Pop Party : TrashTalk était à San Antonio pour le record de Gregg Popovich, récit d’une soirée historique

Le 12 mars 2022 à 10:39 par TrashTalk

Gregg Popovich
Crédits : Brieux Férot

« Il faut donner de l’amour à vos proches, dans votre foyer, près de chez vous, pas sur Instagram… » Il est 23 heures. L’homme qui vient de prendre la parole sur le parquet, micro en main, devant les quelques 2000 fans des Spurs restés juste après le coup de sifflet final, se rassoit, en essayant de se faire tout petit. Personne n’a trouvé à redire de prolonger cette soirée inoubliable par 30 minutes de prêche de ce fidèle texan. Le club des Spurs a en effet offert à deux sections de tribunes de ses abonnés à l’année un temps intitulé « Faith and family », prévu de longue date. Parler de Jésus après un rassemblement populaire de fidèles enthousiastes de Gregg Popovich n’est pas une mince affaire. Mais le message aura trouvé écho, et pour cause : en ce vendredi soir, un petit miracle a eu lieu…

Par Brieux Férot, à San Antonio.

Les Spurs auraient dû perdre ce match une fois, cinq fois, dix fois. Mais la providence s’en est mêlée. Ainsi que le lien affectif assez fou qui lie le coach à son équipe de jeunes, 25,5 ans de moyenne d’âge. Le Jazz (4ième à l’Ouest) se déplaçait donc à San Antonio (11e) pour contrecarrer les plans de toute une ville : célébrer enfin une 1336ième victoire de Gregg Popovich et passer définitivement devant Don Nelson. Les festivités devaient avoir lieu mercredi dernier, mais le Heat de Miami en avait décidé autrement. Il restait bien le match du samedi à venir contre Indiana, mais il était écrit que c’était contre le Jazz qu’une montagne russe d’émotions allait résumer à merveille la carrière du Pop comme coach des Spurs.

En ce vendredi soir, dès 18h00, les éléments s’y sont mis : après une journée d’hiver particulièrement rude et couverte, les rayons du soleil sont apparus directement dans les yeux des premières familles prêtes à rentrer à l’ATT Center. Rien à perte de vue, hormis le picaresque parc d’attraction Splashworld, et des enfants, par centaines. Ce soir, c’est la Fiesta Night, et les mariachis sont au rendez-vous. Les souvenirs aussi. « Pop, mon souvenir le plus fort avec lui, c’est ce premier titre en 1999 à New York, explique Léo, quadra discret. C’est la première fois que nous avions tous l’impression de faire quelque chose de grand tous ensemble dans cette ville… » La défaite contre le Heat en 2013 revient également très souvent : « Pas pour la défaite elle-même, mais pour cette résilience incroyable : revenir l’année d’après et de nouveau gagner le titre, c’était dingue », résume le jeune acnéique Davin.

Dans les travées, pas grand monde pour parler des coups de sang désormais célèbres du Pop. Ce serait même plutôt le contraire. « Je suis venu ici une dizaine de fois avec ma copine, résume Joshua, et bien je n’ai pas souvenir de l’avoir vu péter les plombs, je ne comprends pas cette réputation. » Et sa copine d’opiner. Reagan, lui, rend grâce à Popovich de lui avoir faire aimer autre chose que l’attaque. Il mime au milieu de l’allée le contre de Ginobili sur Harden. Ce que Rubin, son pote d’enfance, confirme : pour une « ville militaire », avoir une équipe qui sait défendre, c’est le plus beau des hommages : « Quand on gagne nos titres, c’est en laissant l’adversaire à 80/90 points. La défense fait gagner des titres, quand l’attaque permet de vendre des tickets ? Dans notre histoire avec Pop, on a su faire les deux… »

L’avant-match est studieux et l’hymne américain chanté par une classe de primaire en langue des signes : de nombreuses associations de sourds et malentendants ont fait le déplacement dans la salle. Les adjoints de Pop vont dire bonjour à des proches en tribunes, les joueurs se sourient, les familles sont heureuses de se retrouver. Même Becky Hammon rit presque à gorge déployée. En ce début de Spring Break, on se croirait en match de pré-saison. Derrière le banc des Spurs, un homme et sa femme demanderont même au Coyote de les aider à prendre une photo avec Pop. Et à financer leur lune de miel. Véridique.

