Les coachs universitaires qui tentent leur chance dans la Grande Ligue : NCAA et NBA, c’est pas toujours le même sport
Le 14 mai 2020 à 15:48 par Benoît Carlier
Véritables stars en NCAA, les coachs touchent parfois des contrats à plusieurs millions pour modeler les stars de demain et leur enseigner les fondamentaux. Et puis, de temps en temps, il arrive que les techniciens aient aussi envie de se présenter à la Draft des entraîneurs pour tenter leur chance en NBA avec plus ou moins de succès. C’est parti pour un petit tour des derniers à avoir tenté de prendre la navette pour aller chez les pros.
Historiquement, les entraîneurs de College Basketball ont du mal à prolonger leur succès sur les bancs de la Grande Ligue. A l’image de John Calipari qui a rapidement fait le chemin inverse pour retrouver un public étudiant à la suite d’une expérience foireuse dans le New Jersey à la fin des années 90, beaucoup se sont pris les pieds dans le tapis en découvrant que les exigeances de la NBA et la gestion d’un groupe d’adultes professionnels n’avaient pas grand-chose à voir avec le quotidien d’une équipe d’adolescents qui n’ont pas encore totalement fini leur poussée de croissance ou leur mue. Néanmoins, il existe quand même des exemples de transition réussie, à commencer par celle de Brad Stevens qui s’est déjà imposé comme l’une des nouvelles références mondiales de coaching alors qu’il vient à peine de passer dans la catégorie des quadragénaires. Très vite assez lucide pour se rendre compte que sa place se trouve sur un banc plutôt que sur le terrain, il rencontre rapidement du succès. Coach principal de Butler à 31 ans après six saisons en tant qu’assistant, il réussit à hisser les Bulldogs jusqu’aux deux premiers Final Four de leur histoire en 2010 et 2011, avec des joueurs comme Gordon Hayward, Shelvin Mack ou Matt Howard. Malheureusement, le beau gosse à mèche manque le tir de la gagne face aux Blue Devils et son entraîneur quittera finalement le programme sans remporter de titre national.
Ça passe…
Initialement prolongé jusqu’en 2022, il rejoindra pourtant la Grande Ligue en 2013 pour succéder à Doc Rivers sur le banc de la franchise la plus titrée en NBA à l’âge de 37 ans. Après un an d’adaptation avec un effectif des Celtics largement remodelé, il découvre les Playoffs au bout de sa deuxième saison et ne réalisera que des bilans positifs à partir de sa troisième campagne. S’il n’a jamais remporté le titre de COY, il est fréquemment cité parmi les finalistes et possède à son actif une nomination au All-Star Game 2017 et trois COM. Aujourd’hui, il fait partie des entraîneurs les plus respectés du circuit grâce à une mentalité basée sur le collectif et le partage des responsabilités. D’une certaine manière, Stevens a transposé sa philosophie du basket universitaire en NBA et c’est peut-être ce qui a causé des problèmes avec Kyrie Irving. L’élément perturbateur ayant désormais fait ses valises, on retrouve une équipe de Boston plus équilibrée et imprévisible que jamais, avec trois joueurs à plus de 20 points de moyenne par match et son ancien go-to-guy à Butler qui essaye de se faire une place au milieu de tout ça depuis sa terrible fracture en octobre 2017. En défense aussi, difficile de trouver à redire. Avec un bilan de 313 victoires pour 243 défaites et cinq qualifications consécutives en postseason, Brad a bel et bien réussi sa transition et il est difficile de l’imaginer retourner un jour superviser des jeunes.
