The Spurs way : comment garder une équipe ultra-soudée, dans une saison bien compliquée

Le 21 mars 2018 à 15:49 par Aymeric Saint-Leger

Spurs parker ginobili
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Pour bien des raisons, la cohésion de l’équipe de San Antonio aurait pu exploser cette saison : un roster en transition, un franchise player absent, une concurrence accrue à l’Ouest, on en passe et des meilleures. Malgré tout, les Spurs gardent la tête haute, se battant avec leurs armes. Leurs quatre victoires d’affilée, série en cours, le prouvent. Ce ne sera pas forcément suffisant pour aller en Playoffs cette saison, mais même si ce n’est pas le cas, le comportement de tous les membres de la franchise aura été exemplaire. The Spurs way.

Les Spurs ont failli toucher le fond. Il y a à peine une semaine, ils étaient dixièmes de la Conférence Ouest, une place qu’ils n’ont pas connus depuis au moins… le temps où le crâne de Gino a commencé à se dégarnir. Pire encore, pour la première fois en vingt-et-un ans, San Antonio a eu un bilan négatif pendant plus d’un mois. C’est tellement si inhabituel chez eux que les hommes de Gregg Popovich auraient pu prendre peur, paniqués à l’idée d’être l’équipe qui allait mettre fin à l’incroyable série de la franchise. Mais le Grand Manitou Serbo-Américano-Croate est toujours là pour soutenir et pousser ses joueurs. La preuve, les Éperons viennent de remporter quatre succès de suite, dont trois contre des équipes playoffables de leur conférence : New Orleans, Minnesota et Golden State. Et tout ça, sans Kawhi Leonard. The Claw a raté 61 rencontres sur les 71 qu’ont déjà disputé les Spurs. Le franchise player manque terriblement à son équipe. Mais au-delà de l’homme le plus silencieux sur Terre, les absences se sont enchaînées : pas moins de 185 matchs ratés par l’ensemble de l’effectif Texan, soit environ 12 par tête. C’est un chiffre énorme, qui aurait pu conduire à l’explosion pure et simple du roster ou du moins de la confiance en son sein, et à une fin de saison loin de la course aux joutes printanières. Implosion du groupe ? Que nenni. Ce qui aurait pu être le cas dans la majorité des autres franchises si une telle situation s’était présentée, ne s’est pas déroulé chez les Spurs. Parce que ce sont eux, justement.

Le Spurs Basketball, on le connaît sur le terrain, avec une circulation de balle léchée, des joueurs à l’opposé de l’égocentrisme, etc… Mais cette maxime s’applique également en dehors du terrain. Par des meetings, des moments sympathiques, des séances vidéos, des événements de groupe, et par tant d’autres biais qui symbolisent un groupe qui vit bien, ensemble. On ne les a pas beaucoup entendu parler, ni les joueurs, ni le staff. Une espèce d’autarcie salvatrice s’est installée au sud du Texas. Faire front, dans le silence, réunis, afin d’éviter que l’élimination avant la postseason arrive. Pop et ses soldats sont restés en ordre de bataille, malgré tout, comme depuis tant d’années. Les témoignages sont poignants, de la part du coach, de ses vétérans, des nouveaux, de n’importe qui dans la franchise. Tout le monde se sent comme partie d’une famille très proche, et c’est sans doute la soupape qui a permis à la cocotte en ébullition de ne pas exploser. Des galères ? Pas de soucis. L’état d’esprit est toujours là, la méthode est toujours la même depuis des années, la force mentale peut déplacer des montagnes à condition d’être soudé. Les membres de l’organisation d’Alamo City le sont restés, et ils en ont témoigné auprès de Michael C. Wright d’ESPN :

“Cela a été une saison frustrante. Mais les challenges ont réussi à rapprocher de nombreuses personnes. Vous devez faire beaucoup de différentes choses pour essayer de vous maintenir à flot. Cela a été enrichissant, aussi contre-intuitif que cela puisse paraître.” – Gregg Popovich

Kyle Anderson, le jeune ailier de 24 ans, comprend ce que dit Pop, mais apprécie moins tout l’enrichissement collectif que la situation complexe peut amener aux Spurs :

“Je respecte tout ça [ce que dit Pop, ndlr], mais je veux gagner. C’est ce qui compte le plus pour moi. Nous nous améliorons, nous apprenons, et cela peut juste nous rendre plus durs sur le long terme. Mais je préférerais gagner ces matchs.”

