L’improbable lettre de Joel Embiid décrivant son parcours jusqu’à la NBA : “Ma vie est un film”

Le 03 sept. 2018 à 11:53 par Aymeric Saint-Leger

Joel Embiid
Source image : Youtube - NBA

Le périple de Joel Embiid jusqu’à la NBA est une des belles histoire d’un novice de la balle orange passé à la postérité de manière soudaine et incroyable. Nous vous avions déjà conté son parcours ici, entre enfance heureuse, passion pour le foot, volley-ball, arrivée aux USA, intégration difficile, puis déclic et ascension. Le Camerounais est revenu lui-même sur son parcours dans une lettre qui lui correspond si bien dans The Players’ Tribune : drôle, pleine d’anecdotes à peine croyables, sincère, exceptionnelle.

Comme Jojo le dit si bien lui-même au début de son texte, sa vie est un film. De ne rien connaître ou presque du basketball à 16 ans, ne jamais y avoir joué, et être drafté en NBA seulement quatre ans plus tard, ça relève de l’exploit, presque de l’irréel. Ici, on ne va pas revenir sur le périple qui l’a mené de Yaoundé, au lycée en Floride, puis à Kansas. Nous allons plus nous intéresser aux anecdotes purement basket, ce qui a façonné le joueur que Joel Embiid est devenu, au fur et à mesure des années. Les inspirations de The Process, il n’y en a pas cent. Par contre, ce n’est pas n’importe qui. Hakeem Olajuwon est une d’entre elles. Le Nigérian provient du même continent que Jojo, d’un pays adjacent. De par ses skills, son poste et ses origines, The Dream est naturellement un des héros de l’actuel joueur des 76ers. Mais bien avant tout cela, avant que toutes ces similitudes puissent être avérées sur le parquet, c’est un autre grand de ce jeu qui a inspiré le Camerounais dès le départ. Sur le basket bien sûr, mais également dans la vie, et en termes de mentalité. Mamba mentality. Et oui, le premier qui a fait rêver l’enfant de Yaoundé de balle orange, c’est bel et bien Kobe Bryant.

“La première fois que j’ai regardé un match NBA, c’était lors des Finales de 2009. Lakers contre Magic. Dwight, Pau, Odom, KOBE. Je n’avais jamais rien vu de tel. Je regardais ces mecs shooter autour de 100% de réussite. Tout rentrait. La façon dont ils bougeaient, la dimension athlétique, j’ai pensé que c’était la chose la plus cool du monde. J’ai eu un moment où je me disais ‘Je veux juste faire ça’. J’ai supplié mes parents. J’ai supplié pendant un an. Mon père disait : ‘Personne ne joue au basketball au Cameroun. Tu peux jouer au volley-ball.’ Je me suis dit ‘Yo, le volley-ball’ ? […] À cette époque, je commençais à écouter du hip-hop américain sur internet, et j’essayais de chanter les paroles pour avoir l’air cool, même si je ne connaissais rien à l’anglais. Je me baladais autour de l’école en chantant ce morceau de Lil’ Bow Wow et Ciara. Vous vous en rappelez ? Tout ce que je pouvais dire en anglais c’était ‘Bonjour”, puis ‘I AIN’T NEVER HAD NOBODY DO ME LIKE YOU [refrain de cette chanson, ndlr]’. C’était mon exposition à la culture américaine – Bow Wow, Kanye et Kobe. Parfois j’allais à ce terrain à côté de chez moi où les gars jouaient au basket, et chaque fois que je shootais, je criais littéralement ‘KOBE !’. Imaginez ça. Je suis là à shooter des briques, à beugler Kobe, sur un cercle éclaté au Cameroun.”

La génération fin 80 – début 90, on vous voit. Qui n’a pas écouté du vieux hip-hop type Bow Wow et Ciara dans son adolescence ? Quel amateur de basket né dans cette période n’a jamais crié ‘KOBEEEE’ en shootant dans la position la plus inconfortable du monde ? C’est le cas de Joel Embiid, né en 1994. Comme la plupart des ados, il a un jour rêvé des States, de l’American way of life. Ce qu’il ne savait pas, c’est qu’il allait découvrir le pays de l’Oncle Sam très rapidement, par le basket. Pas forcément par le talent, mais par des capacités physique hors normes. 2m08 à 16 ans, c’est sûr que ce n’est pas banal. Ainsi, même si son père pense qu’il n’y a aucun Camerounais qui perce vraiment dans ce sport, le seul représentant de ce pays en NBA, Luc Richard Mbah A Moute, organise un camp d’entraînement au pays comme il le fait chaque été. Il y convie The Process, alors que celui-ci ne tâte la balle orange que depuis trois mois, un peu en dilettante. Comment se faire remarquer dans de telles conditions ? Il a suffi, selon Jojo, d’une seule action.

