Hommage à Sam Hinkie : l’architecte du Process qui collectionnait les tanks dans son garage
Le 10 déc. 2019 à 19:35 par Benoît Carlier
Si on devait résumer en un mot la décennie écoulée chez les Sixers, ce serait le Process. Et si on devait associer ce mot à une personne, ce serait évidemment Sam Hinkie, l’initiateur d’une longue période de lose à Philadelphie plus communément appelée tanking dans la communauté NBA. Il était temps de lui rendre hommage.
Dans la vie, il y a trois types de personnes. Les nostalgiques qui ont sans cesse la tête tournée vers le passé, les hédonistes qui arrivent à profiter du moment présent sans forcément penser aux conséquences de leurs actes sur le futur et les ambitieux qui tentent toujours d’avoir plusieurs coups d’avance dans l’espoir d’arriver un jour à leurs fins. Sam Hinkie fait clairement partie de cette troisième catégorie et son objectif ultime était de remporter un titre avec les Sixers, quitte à tout démonter pour y parvenir. Arrivé à Philadelphie au poste de GM à l’intersaison 2013, ce dirigeant obsédé par les stats ne s’est pas gêné pour jeter à la corbeille tous les dossiers oubliés par son prédécesseur sur son nouveau bureau afin de lancer un long processus de reconstruction surnommé plus tard le Process. Le changement ne l’a jamais effrayé et c’est ce qu’il va nous faire comprendre tout au long de ses trois années passées à la tête de la franchise basée en Pennsylvanie.
Pour commencer son mandat, il est directement plongé au cœur du sujet avec une belle Draft à préparer. Avec son onzième choix, Samy jette son dévolu sur Michael Carter-Williams qui donnera rapidement entière satisfaction à la franchise avec une saison qui lui vaudra le titre de ROY. En plus de cela, il envoie un message fort en échangeant Jrue Holiday et le rookie Pierre Jackson contre Nerlens Noel et un tour de draft appartenant aux Pelicans. Un trade qui résume bien la stratégie adoptée par le nouveau general manager qui vient de se séparer de son franchise player tout juste devenu All-Star pour mettre la main sur un rookie promis à vivre une saison blanche pour soigner une rupture des ligaments croisés. Un coup doublement gagnant pour le GM qui renforce alors son roster avec un top prospect pour les années à venir tout en s’assurant d’accumuler un maximum de défaites à court terme pour obtenir le meilleur pick possible à la prochaine Draft. Le credo est simple, les défaites d’aujourd’hui participeront à la victoire de demain.
La fin de l’été est surtout marquée par la signature de Brett Brown qui accepte de subir toutes ses folies et de flinguer son bilan en carrière dès sa première expérience en tant qu’entraîneur principal d’une équipe NBA. Comme prévu, la saison 2013-14 est un joli carnage (19-63). Quand ton go-to-guy s’appelle Thaddeus Young et que le rookie MCW et Evan Turner complètent le Big Three, on se doute que les fans du Wells Fargo Center ne s’attendent pas à retrouver les Playoffs tout de suite. Du moins on l’espère, car à chaque nouveau move Sam Hinkie nous indique que la route sera longue avant de terminer une saison en positif mais qu’il faut garder espoir. Au cours de cette campagne, il s’illustre aussi le soir de la trade deadline en se débarrassant du peu qui lui restait pour collectionner les TDD afin de préparer au mieux les prochaines Draft sur lesquelles il misait beaucoup. Mais comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, il obtient le troisième choix de la Draft 2014 à la Lottery grâce au deuxième pire bilan de la Ligue. Cela marque réellement le début du slogan Trust the Process désormais si célèbre dans la cité de l’amour fraternel.
