Des propriétaires réclament l’accès au dossier de santé mentale de leurs joueurs : un frein dangereux au nouveau combat des NBAers

Le 21 août 2018 à 13:16 par Aymeric Saint-Leger

Kevin Love
Source image : nba league pass

Depuis la saison dernière en NBA, les langues commencent doucement à se délier sur les troubles mentaux dont de nombreux joueurs souffrent. En tête de gondole, Kevin Love et DeMar DeRozan ont exprimé leurs complications, afin de se sentir mieux bien sûr, mais aussi d’ouvrir la voie à leurs pairs qui n’osent pas parler de ce fléau, ou qui considèrent pouvoir le gérer tout seul. La direction de la Ligue a pris cette problématique à bras le corps, en engageant fin mai le docteur William Parham en tant que directeur de la santé mentale et du bien-être de la NBA. Alors que tout semblait aller dans le bon sens dans cette démarche, la volonté de quelques propriétaires de franchise pourrait enrayer la marche en avant dans ce combat déjà très complexe.

L’excellent article de Jackie MacMullan d’ESPN est le premier d’une série de cinq productions qui vont former un gros dossier sur la santé mentale en NBA. La journaliste revient sur l’état des lieux de la situation préoccupante des problèmes psychologiques dans la Ligue, à travers ses interviews de Kevin Love, avant même qu’il ne révèle ses troubles dans The Player’s Tribune. Elle prend également l’exemple de DeMar DeRozan, un des premiers à s’être ouvert sur ses états dépressifs, qui a décidé de s’exprimer pour essayer de s’extirper de cette situation complexe, mais également pour aider ses pairs à faire de même, afin de délier la parole sur un sujet plus que tabou dans une ligue sportive professionnelle. D’autres ont ainsi pu, en suivant l’exemple de l’intérieur des Cavs et du néo-Spur, s’ouvrir. Que ce soit publiquement, comme Paul Pierce, Chris Bosh, ou Markelle Fultz, ou dans la sphère privée, les joueurs sont de plus en plus nombreux à prendre conscience que l’anxiété, la dépression, les crises de panique, le stress sont des manifestations de leur cerveau, ce qui agit sur leur corps, et qu’il faut prendre en compte. C’est déjà assez dur, lorsqu’on est athlète professionnel, d’arriver à accepter que tout n’aille pas bien, même si on a de l’argent, une famille heureuse, des amis à la pelle.

Le premier pas, c’est déjà d’arriver à reconnaître qu’il y a un souci, ce qui n’est pas chose facile. Une fois cette étape passée, vient la plus difficile : accepter d’en discuter, avec quiconque, de voir un spécialiste, pour se confier, pour trouver de l’aide et ne pas rester dans une situation plus que complexe, qui est difficilement voire absolument pas gérable par soi-même. Pour John Lucas, adjoint des Rockets, environ 40% des NBAers sont atteints par de tels troubles, et seulement 5% d’entre eux essayent de chercher de l’aide. Une thèse confirmée par William Parham, le docteur engagé par la Ligue pour être le directeur de la santé mentale et du bien-être pour l’institution. Des troubles du déficit de l’attention (avec hyperactivité ou non), des problèmes de bipolarité, d’anxiété, de panique, de dépression… Nombreux sont les troubles à déceler, puis à traiter du mieux possible. Si l’abcès a enfin été crevé la saison dernière, et que le sujet est de moins en moins tabou, une rustine très peu agréable pourrait venir ralentir, voire stopper la progression dans le combat contre les troubles de santé mentale. Il s’agit de la volonté de certains propriétaires de franchises :

“Il reste encore de nombreux obstacles auxquels se confronter, parmi lesquels la stigmatisation rattachée à la santé mentale, qui pousse de nombreux joueurs à souffrir en silence. L’union insiste également que les traitements sur la santé mentale doivent être confidentiels, mais certains propriétaires de NBA, qui dans certains cas payent leurs joueurs des centaines de millions de dollars, veulent avoir un accès aux dossiers de leurs ‘investissements’. Cela n’est cependant pas la position de la Ligue. ‘La NBA soutient totalement la protection de la confidentialité des informations de santé mentale des joueurs, et, par conséquent, s’engage auprès de l’association des joueurs sur le fait que chaque programme entrepris concernant la santé mentale respectera cette confidentialité.’ a déclaré le porte-parole de la NBA Mike Bass.”

