Ode à la Roja : tirage de rideau sur une génération d’artistes, respect et adiós les Enfoirés
Le 16 août 2021 à 19:00 par Arthur Baudin
Nous les avons reniés des principes de notre sport. Nous les avons hués lorsque la proximité nous en offrait la possibilité. Nous avons bloqué Pau Gasol sur Twitter après sa balade dans les rues de Villeneuve D’Ascq. Nous avons débraguetté sur des urinoirs en assimilant la pastille bleue au faciès de Rudy Fernandez. Nous les avons haï et c’est malgré nous que leurs principaux faits d’armes se sont déroulés sous nos yeux. En silence, les avons-nous… aimés ?
Il est midi pétante à Barcelone, Pedro commande une paëlla sur une terrasse ensoleillée face à la Sagrada Familia, cette vieille basilique en travaux depuis plus longtemps que la tronche de Marcus Smart. L’atmosphère n’est plus la même dans la citée de Gaudí, Léo Messi s’en est allé, Manuel Valls aussi (mais lui reviendra) et cerise sur le pesto – même si c’est Italien – l’équipe nationale de basket semble bel et bien sur le déclin. S’il est une chose importantissime à comprendre dans la culture ibérique, c’est que même si bonhomme et football sont rattachés par un lien indéfectible, notre voisin pyrénéen est avant tout attiré par les pratiques sportives poétisées. Sensible au joga bonito, il autorise et considère les comparaisons entre le sportif et l’artiste, un décalage avec le Français qui – le plus souvent – privilégie la victoire à sa méthode. Mais chaque emprunte culturelle connaît des hauts et des bas, leur validité oscillant entre un pic historique et des moments plus compliqués, de transition dira-t-on. Après près de 20 ans de domination européenne, la Roja lève enfin le pied. Bien qu’il n’y ait aucune honte à sortir des Jeux Olympiques par une défaite en quart de finale contre Team USA, le timing est vraisemblablement mauvais, beaucoup de grands noms étant désormais bien avancés dans leur trentaine. L’interrogation n’est donc pas blasphématoire : la victoire à la Coupe du Monde 2019 était-elle le dernier haut-fait de la génération Gasol ? Les Sergio, Pau, Marc, Rudy et autre Juan ne découperont-ils plus les bras des attaquants adverses avant de crier au passage en force ? Tous aussi détestables qu’iconiques, nous, aussi victimes de leur talent qu’admiratifs, peut-on souhaiter la disparition d’un groupe voué au culte de la gagne ? En tant que Français, la réponse est oui.
Palmarès de la Roja depuis 2000
- Jeux Olympiques : médaille d’argent en 2008 & 2012, médaille de bronze en 2016
- EuroBasket : médaille d’or en 2009, 2011 & 2015, médaille d’argent en 2003 & 2007, médaille de bronze en 2003, 2013 & 2017
- Mondial : médaille d’or en 2006 & 2019
C’est un total paradoxe. Nous parlions de la sensibilité artistique des Espagnols, de leur volonté de gagner avec style, mais les années Roja laissent à nos mémoires de malheureux souvenirs contraires aux principes de sportivité. Nul n’a oublié la bonne vieille corde à linge de Rudy Fernandez sur Tony Parker en 2011, un coup de vice qui a marqué le début des hostilités entre deux générations. Mais trouver une rivalité au beau milieu d’un sport qui n’appartient alors qu’à une seule nation, c’est échanger des noms d’oiseaux tout en se tirant inconsciemment vers le haut. Les multiples revers contre l’Espagne ont fait grand bien à une France qui – pendant longtemps – n’a cessé de se demander ce qui lui manquait pour taper les barbes mal taillées. L’un des exemples les plus criants est ce quart de finale des Jeux Olympiques de Londres en 2012 : les Bleus ont alors terminé seconds de la poule A, juste derrière l’une des plus grandes Team USA de l’histoire. Les Ronny Turiaf, Ali Traoré, Boris Diaw, Nando De Colo et Tony Parker pensent alors faire cap vers leur destin, mais en réalité, ils s’apprêtent à vivre une immense désillusion. Plantage du décor, la France tombe contre une Espagne bien loin de jouer son meilleur basket-ball, qui reste sur deux revers consécutifs, contre la Russie et le Brésil, mais qui a… bien prévu son coup.