Gregg Popovich, grand humaniste s’il en est, prend du recul, et arrive à analyser tous les bénéfices que San Antonio peut retirer d’un tel contexte :

“Je pense que dans tout ce que nous faisons, peu importe notre chemin dans la vie, on peut trouver des choses gratifiantes. Certains événements sont décevants. D’autres vous challengent. D’autres encore sont excitants. Mais c’est enrichissant de voir les gars réagir en fonction des minutes qu’ils jouent; certains de ces jeunes gars ont eu très peu de temps de jeu auparavant.”

Même Rudy Gay, un des derniers venus dans l’équipe, témoigne de l’esprit incroyable qui règne au sein de l’équipe. Du haut de ses 31 ans, et dans sa douzième saison NBA, l’ancien de Memphis comprend mieux le message que fait passer Pop grâce à son expérience :

“Pour être honnête avec vous, je le prends avec la valeur que ça a. Ça a été une dure saison pour moi, et une saison compliquée pour l’équipe. Mais je met tout en perspective, je relativise. Je suis juste heureux d’être capable de jouer. Mais je peux comprendre ce que Pop dit parce que nous nous sommes rassemblés. J’ai ressenti que nous nous sommes rapprochés en tant que groupe, et chacun est, dans l’ensemble, sur la même longueur d’onde. Les blessures, le fait qu’il nous manque des joueurs, et ne pas être capable de jouer à notre plein potentiel, c’est dur pour nous. Mais nous nous sommes accrochés ensemble. Nous n’avons jamais dévié de notre but, qui est de gagner.”

La fraternité, le fait de se rapprocher, et l’envie persistante et irrésistible de continuer à gagner ont permis aux Texans de tenir bon. Et c’est bien parce que l’organisation des Spurs est ce qu’elle est depuis des décennies que tout ne s’est pas écroulé, et le coach de 69 ans tient à le rappeler :

“La manière dont ils se tendent la main les uns aux autres, dont ils restent de bons coéquipiers alors que les cinq titulaires changent constamment, ils ont montré beaucoup d’empathie et de patience les uns avec les autres à cet égard. Et je pense que ça leur a permis de garder leur tête haute. Même si nous avons perdu certains matchs dans la dernière ligne droite ou en fin de quatrièmes quart-temps, ils ont conservé leur aptitude à prendre du plaisir en jouant avec les autres. Donc c’était gratifiant d’assister à cela. Parce que beaucoup d’équipes, peu importe le sport, auraient juste encaissé d’une certaine manière, et ces gars n’ont pas fait ça du tout.”

Danny Green, l’artilleur longue distance maison, arrive également à trouver des côtés positifs à cette saison galère. Il en a vu passer, des années victorieuses avec les Spurs, puisqu’il en est un représentant depuis l’été 2010. Pour lui, cela a d’autant plus soudé le groupe, mais cela a aussi permis à des jeunes, comme Kyle Anderson, de prendre de l’expérience :

“Il faut se dire : on peut trouver une lueur d’espoir dans n’importe quoi. Ces jeunes ont eu une superbe opportunité de montrer ce dont ils sont capables, et je pense que c’est super pour eux, pour que leurs carrières aillent de l’avant, et pour nous en tant qu’équipe, ça permet de se forger un caractère, de la profondeur, de la confiance et de l’expérience avec ces joueurs plus jeunes. […] Nous espérons que lorsque nous récupérerons tout le monde dans de bonnes conditions, ça ira bien pour nous.”

Si les joueurs ont montré une force de caractère assez sensationnelle pour tenir bon, sans leur franchise player, il ne faut pas oublier l’encadrement de l’équipe. C’est bien connu, Pop a un ordinateur dans la tête, et n’oublie personne dans le succès que le non-effondrement de son équipe cette saison représente déjà, alors que nous sommes encore dans la phase régulière. Et oui, du haut de son grand âge, même Gregg Popovich continue à progresser, et à apprendre :

“Chacun d’entre nous [les coachs, ndlr] sommes plus engagés en dehors du terrain, en regardant des vidéos, en montrant ce qu’est une bonne transition défensive, ce qu’est un mauvais repli défensif. Pour nous, il y a eu beaucoup plus de temps passé à parler aux gars avant et après les entraînements, à la mi-temps, montrer aux gens des exemples, parce qu’ils n’en avaient pas. C’est une opportunité que nous avons de “coacher” un peu plus  dans un certain sens. C’est amusant d’enseigner. Ces gars, vous pensez qu’ils ont grandi, et qu’ils sont ce qu’ils sont. Mais il y a toujours des joueurs qui ont besoin de barrières. Ils veulent de la discipline. Ils veulent s’améliorer. Donc, c’est notre travail de continuer à leur apprendre des choses. Plus l’année avance, plus vous réalisez différentes choses.”