Heureusement, il n’est pas le seul pour qui l’ascenseur n’a pas fait le va-et-vient. Du côté d’Oklahoma City, Billy Donovan semble enfin avoir gagné le respect de ses pairs et des spécialistes grâce à une saison surprenante avec le Thunder. Jusque-là réduit à un simple moniteur de colo soumis aux caprices de Kevin Durant et Russell Westbrook, puis de Melo et PG par la suite, il a enfin eu l’occasion de s’exprimer en tant que vrai leader d’un roster NBA cette année. Avec les départs de ses deux All-Stars et candidats au MVP l’été dernier, l’ancien coach de Florida pendant 19 saisons pour deux titres NCAA en 2006 et 2007 avec Joakim Noah et Al Horford notamment, a finalement pu tenter d’instaurer sa philosophie de jeu à OKC. La pression était bien présente sur les épaules du coach au moment de débuter cette année 1 de la reconstruction de la franchise mais au bout de 64 matchs dont 40 victoires soit son meilleur pourcentage de succès depuis sa première saison avec KD en 2015-16, la mission est accomplie et lui promet encore de belles années en NBA. Avec un roster plus équilibré et davantage de porteurs de balle, il s’est adapté à ses joueur en ralentissant la pace pour poser le jeu sur demi-terrain et augmenter le nombre de passes en attaque. Il en résulte un jeu moins dépendant d’un seul joueur et également plus difficile à scouter pour l’adversaire avec ses trois petits dans le backcourt capables de switcher dans toutes les situations. En cinq saisons au Thunder, Billy Donovan n’a jamais terminé avec un bilan négatif et en menant ses joueurs vers une qualification virtuelle en Playoffs cette année, il a passé le test avec brio pour s’installer durablement en NBA.
… ou ça casse
Mais parfois, il arrive que la découverte de l’environnement NBA se passe moins bien. Ces dernières années, deux exemples majeurs illustrent les difficultés que peuvent rencontrer des entraîneurs en passant du College à la Grande Ligue. Honneur au plus jeune, on risque de ne pas revoir Fred Hoiberg de sitôt en NBA. Arrivé à Chicago suite au départ de Tom Thibodeau à l’été 2015, il débarquait en terrain connu après avoir porté le maillot de Windy City pendant quatre saisons. Coach et gourou offensif des Cyclones d’Iowa State en NCAA de 2010 à 2015, il souhaitait donc appliquer ses principes de mouvement de balle et de spacing à Chicago pour en faire un poids lourd de la Conférence Est après des années passées dans une ambiance militaire sous les ordres de Thibs. Malgré la présence de joueurs tels que Jimmy Butler, Derrick Rose ou Pau Gasol, il passe à deux victoires des Playoffs lors de sa première année (42-40). Les passages de Dwyane Wade et Rajon Rondo se clôtureront également par un échec et sa dernière saison complète achevée avec 27 victoires ne fera qu’empirer les choses. Finalement, il quitte les Bulls au bout de 24 matchs lors de la saison 2018-19 avec seulement 5 succès engrangés. Sur le papier, le HC avait enfin un groupe susceptible de matcher sa philosophie de jeu mais les blessures ont eu raison de la patience de ses dirigeants. Car en plus de ne jamais réellement avoir réussi à dupliquer son modèle en NBA, le quadra n’est pas parvenu à obtenir le respect de ses joueurs et de nombreux accidents sont survenus durant son mandat. Entre le combat de boxe improvisé entre Bobby Portis et Nikola Mirotic et les coups de gueule de Jimmy Buckets, celui qu’on surnomme The Mayor a réalisé qu’il n’avait pas (encore) la poigne nécessaire pour mener un groupe de mâles alpha. C’est donc pour cela qu’il a fait machine arrière en décidant de rejoindre la fac de Nebraska où il aura davantage de crédibilité devant les joueurs.
