux allaient se réunir sous les mêmes couleurs, pour enfin livrer une prestation commune. Disparu des terrains depuis un an suite à l’annonce de sa séropositivité, Magic Johnson allait réaliser sa dernière danse aux côtés de son ennemi juré et grand ami, Larry Bird. Au sommet de la pyramide ? Celui qui règne en maître sur la NBA : Michael Jordan. C’est bien simple, tous les joueurs de cet effectif appartiennent à des franchises de premier rang, qui se tirent chaque année la bourre pour remporter le titre. Voici par exemple le genre d’édito que l’on pouvait retrouver dans l’Oklahoman, avant même le début des Jeux olympiques :
“C’est la Dream Team. Il s’agit du plus grand assemblage de l’histoire du sport avec Michael, Larry Legend et le plus charismatique des sportifs : Magic. S’il y a quelqu’un parmi vous qui n’aime pas Magic Johnson, il ferait mieux de vérifier son arbre généalogique, car Hannibal Lecter et Adolph Hitler doivent s’y trouver. Bien heureusement, la plupart des Américains savoureront cette croisade unique, parce qu’elle ne se reproduira plus. Alors, profitez-en, États-Unis. Réjouissez-vous de l’éclat fantastique de la seule Dream Team que nous verrons probablement.” – Bob Hersom
Et cette admiration pour une telle addition de talents continue encore aujourd’hui. Il suffit simplement de voir ce qu’il se dit lorsqu’un débat sur l’appellation “Dream Team” est lancé sur Quora :
“La Dream Team d’origine de 1992 était quelque chose de jamais-vu. Pour la première fois, des professionnels – ce qui pour les États-Unis voulait presque exclusivement dire des joueurs NBA – représenteraient les USA dans une compétition internationale. C’était un sacré moment. Tous les meilleurs étaient impatients d’en faire partie. Michael Jordan, Larry Bird et Magic Johnson dans la même équipe ? C’était comme un rêve. Quand le “pire” joueur NBA [de l’équipe, ndlr.] était peut-être Chris Mullin, eh bien, c’est que c’est une équipe incroyable.”
Voyez un peu ? Très vite, la Dream Team est devenue une chance pour chaque Américain de voir ses rêves accomplis, mais pas seulement. Pour beaucoup, il s’agissait également de l’occasion rêvée afin de montrer la supériorité et la gloire des États-Unis. Quatre ans auparavant, en 1988 à Séoul, lors de la précédente campagne des Jeux olympiques où seuls les “amateurs” – les universitaires en gros – étaient autorisés à participer, Team USA n’avait pas atteint les Finales pour la première fois de son histoire. Un échec vécu comme une véritable honte par beaucoup de fans américains de NBA, qui exprimaient donc le besoin d’une revanche en 1992. Ce sentiment d’attente de voir l’équipe à l’œuvre était d’ailleurs très fortement renforcé par les médias, qui n’hésitaient pas à hyper le grand public sur cette Team USA de folie. La preuve en image avec la couverture de Sports Illustrated, qui révèle en 1991 pour la première fois le nom de “Dream Team”, plusieurs mois avant même l’annonce officielle de l’effectif de la sélection américaine pour les JO.