À une minute du terme d’une rencontre aussi tendue que peu agréable à zieuter, Rudy Fernandez file au rebond défensif, prend le contact avec Nicolas Batum puis mime un saut périlleux en touche, sous-entendant une poussette bien virile du joueur français : les arbitres tombent dans le panneau et l’art du flopping vient alors de prendre une toute autre dimension. Cette faute emmène Rudy Fernandez sur la ligne des lancers, donnant un avantage de trois points aux Espagnols. Sur les dernière possessions, les Ibériques récitent un basket-ball altruiste et bien plus fluide que celui qui a construit la partie, profitant d’un Nicolas Batum hors de lui pour taper là où ça fait mal : on subit un magnifique jeu à trois entre les frères Gasol et Navarro, lequel est conclu par un lay-up tout en toucher du grand Marc. S’ensuit alors une légendaire manchette de Nicolas Batum sur Juanca Navarro et le travail de fond des Espagnols touche enfin à son but. Ajoutez à cela un Sergio Scariolo qui remplit parfaitement l’une des fonctions cachées du rôle d’entraîneur – à savoir poursuivre un dialogue continu avec les arbitres – et l’acquisition du momentum est parfaite.
Vous imaginez, vous, se préparer quatre ans pour disputer les Jeux Olympiques et se faire sortir par une succession de vices dans le money time ? Le plus rageant dans cette histoire répétée tout au long des 2010’s, c’est qu’il est difficile de dénigrer la manière espagnole sans recevoir en contre-attaque, une horde d’arguments valables quant à la mauvaise qualité de la prestation française. Leurs quelques séquences pleines de génie deviennent alors un gage de “ah oui mais de toute manière, ils étaient quand même plus forts”. Distribuer les roublardises pour ensuite surprendre le sang-froid de son adversaire par la pratique d’un jeu épuré et patient, voici la recette espagnole (et parfaite) pour s’emparer du momentum. C’est comme ça que Sergio Llull et sa patte madrilène, Chacho Rodriguez et ses chantiers d’Euroligue, les frères Gasol et leur conquête du nouveau monde, Rudy Fernandez et son athlétisme d’antan, Ricky Rubio et sa court vision, Juan Carlos Navarro et ses 239 sélections, Jose Calderon et sa participation à Mask Singer, Sergio Scariolo et sa connaissance du jeu FIBA, tous, ont conquis les parquets internationaux.
Quel meilleur moment pour rendre hommage à cette génération dorée, que l’un des premiers durant lesquels elle ne nous rend pas fous. Quand bien même notre subconscient ne voulait pas s’avouer le génie de cette Roja-là, nous l’avons aimée. Mais nos yeux, trop focalisés sur cette rivalité avec le voisin ibère, ne se rendaient pas compte que nous étions – sur le plan sportif – une cible presque marginale dans le viseur des Espagnols. À chaque fois que les Bleus ont disposé de la Roja, le succès s’élevait au rang d’un exploit dont la satisfaction d’avoir fait couler des larmes espagnoles était inquantifiable. Eux, se suffisaient de cette joie secondaire mais banalisaient davantage la performance sportive, car depuis le début ce siècle, les visages de la compagnie Scariolo se fermaient uniquement lorsqu’était prononcée l’appellation « Team USA », reine de la planète orange dont les Ibériques convoitaient le trône. Bien que le bilan de toutes les confrontations entre ces deux équipes soit à sens unique – la Roja n’ayant battu les cainris qu’à une seule reprise depuis 2002 – ce choc est devenu un classique du purisme, alliant toutes les belles choses qu’il est possible de voir sur un terrain de basket-ball. Vient alors à notre esprit l’exemple des Jeux Olympiques 2008 de Pékin où, écrasés par l’Oncle Sam lors d’un match de poule, les Espagnols ont finalement réussi à retrouver Team USA en finale, confiant à cette partie le surnom du “plus beau match de basket de tous les temps”. Les Pau Gasol, LeBron James, Juan Carlos Navarro, Kobe Bryant, Marc Gasol, Dwyane Wade, Carlos Jimenez, Carmelo Anthony et autre Felipe Reyes ont embaumé la rencontre d’un parfum couplant technicité, suspense, justesse et actions testostéronées. Une image ? Le poster légendaire de Rudy Fernandez sur un Dwight Howard qui, la saison suivante, deviendra le meilleur contreur de NBA. Alors oui, la Roja s’est encore inclinée, mais Espagnols et Ricains signeront une bis repetita lors de la finale des Jeux Olympiques de Londres en 2012, officialisant le statut iconique des chocs entre la génération Gasol et l’usine de All-Stars. Comme quoi, même en perdant deux fois, on peut être de très grands gagnants.
