Linsanity – 10 ans plus tard : jeune pianiste non drafté, l’ascension d’un no name

Le 07 févr. 2022 à 18:49 par Arthur Baudin

Jérémy Lin
Source image : YouTube

Dix ans, déjà. Cela fait dix ans que la tempête est passée. Cela fait dix ans que l’indécence a laissé place aux souvenirs. Que garde-t-on de la folie Linsanity ? Que garde-t-on de ces 10 jours passés à écarquiller les yeux devant la révélation d’un sans-grade venu d’Harvard ? Pour célébrer la plus courte et intense des culminances en NBA, plongeons tête la première dans la pensine, direction le monde de Jeremy Lin. Premier épisode, l’ascension d’un no name.

Les plus jeunes connaissent le Jeremy Lin baroudeur, celui dont la fonction était de venir renforcer des équipes aux ambitions mesurées. Une pige à Charlotte, deux saisons à Brooklyn, un coup de vent à Atlanta. Mais quelques années plus tôt, le 5 février 2012, une étoile perça le brouillard. Un no name absolu dont personne – pas même les insiders les mieux informés – n’avait annoncé la venue. D’où sors-tu, Jeremy Lin ?

C’est la première fois que l’on se documente sur le site internet de l’Old Dominion University, une fac classée 516ème du pays. Cette jolie bâtisse située à Norfolk en Virginie est effectivement plus réputée pour ses tubes à essai que pour la balle orange. Parmi les quelques élèves qui y ont troqué la blouse pour le chasuble, Kent Bazemore, Chris Gatling, Kenny Gattison et Mark West sont les plus notables. Ils ne sont évidemment pas l’objet de ce papier. Entre les murs de la fac, sur un parquet verni mais marqué par les années, au beau milieu d’un amphi boisé et animé par un prof de philo qui ne ferme pas ses deux premiers boutons de chemise, se distinguent les premières traces de Jeremy Lin. Il n’y a pas étudié, mais c’est sur les bancs de cette institution que se sont rencontrés ses parents. Vers la fin des années 70, le professeur d’ingénierie mécanique Ping Cheng prend un jeune compatriote émigré de Taiwan comme assistant, Gie-Ming Lin. Le futur daron de Jeremy se bute aux chiffres et commence à bosser sur des projets pour la NASA. « Il était calme et studieux, très travailleur » raconte Ping Cheng. Une intervention un peu banale qui n’apporte que des mots à l’histoire. On ne s’attendait bien sûr pas à ce qu’il raconte la fois où Gie-Ming a balancé une carotte sur un camarade rouquemoute, mais ce trop parfait n’ajoute rien à ce que nous savons déjà. Discrétion, gentillesse et dévouement sont d’évidentes qualités dont Jeremy Lin a fait preuve depuis son arrivée en NBA, il est donc logique que son père en ait hérité (plutôt l’inverse). Première goutte de la cascade – dans un modeste rôle de spectateur – Gie-Ming se prend de passion pour le basket-ball, un sport dont sa copine n’a rien à carrer. Eh oui, Shirley Lin est une tapoteuse de claviers, elle étudie l’informatique. Mais comme ce ne sont pas les deux darons qui ont posé 38 points sur les Lakers de Kobe, on va un poco accélérer l’histoire jusqu’à la naissance de Jeremy. Ellipse !

Ça y est, Jeremy Shu-How Lin est de ce monde. Toute la petite famille déménage à Palo Alto, ville de 60.000 habitants en Californie, là où la pierre se polira. C’est Gie-Ming Lin qui transmet sa passion pour le basket-ball à ses trois fils – Josh, Joseph et Jérémy – en leur montrant des vidéos de Magic Johnson et Larry Bird. Le benjamin de la fratrie, Joseph, est aujourd’hui joueur des Braves de Taipei Fubon dans l’ASEAN Basketball League. Le niveau n’est pas dingue mais l’idée d’une famille 100% basket-ball est bien là. Si le papa a donné le ton en mettant le ballon entre les mains de Jeremy, la maman prend le relai et assure une éducation complète pour son fils. Par « complète », on entend qu’elle est sans cesse derrière lui, quelque soit la discipline. On parle de cours de piano obligatoires, d’une interdiction de tâter la balle orange quand les bonnes notes ne suivent pas, d’un numéro bloqué pour les codes audio sur Dofus. Tout ce qui peut lui ouvrir des portes est bon à prendre, mais tout ce qui peut lui en fermer est à chasser. A contrario, elle est la première à donner de la voix en bord de terrain pendant les matchs de son cadet. Le plaisir, le travail et les valeurs, c’est ainsi que Shirley Lin cherche constamment le bon équilibre pour ses enfants. Elle n’a pas tenu le discours ô combien classique du : « oui mais le basket-ball doit rester un loisir, tu as sûrement plus d’avenir dans la médecine ». Preuve en est, elle a participé à la création d’une équipe de haut niveau régional à Palo Alto, un programme qui n’existait pas quand Jeremy Lin est sorti de l’école primaire. En réponse à l’investissement de sa mère, le petit meneur mène les Vikings de Palo Alto vers le titre de division II de la Fédération interscolaire de Californie. Ça fait beaucoup de mots, mais on vous promet que c’est cool. Sa cote de basketteur grimpe mais pas assez pour gratter un spot à Stanford ou UCLA. Très bon élève, il atterrit finalement à Harvard, une fac réputée pour son excellence stylo en main. La route royale vers la NBA ? Pas vraiment.

