Marcus Morris s’ouvre sur ses problèmes de santé mentale : après les somnifères et le joint, c’est une psy qui l’aide
Le 23 août 2018 à 16:17 par Aymeric Saint-Leger
Sujet omniprésent dans la sphère de la Grande Ligue dernièrement, la santé mentale était un tabou il y a encore un an au sein de la NBA. La parole se délie peu à peu, par l’intermédiaire de certains joueurs, à l’exemple de Kevin Love qui est revenu récemment sur la crise de panique qu’il a expérimenté la saison dernière. C’est au tour de Marcus Morris de s’ouvrir sur la traversée du désert qu’il a vécu, et qu’il vit encore. Ça va de mieux en mieux pour l’ailier des Celtics, qui après avoir essayé la weed pour se détendre, et les pilules qui font faire dodo, est parti consulter, de quoi lui permettre d’avancer.
Dans le deuxième volet de la série d’articles sur la santé mentale de Jackie MacMullan d’ESPN, il est question des athlètes issus de la communauté afro-américaine, et de leur rapport à la santé mentale. Cet épisode, dans lequel interviennent entre autre Charles Barkley et Bruce Bowen, est centré autour des jumeaux Morris, qui ont tous les deux souhaité s’exprimer sur leur histoire personnelle, et confier leurs troubles. Même s’il a été interviewé, Markieff n’a pas réussi à se livrer personnellement sur ce sujet délicat, et on ne peut pas lui en vouloir, la confidentialité sur ce type de problèmes restant la norme. C’est donc autour de son frère que ce thème a été abordé. On peut d’ailleurs saluer le courage de l’ailier de Boston, d’entrer dans des détails si personnels de sa vie, de son enfance, de son adolescence, mais également des éléments actuels. Suivant les exemples des précurseurs en la matière, Kevin Love et DeMar DeRozan, Marcus Morris se livre à cœur ouvert sur cette problématique. Souhaitons que d’autres athlètes puissent s’inspirer de cela, que cela puisse les pousser à s’exprimer s’ils en ont envie. Entrons dans le détail des confessions de Mook, pour qui l’origine des troubles mentaux qu’il expérimente encore aujourd’hui remonte à l’enfance, et à deux fléaux : la couleur de peau et la pauvreté, tout comme la majorité des afro-américains.
Marcus Morris et son frère Markieff ont grandi dans le nord de Philadelphie, sur l’avenue Erie, dans un contexte plus que tendu. Là-bas, c’est la violence, les armes à feu et les gangs qui règnent. Regarder quelqu’un dans les yeux peut être synonyme de danger de mort. Les jumeaux ont passé les 18 premières années de leur vie dans ce quartier, où pour obtenir le respect de tous, il fallait tuer quelqu’un. Dans cet environnement complexe, ils ont eu la malchance, lorsqu’ils étaient au lycée, de voir leur maison brûler, avec le chat de la famille bloqué en son sein. Leur mère les a emmené vivre, eux et leur frère Blake, chez leurs grands-parents. Malgré l’absence d’un père (une triste constante au sein de cette communauté de l’aveu des interviewés), la famille Morris est restée soudée. Mieux que cela, les jumeaux sont si fusionnels qu’ils se protègent l’un l’autre, ils sont chacun le guide, le repère de l’autre. Mook déclare même qu’il ne serait sans doute pas là aujourd’hui, s’il n’avait pas eu son frère jumeau constamment à ses côtés. Ils ont réussi à s’accrocher, avec le sport comme échappatoire, d’une situation que Marcus décrit de manière glaçante :
“On essayait juste de survivre chaque jour. En tant qu’enfant, c’est drôle pendant quelques temps. Tu ne te sens pas en danger. Quand tu deviens adolescent, tu es sans protection, tu es une cible. Si tu portes des Jordan, ils viennent te chercher. Il y a plein de fois où j’ai dû me protéger. Tu sors de chez toi chaque jour en regardant autour de toi, surveillant tes arrières, essayant juste de rester hors de la ligne de feu. […] Tu vois des fusillades, des coups de pistolet. Une mauvaise décision, un mauvais mot, et ça devient rapidement une guerre à part entière. C’est comme ça à Philly. Tu es piégé dans une boîte. Votre opportunité est si infime, que dès qu’une personne obtient quelque chose, il la protège avec sa vie. C’est dur à expliquer si vous ne l’avez pas vécu. […] On marchait tout le temps en étant stressés. J’ai dis une fois à mon frère ‘Tu sais, on ne peut pas vivre comme ça.'”