“J’étais si nerveux que je ne m’y suis même pas montré le premier jour [au camp, ndlr]. Le deuxième jour, j’y suis allé, ils m’ont fait entrer dans le match, et j’ai dunké sur quelqu’un. Je pense que j’avais si peur que l’adrénaline a pris le dessus, ou quelque chose comme ça. Tout de suite, premier match. Et je veux dire, je n’ai pas justé dunké. J’ai dunké sur quelqu’un. Je me suis dit : ‘OH SHIT’. Je veux dire, j’étais toujours mauvais, mais ça suffisait. Ils ont pu percevoir quelque chose en moi. J’ai gagné une place pour le camp Basketball Without Borders en Afrique du Sud. Deux mois plus tard, j’étais dans l’avion en direction de la Floride pour entrer au lycée aux USA.”

C’est le grand saut pour Jojo. Alors qu’il ne parle pas un pet d’anglais, il part loin de sa famille à 16 ans, pour suivre des études, mais surtout jouer au basket. Alors qu’il n’a débuté que trois mois avant les entraînements avec la gonfle. Forcément, ça s’annonçait compliqué au début, dans l’adaptation à une nouvelle vie, à une culture différente. Il a d’ailleurs plutôt très mal vécu ses premiers moments en Floride.

“Je suis allé à l’entraînement le premier jour, et j’étais si mauvais que le coach m’a viré du gymnase. Je ne savais pas ce que je faisais. J’étais si fin, si soft. Mais la pire partie était que mes coéquipiers me pointaient sérieusement du doigt, et riaient de moi, comme de stupides enfants dans les films qui parlent du lycée. J’étais fou. Je regardais ces mecs, ne comprenant pas vraiment ce qu’ils disaient, avec des yeux qui disaient : ‘Zut, les gars, allez, essayons juste de faire confiance au processus.’ Et ils répondaient seulement, ‘LOL NON TU CRAINS’. Je suis retourné à mon dortoir et j’ai pleuré. Je me disais : ‘C’est fou. qu’est ce que je fais ici ? Je ne peux pas jouer, je retourne à la maison.’ […] Par la suite j’étais assis dans ma chambre écoutant du Lil Wayne, et je pensais à ces mecs qui se moquaient de moi, et soudainement mon côté compétitif a pris le dessus. Je suis devenu très, très motivé. Quand les gens disent que je ne peux pas faire quelque chose, j’adore ça. Cela me donne envie de leur prouver si fort qu’ils ont tort. Donc je me dis : ‘Ok, je vais littéralement me mettre au travail et travailler dans le gymnase jusqu’à ce que je sois bon. Kobe.'”

Ainsi, Joel Embiid se met à bosser comme un forcené, et s’améliore bien sous le panier au fil des efforts. Mais sans fondamentaux, difficile d’avancer. Il se doit de les acquérir. Alors que cela commence à venir, son côté de compétiteur acharné s’affirme de plus en plus, jusqu’à faire des concours de tirs du parking avec une fine gâchette de son équipe, Michael Frazier II (un ancien de G League). Il prend des roustes, des déculottées, on ne peut plus normal. Mais le Camerounais ne supporte pas de perdre et veut trouver un moyen de le battre. Comme d’habitude, Jojo va s’inspirer de ce qui se fait de bien ailleurs. Mais cette fois, c’est sur YouTube qu’il recherche l’amélioration, en tapant des requêtes étonnantes, qu’il justifie.

“COMMENT SHOOTER DES 3 POINTS. Non. COMMENT AVOIR UNE BONNE FORME DE SHOOT. Non. Puis l’ampoule s’est éteinte. J’ai tapé les mots magiques. HOMMES BLANCS SHOOTANT DES 3 POINTS. Écoutez, je sais que c’est un stéréotype, mais avez-vous déjà vu un homme blanc normal de 30 ans prendre un tir à trois points ? Ce coude est replié. Les genoux sont pliés. Le fouetté du poignet est parfait. Toujours. Vous savez aux Etats-Unis, il y a toujours un gars plus vieux qui porte un sweat EVERLAST sur le terrain ? Ce mec est un problème. […] Ce sont de ces gars que j’ai appris sur YouTube. Juste des gens lambda qui shootent bien des trois points. Michael et moi jouions après l’entraînement pendant des heures, et j’essayais d’imiter comment ils shootaient la balle, et j’ai commencé à pouvoir le concurrencer. C’était fou, parce que pouvoir faire du shoot longue portée a changé mon jeu entier.”