Le second coach pour qui cela n’a pas marché n’a pas exactement le même profil. Signé en mai 2019 pour un contrat de cinq ans chez les Cavaliers, John Beilein n’aura tenu que quatre mois dans l’Ohio. Pourtant, le New-yorkais de 67 ans avait pris ses précautions en commençant par refuser les offres des Pistons et du Magic un an plus tôt. Avec trente ans d’expérience sur les bancs NCAA dont les douze dernières saisons passées à coacher la grande équipe de Michigan avec qui il a atteint deux Final Four, JB attendait juste que la bonne occasion se présente pour sortir de sa zone de confort et tenter un coup au niveau professionnel. Le défi qui lui était proposé à Cleveland avait tout l’air du plan parfait avec un effectif jeune en pleine reconstruction et des attentes inexistantes à part celle de développer tout le talent amassé à la Draft afin de préparer le début de l’ère post-LeBron. En soi, des conditions pas si lointaines de ce qu’il avait fait toute sa vie avec des pierres précieuses encore brutes à polir soigneusement. Sauf que tout ne se passera pas comme prévu et l’on constatera vite une rupture générationnelle entre le technicien et son groupe. Un comble pour celui qui a passé toute sa vie avec des ados. Allant jusqu’à utiliser des mots aux connotations intolérables dans son propre vestiaire, Beilein s’est rapidement mis à dos une bonne partie de son effectif avant que la sanction ne tombe au mois de février. Sans avoir le temps de réellement mettre en place sa stratégie très portée vers l’attaque, John et les Cavaliers se séparent à l’amiable. On ne le verra certainement plus jamais dans la Grande Ligue.
Ceux qui pourraient se laisser tenter
Puisque ce sont les seuls à rester plus de quatre ans dans une université, les coachs sont devenus des visages incontournables dans le paysage NCAA. Or, malgré une transition un peu casse-gueule pour certains, il existe quand même quelques clients qui pourraient prétendre à une belle carrière et encore plus lucrative dans le coaching en NBA. Si ça s’est assez mal goupillé pour des stars comme Rick Pitino ou John Calipari qui étaient vite revenus à leur premier amour, ils sont quelques uns à pouvoir légitimement prétendre à un banc dans la Grande Ligue dans le cas où ils seraient curieux. Parmi eux, Coach K grand visage de la sélection et donc habitué à gérer des gros égos en plus de tous les futurs All-Stars qu’il voit passer sous ses ordres à Duke depuis 1980, mais aussi Tom Izzo, la voix qui hurle sur le bord du terrain des Spartans de Michigan State depuis 1995. Avec ses nombreuses expériences en March Madness dont huit Final Four et un titre, il a également vu passer de sacrés spécimen et saurait sans nul doute imposer sa patte dans un effectif NBA. Guère plus jeune que ce dernier, Bill Self est bien en place à Kansas depuis 17 saisons. Cela devrait être suffisant pour prouver sa solidité et sa résistance à la pression sans parler qu’il a notamment eu des joueurs comme Andrew Wiggins, Joel Embiid ou les frères Morris et Kelly Oubre Jr. De quoi faire une petite équipe sympathique en NBA. Enfin, Shaka Smart est de la même trempe que Brad Stevens mais dans son propre style. Ancien meneur rapidement reconverti dans le coaching, il est déjà passé par de nombreux programmes et pourrait être l’un des nouveaux portes-drapeau de la nouvelle génération en NBA d’ici quelques années. Si tant est qu’il ait envie de se lancer dans ce nouveau défi risqué.
On l’a vu au travers de ces nombreux exemples, être un coach réputé et reconnu en NCAA n’est pas toujours synonyme de succès au niveau supérieur. Les joueurs n’ont pas le même âge, ni les mêmes intérêts et les mêmes égos. Le travail en lui-même est différent et il n’est pas fait pour tout le monde. Néanmoins, avec le background nécessaire et la philosophie de jeu adaptée, il est possible de transposer cette réussite en NBA à l’image de ce qu’est en train d’accomplir Brad Stevens à Boston. De quoi attiser la curiosité de certains qui franchiront peut-être le pas pour donner une autre direction à leur carrière sur les bancs… quitte à risquer de tout perdre. Et vous, quel entraîneur universitaire souhaiteriez-vous voir arriver dans la Grande Ligue ces prochaines années ? Mo Williams vient de signer à Alabama State et on peut avancer sans trop se mouiller qu’il espère un jour revenir en NBA, tout comme Juwan Howard (Michigan) ou Jerry Stackhouse (Vanderbilt).