Dans leur quartier, il n’y avait pas de blanc, ça n’existait pas. De quoi avoir une large défiance envers ces gens-là, et au sens plus large, envers tout le monde, il est impossible de faire confiance aux gens autour d’eux, même leurs propres voisins, c’est une partie de l’éducation des familles de ces quartiers. Cette éducation va continuer à la fac pour les Morris, une chance énorme pour des enfants issus de quartiers défavorisés. Pourquoi eux ? Grâce à leurs capacités physiques, et leur talent pour le basketball. Les jumeaux ont passé trois ans dans le Kansas, dans l’université de l’état, dans un autre monde. La nature, le calme, la gentillesse des habitants, tout cela a formé une bulle autour des deux forwards. Une bulle dans laquelle ils s’épanouissent tant, que lorsqu’ils retournent dans la cité de l’amour fraternel pour les vacances d’été, ils se rendent vraiment compte qu’il faut se sortir de là. Et la sortie, ils vont la trouver dans la Draft NBA de 2011, où Markieff est choisi en treizième position par les Suns, et Marcus juste après lui, par les Rockets. Mais les fortunes sont diverses pour les deux frères. Dans le Colorado, tout se passe bien pour Kieff. Au Texas, pour Mook, c’est dur. Il est envoyé en D-League, commence à douter, sans personne pour le rassurer. C’est à ce moment où les problèmes vont débuter pour lui. Au lieu de parler, discuter, il enfouit tout, ne dit rien, fait comme si de rien n’était. Cependant, la déception était si forte, que l’été suivant, Marcus refuse d’aller au camp d’intersaison des Rockets, malgré l’insistance de Daryl Morey, qui lui annonce qu’il “dessert sa carrière” s’il ne vient pas. Les premiers signes de la dépression commencent à s’installer chez le jeune joueur, qui est tout sauf à l’aise dans cet environnement. Cela va s’arranger lorsque l’ailier est transféré en février 2013 vers Phoenix, où il rejoint son frère. Enfin, s’arranger en apparence. Car malgré ses deux saisons et demie passées avec les Suns, Mook avoue qu’il n’avait pas été recruté pour ses capacités :
“Je voulais jouer avec mon frère. Ils voulaient faire en sorte de le garder heureux. Ce n’était pas à propos de moi. D’aussi loin que j’en suis dans ma carrière, ils ne se souciaient pas vraiment de moi.”
La suite semble lui donner raison, puisqu’il finit par être transféré à Detroit en juillet 2015, un trade qu’il prend comme une trahison. Ce changement va provoquer le retour de la dépression, de manière encore plus intense. Le stress est omniprésent chez lui, le basket est en train de le bouffer, à tel point qu’il pense à arrêter :
“J’ai commencé à me demander, ‘Est ce que c’est fait pour moi?’ En grandissant, j’aimais tant le jeu – c’était la seule chose qui me rendait heureux. Mais maintenant ça me stresse. C’est tout négatif. Tout business, et j’ai du mal avec ça. Donc ça commence à tourner dans ma tête. L’argent, c’est super, mais est-ce que tout ça est bon pour moi en tant qu’humain ? N’est ce pas ce qui devrait compter plus que tout ?”