Avec son précieux pick Philadelphie choisit Joel Embiid. Le Camerounais vient de se faire opérer du pied et sera indisponible pendant un an. Tant pis et même tant mieux, les Sixers ont le temps et Nerlens Noel va pouvoir s’épanouir comme titulaire pour sa saison rookie au poste 5. En plus de récupérer Jerami Grant au second tour, Sam Hinkie monte aussi un nouvel échange et envoie le rookie Elfrid Payton à Orlando en échange des droits sur Dario Saric et de deux futurs TDD. L’histoire se répète inlassablement car le Croate préfère rester en Europe que de traverser l’Atlantique et les Sixers savent donc qu’un autre surdoué du basket doit les rejoindre dans quelques années sans mettre en péril leur stratégie de suicide sportif à court terme. La saison se déroule comme la précédente. On peut presque compter les victoires sur les doigts de la main et Philadelphie s’incruste dans certains échanges pour compléter sa collection de tours de draft à ne plus savoir quoi en faire. C’est déjà la fin de MCW en Pennsylvanie, lui qui est arrivé trop tôt dans le processus pour espérer voir les Sixers gagner avec lui. Les disciples de Brett Brown sont sur un bon rythme et obtiennent même une win de moins pour l’An 2 de cette reconstruction. Seuls les Wolves et les Knicks font mieux… enfin pire… enfin vous avez compris et c’est donc tout à fait logiquement que les scouts du roi du tanking se préparent pour sélectionner en troisième position à la Draft. Sam Hinkie ne le sait pas encore, mais c’est déjà sa dernière foire aux rookies et il reste fidèle aux tradition en récupérant Jahlil Okafor. Un jeune pivot talentueux, c’est vrai que ça manquait un peu tiens.
Heureusement, Jojo l’Embrouille était de nouveau out pour la saison suite à une rechute suivie d’une autre opération pendant que l’ailier-fort croate décidait de rester un an de plus en Turquie avant de faire le grand saut. Avec aucun joueur de plus de 24 ans ou avec plus de trois ans d’expérience NBA sur la feuille de match pour le season opener contre les Celtics, Philadelphie est prêt pour une campagnes à montrer dans toutes les écoles de tanking. Les Sixers commencent avec 18 défaites de suite, égalant dans la médiocrité les Nets de 2009-10 et enregistrant la plus longue série de défaites de l’histoire du sport US avec 28 losses accumulées à cheval sur les deux saisons. Pour couronner le tout, Jahlil Okafor sera impliqué dans un barfight à la sortie d’un club de Boston et le tout sera évidemment filmé et partagé sur les réseaux sociaux. Philly terminera la saison avec 10 victoires et 72 défaites ce qui lui permettra d’obtenir le first pick avec lequel sera choisi Ben Simmons. Toutefois, l’arrivée de Jerry Colangelo dans l’organigramme de la franchise en cours de saison réduira le champ d’action du GM qui préférera démissionner le 6 avril 2016. En trois ans de collaboration, les 76ers et Sam Hinkie ont enregistré un bilan de 47 victoires pour 195 défaites, et même 28 victoires pour 132 défaites lors des 24 derniers mois. C’est aussi le bilan de Brett Brown en tant que coach NBA à l’époque mais il va heureusement pouvoir rester pour faire remonter ce ratio lors des années suivantes.
En effet, si la stratégie choisie par Sam Hinkie a eu pour effet de faire de Philadelphie la plus grosse punchline de la décennie et de vider le Wells Fargo Center de ses fans entre 2013 et 2016, il faut bien rendre à César ce qui est à César. La triste saison 2015-16 a tout de même mené à la Draft de Ben Simmons qui représente aujourd’hui le futur de la franchise avec Joel Embiid dont le surnom n’est autre que le Process. Le talent de Dario Saric finalement venu s’installer aux Etats-Unis en 2016 a également permis à Elton Brand de faire venir Jimmy Butler dans le cadre d’un trade avec les Wolves en novembre 2018. Enfin, avec ses nombreux choix de draft accumulés, Sam Hinkie a aussi rendu possible l’échange avec les Clippers faisant venir Tobias Harris, Boban Marjanovic et Mike Scott. Deux des trois sont aujourd’hui des éléments importants de l’effectif dirigé par Brett Brown. Une transition toute trouvée pour parler du coach qui a traversé les pires tempêtes et qui joue depuis deux ans pour une place en finale de Conférence Est. A en croire les déclarations de pré-saison, les ambitions seront encore plus hautes cette saison. En tout cas sur le papier les Sixers ont désormais un roster taillé pour le titre NBA et c’est en grande partie grâce à Monsieur Tanking.
Sam Hinkie n’est plus là mais il a laissé un bel héritage à Philadelphie. Ce n’était pas beau, ce n’était même pas très fair-play, mais la Ligue est un business et à la fin tous les moyens sont bons pour atteindre son but. Il aurait juste fallu se mettre d’accord avant pour savoir de combien de temps disposait le GM pour atteindre l’objectif fixé avec les propriétaires de la franchise. Car six ans après son arrivée au pouvoir, les Sixers ont l’air sur la bonne voie. On espère juste que Samy sera invité quand Simmons, Embiid et Brown battront les Lakers en Finales NBA en juin prochain exactement comme il l’avait prévu en 2013 lorsqu’il préparait ses coups en avance. Alors keep calm and Trust the Process.