Si Russell Westbrook est adoré aujourd’hui, il faudrait revoir notre critique de Wilt Chamberlain

Le 03 mai 2017 à 09:47 par Bastien Fontanieu

Russell Westbrook
Source image : Tuxboard

Au terminus d’une immense saison désormais gravée dans la légende, Russell Westbrook n’a plus qu’à attendre son titre de MVP, probablement décerné le 26 juin prochain. Cependant, voir l’animal coucher record sur record nous a aussi poussé à devoir penser à un monstre d’une autre génération.

C’est une réflexion qui s’est créée en milieu de saison, dans une semaine froide de la capitale. Rien de bien anormal, nous direz-vous. Pendant que le meneur du Thunder enchaînait les performances historiques et repoussait les lois du numérique, une piste se dessinait d’elle-même, comme si celle-ci nous menait de façon magique vers un être oublié. Un titan abandonné. Wilton Norman Chamberlain aka Wilt, l’homme de tous les records. Enfin tous, pas tellement. Mais les plus grands, les plus impressionnants, les plus iconiques de notre sport, ça oui certainement. Le match à 100 points en 1962, la rencontre à 55 rebonds sur la tête de Bill Russell, 50 points de moyenne sur une régulière, plus de 48 minutes par match pendant toute une campagne : traverser la carrière du natif de Philadelphie peut vous faire perdre la tête, tant les accomplissements statistiques sont effarants. Disparu depuis cette tragique journée d’octobre 1999, Chamberlain reste connu pour ces deux grandes choses. Avoir apparemment couché avec près de 20 000 femmes dans toute son existence, et avoir installé des records qui semblent intouchables dans l’histoire de son sport. Cependant, le Big Dipper est aussi populaire pour un fait collectif marquant : celui de n’avoir remporté “que” 2 bagues en 14 saisons, notamment à cause d’un esprit mitigé de la compétition. En étant le phénomène physique et athlétique le plus gâté du basket (sorry Shaq, sorry Bron), c’est une tâche qu’il n’a pu effacer de son CV, une qui l’a rongé pendant des années avant qu’il retrouve son calme intérieur.

Une qui le mène vers nous justement, et cette réflexion mentionnée en entrée. Si Russell Westbrook est adoré aujourd’hui pour ses accomplissements statistiques hors du commun, n’est-il pas temps de changer notre opinion concernant Wilt Chamberlain ? Après tout, ce n’est pas comme si le Brodie était un quintuple champion NBA, si ? Tout de suite vient l’évidence liée à l’apparence, celle qui bouclait le dernier paragraphe. La stature humaine du meneur d’Oklahoma City, des dimensions dans lesquelles on se reconnaît en tant qu’hobbits de la Ligue. Le style de jeu également, avec cette hargne et cette explosivité qui ne peuvent laisser quiconque de marbre, loin du boom-boom-dunk de Chamberlain. La proximité dans le temps enfin, Westbrook proposant davantage de contenu que Wilt puisqu’il est de notre époque et non celle des Beatles. Ajoutez à cela le fait que depuis la nuit des temps l’homme préfère voir David l’emporter plutôt que Goliath, le départ de KD l’été dernier pour en faire un martyr, et vous obtenez une interrogation aussi plate que la comparaison en l’espace de quelques instants. Seulement, pour une fois, notre devoir est peut-être de retourner notre mode de réflexion, et observer la carrière du Big Dipper sous un autre angle. Un dont on ne parle pas assez, à cause de cette dimension physique à la fois imposée et offerte géant. Un qu’on a tendance à laisser de côté, à cause de cette recherche permanente de bagues à collectionner. Comme si une carrière n’était déterminée que par l’obtention de multiples titres, machin étant moins bon qu’untel parce qu’il a une bijouterie moins remplie. Bonjour le circuit fermé.

La vie de Wilt était faite pour être hors-normes. Parce qu’il était plus grand, plus fort, plus imposant et donc davantage censé dominer, Chamberlain était comme prisonnier de son propre destin. Des choix, il n’en avait guère, et ses adversaires en profitaient justement pour le matraquer sous les arceaux. Il le décrivait d’ailleurs assez bien, lorsque la cinquantaine sonnait mais que son sourire restait des plus brillants : sa carrière était malheureusement déjà dessinée avant qu’il ne joue la moindre minute en NBA, car la pensée commune était et est encore la suivante. S’il remporte des titres c’est normal car il est plus dominant physiquement, mais s’il n’en remporte pas assez c’est la honte car il aurait dû tout écraser. Bien. Relisons cette phrase, pour comprendre l’absurdité de celle-ci du point de vue des fans. Sommes-nous assez stupides pour perpétuer cette méthode de réflexion ? Est-ce blasphématoire de jouir devant une immense saison régulière, si elle n’est pas suivie par de grands Playoffs ? Ne devrions-nous pas justement célébrer l’excellence individuelle, sans avoir à faire un détour permanent par le palmarès collectif et les succès au mois de juin ?

Ah.

Tiens.

Cela nous rappelle quelqu’un.

Et c’est là que Russell Westbrook est arrivé dans nos pensées, telle une contre-attaque du Thunder lancée en pleine Chesapeake Arena. Cette saison, le niveau d’adoration réservé pour le meneur d’Oklahoma City a dépassé tout ce qu’on pouvait imaginer sur la planète basket. Même Stephen Curry, pourtant darling officielle de la NBA sur ces trois dernières années, était rangé au placard au profit de cette machine à triple-doubles. Pour faire simple, tout ce qui touchait à Russell était viral, discuté, partagé, débattu, adoré, parfois détesté mais souvent respecté. Pourtant, jusqu’à preuve du contraire, Westbrook n’est plus en course pour le titre. Pourtant, jusqu’à preuve du contraire, sa bijouterie est vide. Et pourtant, jusqu’à preuve du contraire, il n’est pas attendu dans un an aux portes des Finales, même avec un été chargé à venir. D’où la réflexion initiale, et cette envie de pointer du doigt tout deux-poids-deux-mesures qui serait mis en place chez les fans. Peut-on adorer Russell pour ce qu’il fait, sa domination individuelle et les barres numériques franchies ? Tout à fait, et on le conseille d’ailleurs, surtout pour ses dimensions. Mais à ce moment-là, faisons de même avec Chamberlain, qui a lui aussi écrasé des régulières entières, sans pour autant finir la saison avec une bague au doigt. Acceptons le fait que ce ne sont pas des centimètres, des kilos en plus ou un coup de poing sur le torse qui vont créer cette distanciation, mais simplement qu’on est restés enfermés depuis trop longtemps dans cette dictature de la bague, alors que la domination individuelle est aussi jouissive et belle à célébrer au quotidien. Car elle l’est, dans la NBA actuelle ! Le titre l’est aussi de façon assez évidente, mais l’excellence d’un homme tout autant.

Ou alors… Westbrook devra bientôt recevoir le traitement que Wilt a eu, parce qu’il aurait “dû” gagner davantage de titres à cause de sa force personnelle, alors que ses coéquipiers étaient eux aussi borderline en début de carrière. Non, clairement, ce n’est ni fun ni en adéquation avec nos sentiments. On adore Russell, parce qu’il peut tout faire, réaliser l’impensable, monter sur trois défenseurs, dominer la Ligue dans chaque catégorie, et le faire sans décapiter qui que ce soit ou être titré en juin. Mais ces qualités sont aussi partagées par Wilt Chamberlain, une légende dont on a trop souvent tiré un sale portrait, alors qu’il mérite lui aussi autant d’admiration. Multiples bagues, ou non.