Les confrontations Espagne – Team USA depuis 2000, en compétitions officielles
- Mondial 2002, match de classement 5/6 : Espagne 81 – 75 Team USA
- Jeux Olympiques 2004, quart de finale : Espagne 94 – 102 Team USA
- Jeux Olympiques 2008, match de poule : Espagne 82 – 119 Team USA
- Jeux Olympiques 2008, finale : Espagne 108 – 117 Team USA
- Jeux Olympiques 2012 , finale : Espagne 100 – 107 Team USA
- Jeux Olympiques 2016, demi-finale : Espagne 76 – 82 Team USA
- Jeux Olympiques 2020, quart de finale : Espagne 81 – 95 Team USA
Quid de la suite ? Le rideau s’affaisse sur un groupe de talents que le voisinage ne reconnaitra plus de sitôt. Plein de saines paroles (mais avec une goutte de sueur liée à la quiétude arpentant son front), le président de la Fédération espagnole de basket-ball – Jorge Garbajosa – a préféré causer “période de transition” plutôt que “fin de cycle”. Pour lui, l’effectif de la Roja qui vient de chuter en quart de finale des Jeux Olympiques de Tokyo doit être revisité, mais les cadres ne seront pas balancés tels Vincent Poirier pendant une trade deadline. Si la fratrie Gasol a déjà annoncé sa retraite internationale, les noms de Chacho Rodriguez, Rudy Fernandez et Sergio Llull sont encore incertains pour l’EuroBasket 2022. Concernant Ricky Rubio – dont la sélection pour Tokyo fut loin d’être évidente – le nouveau pion de Cleveland sera très certainement reconduit par Scariolo tant il est impossible de passer sous silence ses récentes performances FIBA. Eh, claquer 38 points contre Team USA en 2021 pour finalement regarder ses potes depuis le divan familial en 2022, on toperait un Kenneth Faried/10 sur l’échelle du glow-down. Mais alors, entre quelles mains est confié l’avenir de la Roja ? Des garçons comme Usman Garuba (Rockets), Santi Aldama (Grizzlies) et Willy Hernangomez (Pelicans) – dont les performances de cet été ont parfaitement substitué les vieilles jambes de Pau Gasol – devraient pouvoir éviter la décadence totale de l’Espagne. Forcément, quand on est monté si haut, c’est une lourde chute qui ramène le plus souvent à la normale, et l’objectif premier des jeunes ibères sera de gagner des matchs.
“Nous sommes prêts, nous travaillons depuis des années sous ma supervision personnelle dans les catégories de jeunes et dans l’équipe B ou lors des fenêtres FIBA. Le processus est en cours depuis un certain temps, avec des idées claires sur la façon de le suivre” – Sergio Scariolo, sur l’avenir de la Roja
La relève peut se montrer efficace, la relève peut taper ces foutus amerloques, mais la relève ne remplacera jamais la génération Gasol. Comme lors des belles années yougoslaves, la classe européenne s’est dressée devant l’ogre capitaliste aux biceps incommensurables, clamant haut et fort que les règles du jeu pouvaient être changées. Parce que même s’ils n’ont pas coulé le vaisseau ricain, les Espagnols ont personnifié “Por el Pueblo”. Parce qu’un cinq Sergio Llull, Juan Carlos Navarro, Rudy Fernandez, Marc Gasol, Pau Gasol dans le money time, c’était un code de triche qui pouvait tomber aussi bas dans les relations humaines qu’il montait haut dans la performance. Parce que nous, Français, allons autant regretter cette bande de truands… qu’adorer lui succéder. Parce que plus aucune Marseillaise ne résonnera comme celle bouillonnée dans l’enceinte de Pierre Mauroy, un 17 septembre 2015. Parce qu’on épiloguera pas sur le posteriori de cet hymne, d’ailleurs. Parce qu’on se souviendra des Espagnols comme de cet élève beaucoup trop érudit qui ne partageait pas ses copies, mais qui en fin de compte, relevait tellement le niveau de notre classe que l’on a fini par s’en inspirer. Parce que la génération Gasol est le seul ennemi que nous n’essaierons pas d’oublier, merci pour tout.
Des années durant, nous avons rêvé d’écrire ce papier et de mettre fin à une balade trop pesante pour les compagnons de compétition des Espagnols. Frissonnante pour ses patriotes, frissonnante pour beaucoup d’autres, cette Roja sera finalement regrettée par le mouvement classieux qu’elle a imposé à notre sport. Allez, hasta luego sargentos, et même toi, Rudy.