Nous ne sommes pas là pour juger personne, qui que ce soit. Nous sommes amateurs de basketball, de la NBA, des joueurs, du spectacle. Mais bien au-delà de la balle orange, il y a beaucoup de choses qui sont plus importantes que les simples performances des franchises de la Ligue. La santé mentale, le bien-être, l’éthique, le respect de chacun et particulièrement des joueurs, voilà les thèmes qui importent à tout amateur de basket, et au sens large, à tout fan de sport. Ainsi, d’un point de vue entrepreneurial, on peut comprendre le vocabulaire employé par certains des propriétaires de franchise, pour qui certains joueurs représentent de grands projets, des paris sur l’avenir, au vu des sommes d’argent en jeu. D’un point de vue moins déshumanisé, le fait d’appeler des joueurs de basketball pouvant souffrir de troubles mentaux des “investissements”, c’est regrettable, et bien plus encore. On ne parle pas ici de machines, de corps inertes, mais bien d’Hommes, qui ont des sentiments, qui ressentent des émotions, qui peuvent être fragiles comme tout un chacun, le statut de joueur professionnel n’empêchant pas d’être triste, même si l’on représente un “investissement” de plusieurs centaines de millions de dollars. Passons sur cette terminologie plus qu’inadéquate, pour nous concentrer sur la volonté des propriétaires.

L’accès à un dossier médical, qu’il émane d’un dentiste, d’un cardiologue, d’un ORL ou d’un psychiatre, ne se fait que par le patient et son médecin. Aux Etats-Unis, comme en France, le secret médical existe. Tous les professionnels de ce milieu, dans le pays de l’Oncle Sam, suivent un code d’éthique médical, qui repose sur le serment d’Hippocrate (comme en France). Dans ce code, rédigé par l’Association des Médecins Américains (AMA), il est dit que le médecin n’a pas le droit de révéler quelconque information concernant un patient sans son accord, ou celui de sa famille, à moins d’y être contraint par la loi. Il y a ainsi une exception qui permet de divulguer de telles informations, et c’est dans le cas où cela a un intérêt pour la santé ou la sécurité publique. Si le secret médical semble légèrement plus permissif aux Etats-Unis qu’en France, il existe bel et bien. Cela signifie assez clairement, que les médecins doivent, par la loi et par l’éthique, conserver l’intégrité, l’intimité et les droits du malade, sous peine de sanctions professionnelles et pénales en cas de non-respect de la vie privée du patient. Si l’on transpose cela au monde de la NBA, et à la problématique des problèmes de santé mentale, selon une certaine logique, l’accès au dossier d’un joueur souffrant de tels troubles par un propriétaire ne peut se faire que par une condition : l’accord du patient, soit le joueur. Cela apparaît comme l’unique moyen de ce faire, à moins qu’à coup de millions de dollars, ces quelques propriétaires puissent négocier un accès à ces dossiers médicaux. Ou alors faudrait-il changer la loi et le code des médecins aux Etats-Unis, ce qui semble difficilement faisable.

La pression des propriétaires pourrait peser sur les joueurs. De peur de perdre leur place en cas de refus de droit d’accès à leur dossier de santé mentale, certains pourraient se laisser entraîner à faire quelque chose qu’ils ne souhaitent pas. Fort heureusement, la Ligue ne va donc pas dans ce sens, bien au contraire, en assurant une confidentialité aux joueurs qui utiliseraient les services du Dr. Parham et de ses équipes. Les déclarations courageuses de Kevin Love et DeMar DeRozan ont fait prendre conscience à Adam Silver et à Michele Roberts, la présidente du syndicat des joueurs, que mener une politique compréhensive sur la santé mentale était une priorité. Tant que les têtes pensantes de la Ligue sont dans cet état d’esprit, le processus de prise en charge des troubles psychiques des NBAers devrait suivre son cours, en toute discrétion, et continuer même à évoluer pour s’occuper et aider de mieux en mieux les acteurs de la Grande Ligue qui passent leurs inquiétudes sous silence. La confidentialité est la condition qui doit être absolument respectée pour que cette démarche soit couronnée de succès. C’est en tout cas l’avis de Kevin Love :

“La confidentialité, dit Love, doit être non négociable. Sans cela, dit-il, il ne se serait jamais senti assez à l’aise pour pouvoir annoncer dans la période du All-Star Game qu’il cherchait un traitement, un moyen de se faire aider.”

On ne peut décemment que s’accorder avec le franchise player des Cavaliers qui vient de signer un nouveau bail dans l’Ohio. La lutte contre les troubles de santé mentale s’accélère en NBA. La prise en compte du bien-être des joueurs semble être une des priorités du commissionnaire Adam Silver. Si tout cela paraît en bonne voie, espérons que l’influence financière des propriétaires de franchises de la Ligue ne pousse pas les joueurs à accepter de voir leurs dossiers médicaux dévoilés, ou pousse ces derniers à se taire sur les démons qui les hantent. Pour le bien-être de tous, et pour l’image de la National Basketball Association, ces quelques propriétaires ne devraient pas avoir gain de cause. Un premier grand cap a été passé la saison dernière, souhaitons que ce soit le premier d’une longue série. La richesse et la gloire, c’est bien, le bonheur, le bien-être, se sentir bien dans ses sneakers, c’est et cela doit rester la priorité du joueur de basket, qui reste avant tout, un être humain, avec ses forces et ses faiblesses. 

Sources texte : ESPN, Libération


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