Today in 1991, the cover of Sports Illustrated featuring the greatest basketball team ever – The Dream Team.#TodayInSports @usabasketball 🇺🇸🏀 pic.twitter.com/sOymPPB854
— TodayInSports (@TodayInSportsCo) February 18, 2020
Toutefois, la surmédiatisation de l’équipe a également amené son lot d’inconvénients, et c’est donc maintenant qu’il nous faut rentrer dans l’image plus… débattue de la Dream Team. L’exemple le plus probant est probablement l’affaire Isiah Thomas. Faisant partie des tous meilleurs joueurs du monde à l’époque, le meneur des Bad Boys mérite amplement sa place au sein de cette Team USA. Pourtant, alors que son coach Chuck Daly en est à la tête, ce dernier ne va pas être appelé. Il faut bien se rendre compte qu’à l’époque, cela fait scandale. Vous le savez très probablement, mais des rumeurs font surface selon lesquelles Jordan, et plus globalement l’entièreté du roster, ne voulait pas du guard dans l’équipe. Forcément, vous pouvez donc déjà enlever la fanbase des Pistons qui se montre logiquement très critique vis-à-vis de ce choix à l’époque. Mais les habitants de Détroit ne sont pas les seuls à être en colère, pas du tout même. Il n’y a qu’à lire certaines tribunes publiées à l’époque comme celle dans le… Chicago Tribune, où un certain Michel Jourdan est pourtant plutôt populaire :
“Honte à toi, NBA. Honte à toi, comité de sélection olympique masculin de basketball. Honte à toi, Michael Jordan. […] Irritant, bien sûr. Imbuvable, certainement. Arrogant, impudent et provocateur. Tous ces mots peuvent être utilisés pour décrire le guard star des Pistons depuis l’ouest de Chicago. Mais maintenant que le monde du basketball s’est levé pour écraser le rêve olympique pourtant bien mérité de Thomas, il est redevenu le petit garçon de rue qui combat les brutes. […] Méritait-il d’être dans cette équipe olympique ? Sans aucun doute. […] Honte à vous tous, honte, honte, honte. – Sam Smith
Eh beh… Quelqu’un avait visiblement des choses à dire. Au-delà de la polémique Thomas, une autre question se pose énormément à l’époque, en opposition totale à l’une des ambitions justement portées par la Dream Team. En effet, face à ceux se réjouissant de pouvoir démontrer la domination des USA sur la planète basket, d’autres s’inquiètent du fair-play, tout simplement. Se revendiquant de l’esprit de Coubertin, ces derniers estiment qu’écraser la concurrence est en désaccord avec les valeurs prônées lors des Jeux olympiques. Oh l’insolence des mecs. Parmi ceux défendant cette idée, on peut notamment citer un certain… Isiah Thomas, qui estimait qu’une telle décision montrerait une sorte de “mentalité gagner à tout prix” qui desservirait plus les États-Unis qu’autre chose. De plus, il existait à l’époque une peur sincère de voir les universitaires laissés à l’abandon, au profit des stars de la grande Ligue. Le meilleur exemple pour illustrer cela ? Le fait que les États-Unis eux-mêmes aient toujours voté… contre l’ouverture des Jeux olympiques aux professionnels. Oui oui, le changement de règle ayant permis la création de la Dream Team n’était pas désiré par les instances américaines, ou du moins pas officiellement, comme le rapportait en 1989 le New York Times :
“Moins de places pour les amateurs? Dave Gavitt, président de l’Association du basketball amateur des Etats-Unis, a déclaré que sa fédération avait voté contre le projet parce que les collèges et lycées américains, qui constituent la majeure partie de son domaine, s’y opposaient, estimant qu’il priverait les amateurs de places olympiques : “je ne suis pas sûr que le NBA, s’il y avait eu un vote, aurait voté pour non plus” a-t-il dit.
Autres causes de cette prise de position surprenante : les risques de blessures, l’adaptation nécessaire du calendrier ou encore le fait que selon un sondage de l’époque, seuls 58% des joueurs NBA se disaient prêt à prendre part à la compétition. Parmi eux : Magic Johnson, Charles Barkley, Karl Malone… mais pas Michael Jordan, qui refusait par flemme de gâcher un autre été pour ça. Toujours agréable Mike. Au final, cette décision n’aura pas eu l’impact négatif que les responsables de la NBA lui imaginait. À vrai dire, elle aura même propulsé le basketball à un sommet qu’il n’avait jamais atteint auparavant, pour le plus grand plaisir de la planète toute entière et évidemment celui des Américains, qui ont vu leur nation s’installer sur le toit du monde.
Rien ni personne ne fait l’unanimité – sauf Boban Marjanovic –, nous sommes certainement d’accord là-dessus. Mais force est de reconnaître que la Dream Team a su conquérir les cœurs de personnes venant des quatre coins de la planète en 1992. Et bien qu’ils aient pu être critiques ou en désaccord avec certains sujets orbitant autour de cette célèbre Team USA, les Américains aussi ont profité de cette épopée légendaire, qui a autant marqué leur vie que la nôtre.
Source texte : Oklahoman / Chicago Tribune / New York Times / Bleacher Report / Los Angeles Times / The Detroit News