Et Pop dans tout cela ? II est sorti du tunnel à la toute fin, juste avant l’hymne. Le temps de saluer son homologue du Jazz. Et de prendre dans ses bras Donovan Mitchell, très précautionneux au moment de saluer Pop. L’ancien de l’US Air Force aura au final peu parlé, mais aura usé de contacts, de mains dans le dos, de rires, et de petits mots notamment pour les plus jeunes, dont Vassell, Johnson, Collins. Plusieurs fois dans le match, il se déplacera au bout du banc analyser à haute voix une action, pour bien que chaque minute soit une expérience profitable à l’équipe : deux actions de Landale ont été explicitement qualifiées de « stupides » par Pop sans que personne ne trouve à y redire.

Il y aura bien eu des mos durs, méthode que le coach maîtrise à la perfection pour faire réagir ses ouailles à chaque temps mort. Le compte-rendu du match est assez simple : le Jazz aura mené au score quasiment toute la rencontre (jusqu’à +14), et finira par se faire rattraper dans le money time. Individuellement, les Spurs ont raté à peu près tout ce qu’ils ont pu tenter. Un festival de shoots en rupture, layups forcés, trois points en bout de course, lancers francs capricieux, et contre attaques avec les mains moites… Mais collectivement, ce qui s’est dégagé de cette équipe aura été absolument fascinant : absence de stress, sourires, blagues, soucis de bien faire, encouragements mutuels, chaque joueur se voyant assigner le rôle de roue de secours d’un autre.

Sourires banc Spurs

Pop n’aura en effet lors des deux premiers quart-temps pas arrêté de faire tourner l’effectif, pas du tout emballé par les initiatives individuelles. Ce soir, c’est sur Landale, Jones et Walker IV qu’est tombé le plus de foudre. Le speech du temps-mort de fin de premier quart-temps restera dans les annales : se levant et imitant Lonnie Walker IV dans une défense hasardeuse devant tout le monde, Pop s’est alors servi, avec un certain talent, de l’ancien Hurricanes comme détonateur pour les autres. S’attaquer à Walker était forcément injuste et c’est ce qui a contribué notamment les plus jeunes, à se ressaisir pour réhabiliter leur coéquipier. Malin : la réaction du reste de l’équipe aura été immédiate, même si lente à payer. Jusque dans les deux dernières minutes, donc.

Le sens du timing et le courage de parler vrai, voici ce qui reste aussi très fort dans l’esprit des fans des Spurs : « Ce n’est pas un politicien, mais lors de l’affaire George Floyd, on l’avait beaucoup entendu et c’était formidable », résume Dawn à la mi-temps. Dennis, lui, sait gré Coach Pop d’avoir su motiver ses troupes par des comportements inédits : « Un jour, il voulait que les joueurs soient un peu plus durs, et il s’était pointé avec un tee-shirt qui le disait. C’était à la fois tellement lui et tellement surprenant… » Cette écoute de l’autre, ce difficile équilibre entre dire la vérité par tous les moyens – même si elle est dure, brusque et peut faire mal – et montrer par des gestes, des blagues, des mains dans le dos qu’il aime ses joueurs comme ses propres enfants, ne s’est pas tari au fil des ans.

Si la fin de match apportera son lot de alley-oop, fautes techniques, lancers francs ratés et contre de Gobzilla, c’est l’émotion collective d’une équipe montrant publiquement l’amour qu’elle porte à son coach qui restera comme l’image de la soirée. Sauts de cabris, pogo et rires authentiques. Victoire 104-102 des Spurs. La 1336ième de Gregg Popovich donc. Un record. « Faire un bilan de sa carrière professionnelle, c’est bien. Mais connaître le résumé de sa vie humaine sur terre avant d’aller rencontrer Dieu, c’est autre chose. Ma mère nous a quitté il y a quelques semaines. Sa vie a été belle. Amen. » Le prêcheur aura fini par reprendre le micro, pour conclure sa soirée. Cet homme, c’est David Robinson…

David Robinson

Gregg Popovich, ne trouvera rien d’autre à faire qu’un clin d’œil malicieux à la foi de l’Amiral : « Le record de ce soir, c’est un testament de beaucoup de gens. Nous tous partageons ce record, ce n’est pas mon record, c’est le notre. » L’intelligence collective de ce club n’est définitivement pas usurpée. Et la Spurs Nation peut se dire que, décidément, ce club n’est pas vraiment comme les autres…

Crédits photos : Brieux Férot