« En grandissant, certains amis de ma mère lui disaient qu’elle perdait le temps de tout le monde en me laissant jouer autant au basket. […] C’est drôle parce qu’une fois que j’ai été admis à Harvard, les mêmes mères qui la critiquaient lui posaient des questions sur les sports que leurs enfants pouvaient pratiquer pour aller à Harvard. »

Dans l’équipe d’Harvard, pas de Troy Bolton mais beaucoup de binoclards qui ferment un œil pour « viser à 3-points ». Les petits intellos jouent en Ivy League, une Conférence de 8 universités pas très cotée en NCAA. Enchaîner les filoches dans le gymnase d’Harvard n’est cependant pas la meilleure façon de se faire remarquer auprès des scouts NBA. Mais fidèle à lui-même – et l’éducation inculquée par sa mère – Jeremy Lin joue la carte de la polyvalence et décroche son diplôme d’économie en 2010, à l’issue de ses 4 années universitaires. Il crée même sa chaîne YouTube sur laquelle il postera… un peu de tout. Ses vidéos respirent le naturel et sa seule volonté est de partager son quotidien à ses fans, lorsqu’il en a le temps. Sur le plan orange, il lâche de bonnes stats en NCAA, notamment dans sa saison de senior : 16,4 points, 4,4 rebonds, 4,5 assists, 2,4 interceptions et 1,1 block de moyenne, à 52% au tir dont 34% du parking. Des chiffres qui ne lui permettent pas d’être drafté en 2010. C’était attendu. Ce qui l’était moins, ce sont les courriers des franchises NBA qui l’invitent à participer à leur Summer League. Ni une, Jeremy Lin répond positivement aux Mavericks et envoie 9,8 points, 3,2 rebonds, 1,8 assist et 1,2 interception à 55% au tir dont… 67% à 3-points. Le tout en seulement 15 minutes de moyenne, un temps de jeu restreint par la faute de son coéquipier Rodrigue Beaubois, annoncé bien plus talentueux. Qu’importe, Jeremy Lin est lancé. Outre-pacifique, sa fanbase croît au rythme de ses dribbles, dans la démesure la plus totale. Il signe finalement un contrat avec les Golden State Warriors pour la saison 2010-11. Sorti du brouillard pour briller, le cadet de Gie-Ming et Shirley devient le premier joueur de l’histoire d’Harvard à fouler un parquet NBA. Il ne parvient pas à se faire une place dans le roster californien mais profite du lockout pour poster une chouette vidéo de ses highlights pendant des matchs d’exhibition. Primo, on reconnaît quelques visages familiers. Segundo, il n’a pas encore claqué 10 points que son fan club fait déjà grand bruit.

Trop peu performant, l’Américano-Taiwanais est dégagé par les Warriors à la fin de sa première saison. Le talent, il l’a. L’opportunité, il l’aura. Au beau milieu d’une ère où la NBA cherche à s’exporter à l’international, Jeremy Lin a posé ses premiers pas en NBA et attend désormais son tour. À l’été 2011, les Rockets le signent puis le libèrent dans la foulée. Un ultime coup de vent, un dernier grain de poussière avant la naissance de Linsanity.

« Chaque chose en son temps, tout vient à point à qui steak attendre » disait Confucius lorsqu’il bossait encore à Buffalo Grill. Un nouvel écrit de « Linsanity – 10 ans plus tard » arrive sous peu, pour continuer de célébrer l’une des plus belles mise en lumière que la NBA ait connu.

Sources texte : ESPN / New York Times / BookWiki / Old Dominion University / RealGM / PaloAlto Flight


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