Malgré l’accueil assez chaleureux des gens du Michigan, de sa nouvelle franchise, Marcus Morris se sent mal chez les Pistons. Il ne sait que faire, arrêter ? Pour aller où, retourner à Philadelphie ? Que faire ? L’anxiété augmente, le stress aussi, il plonge dans la dépression, et tous les moyens qu’il essaye pour s’en sortir sont vains. Il n’arrive plus à dormir malgré les somnifères. Il n’arrive pas à se détendre malgré la consommation de cannabis, un produit toujours non autorisé en NBA. — En aparté, c’est une problématique soulevée dans l’article de Jackie MacMullan, la possible utilisation de marijuana sous contrôle médical, pour aider les joueurs avec leurs problèmes de santé mentale. De quoi faire plaisir à Kenneth Faweed. — Rien ne marche, rien n’apaise vraiment Mook, qui va errer à Detroit pendant deux saisons. Dans un contexte encore compliqué, du fait d’un procès impliquant son frère et lui, il est transféré à Boston contre Avery Bradley. Cette affaire réglée (il fut acquitté), il rejoint les Celtics en octobre. C’est à partir de là que la situation va évoluer dans le bon sens pour lui. Il découvre à Beantown que Brad Stevens et Danny Ainge sont non seulement ouverts sur le sujet des troubles de santé mentale, mais aussi qu’ils encouragent les joueurs à chercher de l’aide pour gérer ça au mieux. Ce sont eux qui vont lui présenter une psychologue, Dr. Stéphanie Pinder-Amaker, qui connait bien le milieu puisque son mari coache l’équipe de basket de Harvard. Sceptique au début, il se rend à une réunion d’information, où il va être conquis par son discours, et par le fait que les sessions proposées sont archi-confidentielles : ni Stevens, ni Ainge, ni le propriétaire des Celtics, Wyc Grousbeck, n’aurait accès à quoi que ce soit. – pourtant, quelques propriétaires souhaiteraient être informés de ce genre de troubles chez leurs joueurs… – Marcus Morris se lance alors, et va trouver une aide précieuse auprès de cette spécialiste, qui va changer sa vision des choses, et l’aider à améliorer son quotidien :
“Elle m’a tellement aidé. Cela peut paraître idiot, mais le fait de simplement fermer mes yeux dans une pièce sombre et de respirer pendant 10 minutes chaque jour m’aide. Je sais que beaucoup de gars [dans la Ligue, ndlr] souffrent de problèmes d’anxiété et de dépression – ne sachant pas s’ils auront un boulot la saison suivante, ne savent pas s’ils vont être échangés. C’est si stressant. Tout le monde vous “tire dessus”. Ils veulent votre temps, votre argent, un morceau de votre gloire. […] Si vous souffrez de dépression, vous devriez essayer de vous débarrasser de cela plutôt que de l’enfouir, et de le laisser peser sur vous, et peser sur vous, et peser sur vous. Parler avec Stéphanie m’a permis de libérer tellement de ce stress, de l’évacuer.”
Il ne s’agit pas ici de faire la promotion de la consultation d’une psychologue, d’un traitement thérapeutique, ou de quelconque autre moyen de guérison cher à Steve Kerr, Larry Sanders et Al Jefferson. Chacun fonctionne différemment, et un moyen, une technique qui sera utile à quelqu’un ne le sera pas forcément pour une autre personne. Le fait est que c’est bien ce docteur qui a aidé Marcus Morris, et qui lui permet de se sentir mieux dans sa vie aujourd’hui, d’avoir moins de doutes, d’être plus calme, et plus heureux au quotidien. Il parle de son exemple précis, et ne se prononce pas pour son frère, pour qui cela fonctionne peut-être différemment, et qui, on l’espère, finira par arriver à se confier, puisqu’il semble avoir envie de ce faire. Mook a agi non seulement pour sa carrière, mais aussi et surtout pour sa vie à lui, et résume bien sa nouvelle philosophie, preuve qu’il a évolué :
“Nous devons chercher et trouver ce qui nous rend meilleur. Ce n’est même pas par rapport au basketball. C’est par rapport à ma vie.”
Pour les plus anglophones d’entre vous, on ne peut que vous conseiller d’aller lire en intégralité le passionnant travail de Jackie MacMullan. La journaliste d’ESPN, par son travail d’envergure, aide à ouvrir les consciences, donne une tribune à qui veut s’exprimer, et c’est admirable. De plus, cela ne fait que démontrer à quel point les troubles de santé mentale impactent de nombreux joueurs, actuels comme anciens. Le phénomène est énorme, et il est temps de s’en préoccuper grandement. Adam Silver essaye d’aller dans ce sens, ainsi que ceux qui ont ouvert la voie. Le courage de Kevin Love et DeMar DeRozan a peut-être impacté certains de leurs pairs, comme Marcus Morris. Espérons que le geste de l’ailier des Celtics puisse permettre de libérer encore plus la parole, et inspirer ceux qui souffrent de ce fléau à se prendre en main et à le gérer, chacun à sa manière.
Source texte : ESPN