Toutes ces déclarations relatent d’un état d’esprit sans faille, de comportements exemplaires. Surtout, elles font ressentir toutes les émotions par lesquelles sont passés tous les membres du groupe de San Antonio. Les Texans sont quasiment devenus une famille, les liens du sang en moins. Une fratrie de joueurs, un patriarche, tonton Messina et tata Hammon, et cinq trophées de famille sur l’étagère, cela ressemble fort à des frères et sœurs, si ce n’est de sang, au moins d’armes. Combien de joueurs sont passés par ce coin du pays et ont affirmé que la franchise est unique en son genre ? Qu’on est aussi bien considéré en étant le 15ème homme que le futur Hall of Famer présent sur le banc ? Les traditions sont présentes et ancrées chez les Spurs, comme le repas au restaurant payé par Popovich à ses joueurs. On a encore en souvenir les témoignages des gars effondrés après le tir de Ray Allen en 2013, se promettant autour d’une table de revenir plus fort la saison prochaine. On a encore en tête les clips vidéos assez fantasques, avec Matt Bonner et compagnie en mode groupe de rock. Le groupe vit parfaitement, malgré tout ce qu’il s’est passé, malgré l’immense battage médiatique autour de la situation de Kawhi Leonard. Aller manger les uns chez les autres, c’est normal chez eux. D’autant plus dans une saison aussi compliquée que celle-ci. Coach Pop y est même allé de sa petite projection privée du documentaire 13th d’Ava DuVernay en janvier dernier.

Quand on est ensemble quasiment 300 jours par an, c’est prépondérant de s’entendre convenablement avec tout le monde, et de connaître ses partenaires. Découvrir les autres, leurs cultures, leurs habitudes, c’est aussi un leitmotiv pour la franchise de San Antonio. Cela s’explique justement par les différences culturelles que l’on peut trouver dans l’équipe : rien que cette année, on compte deux Français, un Espagnol, un Letton, un Australien et un illustre Argentin dans le roster de Popovich, possédant lui-même une double nationalité. Et c’est une tradition, puisque se sont succédés de nombreux joueurs non-américains chez les Spurs, comme Tiago Splitter, Babac, Fabricio Oberto, Marco Bellinelli, Boban Marjanovic et tant d’autres. En dehors du terrain, l’union fait la force pour Tony Parker et ses potes. Il en est de même sur le terrain. Même démunis, les Éperons n’en oublient leur jeu collectif. En attaque, cela tourne certes autour de LaMarcus Aldridge en l’absence de The Klaw. Cependant, tout le monde est impliqué dans le processus offensif, sans parler de défense. Cette saison, lors de trois rencontres, huit joueurs différents ont marqué 10 points ou plus lors de la même partie. C’est la marque de fabrique de San Antonio, et ce sont les seuls de la Ligue à avoir réalisé une telle performance. Le banc des Spurs est prédominant dans la recherche de bons résultats. Sur les 71 confrontations qu’ils ont joué cette saison, leurs joueurs non-titulaires ont scoré moins de points que leurs homologues à 19 reprises seulement. Chacun, de Brandon Paul à Bryn Forbes en passant par JoLolo est important pour la franchise. Si vous cherchez la définition d’équipe dans un quelconque dictionnaire, ne soyez pas surpris si vous tombez sur une photo d’un huddle de San Antonio, coachs et joueurs compris.

Les Spurs auront bien besoin de tout le monde, en espérant le retour de Kawhi Leonard qu’on n’en finit plus d’attendre. En restant soudés, ils parviendront peut-être à battre leur propre record, celui du plus grand nombre de Playoffs consécutifs disputés, en portant leur marque à 21 éditions d’affilée (record actuel tous sports américains confondus). Pour cela, il faudra s’accrocher, puisque le calendrier de San Antonio s’annonce ultra-tendu sur les prochaines semaines. Cinquièmes à l’Ouest, avec trois matchs d’avance sur la place du con, les Éperons pourraient bien tenir bon jusqu’à la post-saison. Et même s’ils n’y réalisent pas de performances incroyables, Popovich et ses hommes auront déjà établi de grandes choses cette année, en tant qu’équipe soudée, tous ensemble.

Source texte : ESPN