Et pour cause. Un tel animal physique, capable d’artiller de loin, ça devient indéfendable rapidement. C’est ainsi que Joel Embiid, après un an au lycée, va être convoité par différentes grandes universités aux USA. Sur les conseils de Luc Richard Mbah A Moute, il choisit la fac de Kansas. Comme cela va être un constante pour lui, à l’image de son arrivée en NBA, lorsqu’il débarque dans un nouvel environnement, The Process a du mal à s’adapter au début. C’était le cas dans sa nouvelle équipe, lors du premier entraînement de la saison sous les ordres de Bill Self, lors duquel une mésaventure est arrivée au Camerounais.

“Lors de mon tout premier entraînement à Kansas, je me suis fait dunker dessus si fort par Tarik Black que j’ai presque abandonné. Tarik m’a postérisé si fort que je cherchais à acheter des billets d’avion pour rentrer chez moi. Ce mec était un senior, un adulte. Je ne savais pas ce qu’il se passait. Il a pris son propre rebond et m’a dunké dessus si fort que tout s’est passé en slow motion. Il a dunké la balle sur ma tête, vraiment. Mais je ne vous dis même pas la pire partie. C’était que l’équipe féminine entière de Kansas était assise dans les gradins pour regarder l’entraînement. Le gymnase entier se moquait de moi. C’était fou.”

Bon, c’est vrai que Tarik Black était un sacré athlète dans ses jeunes années. Il l’est toujours, mais au Maccabi Tel-Aviv quoi. Tandis que Jojo a lui fini par s’installer comme une figure de la Grande Ligue. Alors qu’il a failli abandonner après cet épisode, son coach Bill Self l’a rassuré, en déclarant que deux ans après, il serait le premier choix de la Draft NBA. Ce genre de promesses qui tombent à l’eau. Sauf que là, seulement un an après, Joel Embiid est choisi en troisième position de la Draft 2014. Tout ça, il le doit aussi à une personne citée plus haut, Hakeem Olajuwon. Le coach du Process à l’époque où il était encore à Yaoundé lui a envoyé une mixtape de The Dream et d’autres grands intérieurs pour l’aider à travailler à son départ aux USA. Pendant trois ans, le Camerounais a regardé cette vidéo tous les jours. Cela l’a aidé à se convaincre qu’il était un bon joueur de basket, de même se prendre pour Hakeem. La force de la conviction du prodige l’a sans doute aidé à analyser et à intégrer tout cela sur le terrain. On peut clairement dire que cela a fini par payer, lorsqu’on voit la palette de moves dont il bénéficie aujourd’hui. Vous voulez du Dream Shake version moderne ? Demandez Jojo. Si sur le parquet, le Nigérian est probablement son inspiration principale, il n’y a aucun doute sur le nom de son modèle sur l’attitude et la mentalité. Kobe revient de partout dans la tête et dans la bouche de Joel Embiid. Et il a, en quelque sorte, bouclé la boucle lorsqu’il a eu l’occasion de discuter avec le Mamba lors de sa dernière saison.

“Le moment le plus surréaliste, c’est quand Kobe prenait sa retraite et jouait son dernier match à Philly. Après le match, ils ont organisé une petite salle pour qu’on puisse parler une minute. Il est entré, j’ai serré sa main et lui ai dit ‘Mec, je sais que tu entends sans doute beaucoup ça, mais j’ai littéralement commencé à jouer au basket grâce à toi il y a sept ans. Peu importe d’où je shootais sur le terrain, je criais “KOBEEEEEE !’ Il a rigolé et on a parlé une minute, puis avant qu’il parte, il m’a dit le truc qui correspond le plus à Kobe. Pour beaucoup de gens, ça ne voudrait rien dire. Mais pour moi c’était irréel. J’étais comme dans un jeu vidéo. Il a dit, de la manière la plus Kobesque : ‘OK, jeune homme. Continue à travailler. Continue à travailler.'”

Tout un symbole. Kobe, Hakeem, les blancs qui shootent à trois points, Bow Wow, Kansas, ses parents, Philadelphie… Joel Embiid n’oublie personne à l’heure des remerciements. The Process sait d’où il émane, et sait que chacun, à sa manière, lui a apporté, et lui a permis de construire le joueur, ce film et l’homme qu’il est aujourd’hui. Le basket est désormais en lui, alors qu’il ne le connaissait pas il y a huit ans. Ce gamin de Yaoundé, qui était tout sauf prédestiné à ce destin, y est arrivé, par volonté, par travail. Un exemple pour tant de jeunes, et pour tant d’enfants en Afrique, qui ont désormais un héros à qui ils veulent ressembler en NBA.

Source texte : The Players’ Tribune