La nomination qui dérange : Yao Ming au Hall of Fame, un vote davantage politique que sportif ?

Le 12 sept. 2016 à 07:42 par Bastien Fontanieu

Yao Ming

C’est une phrase qui a été écrite, répétée, martelée plus d’une fois ce weekend : Yao Ming ne mérite pas d’être au Hall of Fame. Vraiment ? Et si on prenait le temps, justement, de se poser sur le dossier du géant afin de comprendre son intronisation.

Un choix purement politique. S’il n’était pas Chinois, il n’aurait pas eu son entrée. C’est facile le basket, quand tu fais presque 2m30. Elles furent nombreuses, parfois borderline et souvent reflet d’un malaise identitaire. Les envolées de ces derniers jours entourant l’entrée de Yao au paradis du basket ont créé un petit débat, nous forçant à devoir rappeler point par point en quoi le joueur formé à Shanghai devait être applaudi ce vendredi. Et dans un modèle qu’on affectionne tout particulièrement, en discussion avec Jean-Mi et Mouloud, nous allons tenter de voir quelles sont les failles et les murailles de son dossier.

# Yao Ming ne mérite pas d’entrer au Hall of Fame.

  • Déjà, rangeons immédiatement les questions de mérite, please. Le jour où vous aurez une telle pression sur les épaules, et que vous arriverez à tenir 8 ans en NBA, on s’appelle. Par définition le mérite est ‘ce qui rend quelqu’un ou sa conduite digne d’estime, de récompenses, en prenant compte des difficultés surmontées’. Et aux dernières nouvelles, Yao coche ces cases en fermant les yeux.

# On te parle de mérite sportif, le mec n’a joué que 8 saisons en NBA…

  • En effet, cela ne représente ‘que’ 486 rencontres dans la Ligue. Cependant, sauf erreur, ils sont 13 joueurs à avoir été intégrés au Hall of Fame, en ayant participé à moins de rencontres que l’autre lampadaire. Des copains qui, d’ailleurs, ont parfois de moins bonnes statistiques ou moins de récompenses individuelles comme collectives (Georges Yardley, Ralph Samspon) que lui. Oui, le comité ne prend pas que les lignes numériques ou les présences dans les All-NBA Teams en compte. C’est une réalité qu’il faut garder en tête, et qui nous pousse à souligner un point fondamental dans cette affaire.

# Et c’est quoi, ton point fondamachin ? 

  • C’est qu’on a tendance à appeler cette institution le Hall of Fame, mais qu’il s’agit en vérité du Naismith Memorial Basketball Hall of Fame. On répète, pour les plus lents au fond du bus. Le Basketball… Hall of Fame. Il n’est donc pas question de récompenser uniquement les carrières effectuées en NBA. Les légendes félicitées chaque année contribuent dans tant d’aspects ! Il existe quatre catégories, qui sont constamment représentées : les joueurs, les entraîneurs, les arbitres, et les contributeurs. Pour donner un exemple, Oscar Schmidt est un ‘contributeur’, avec pour distinction d’être le que meilleur marqueur de l’histoire des Jeux Olympiques. Et Sarunas Marciulionis y est en tant que joueur, pour des raisons aussi américaines que mondiales.

# Mais Yao, tu vas pas le mettre chez les joueurs quand même, si ?

  • C’est là qu’on peut éventuellement en débattre. Si on se base sur l’impact du joueur au niveau international et donc l’ouverture créée sur le marché chinois, on pourrait l’insérer dans la catégorie des contributeurs. Sauf qu’on parle quand même d’un gars qui tourne, sans transpirer, à 19 points, 9,2 rebonds et 1,9 contres de moyenne sur sa courte carrière NBA. On est sur du contributeur bien vénère, 8 fois All-Star, 3 fois MVP du Championnat d’Asie, c’est bien plus que d’autres anciens qui ont été pourtant intronisés.

# Huit fois All-Star, huit fois All-Star… heureusement qu’il était Chinois…

  • Et ça, si c’est pour faire référence au système de votes qui a souvent propulsé Yao dans le cinq de départ, c’est assez borderline. Heureusement que Yao était Chinois ? Bon, donc heureusement que Earl Lloyd était le premier joueur noir à évoluer en NBA, c’est ça ? Heureusement que Maurice Stokes est décédé à 36 ans ? Stop. Ces deux hommes ont été accueillis au Hall of Fame, pour des raisons qui dépassent la feuille de match ou les récompenses sur le CV. Il faut aussi être capable de sortir du cadre strictement sportif, et comprendre l’impact qu’un joueur a eu sur l’histoire du jeu. En Asie, il y a un avant et un après Yao Ming, point barre.

# Mais c’est une nomination politique, non ? C’est quand même bizarre !

  • Il est évident que ce vote conforte la NBA dans ses démarches actuelles. Après tout, Adam Silver et David Stern avant lui souhaitent développer leur entreprise sur le marché chinois, un choix logique d’un point de vue business. Il y a donc un aspect inévitablement politique. Mais utiliser ce terme nous donne un sale arrière-goût, et c’est celui d’un vote… corrompu. On peut tout à fait lâcher un sourire et affirmer que c’est quand même infernal de voir Bill Laimbeer attendre son heure depuis des siècles, alors que Yao termine sa carrière, passe par la case départ, reçoit 20,000 euros et entre au Hall of Fame. Mais de là à vouloir manipuler le processus, non. Disons que cela ‘tombe bien’…

 # C’est quand même bien plus facile, quand tu toises à 2m30 hein.

  • Très lourd, cet argument. C’est quand même bien plus facile, quand t’as le poids et la mobilité du Shaq. C’est quand même bien plus facile, quand t’as les mains de Jordan. C’est quand même bien plus facile, quand t’as la vitesse d’Iverson. Si être aussi grand était un jeu d’enfants, on peut savoir pourquoi 25 joueurs ont évolué en NBA en faisant plus de 221 centimètres et seulement 3 d’entre eux sont au Hall of Fame ? On a Arvydas Sabonis, qu’on ne va même pas présenter tant il a apporté au basket européen et mondial. On a Ralph Sampson, qui lui-même a été choqué d’être nominé mais a réalisé une carrière universitaire énorme avant de chambouler la Ligue sur sa courte carrière. Et on a enfin Yao, simplement le meilleur joueur de l’histoire en Asie (la bise à Carlos Loyzaga) et accessoirement responsable du boom de la balle orange là-bas. 

# Du coup, on va avoir droit à des nominations WTF à l’avenir ?

  • Non, pas totalement. Disons qu’on va voir des joueurs entrer comme souvent au Hall of Fame, sans avoir écrasé la concurrence en NBA. Et il faudra montrer une vraie ouverture, c’est important. On adore cette Ligue, donc on regarde souvent cette cérémonie annuelle avec nos jumelles habituelles. Mais il faut aussi observer le basket dans son ensemble, et ne pas s’étonner si certains sont acclamés pour des raisons diverses et variées. Tiens, Jason Collins entrera par exemple un jour à Springfield : il n’a peut-être pas dominé, mais il a contribué à l’évolution du sport en faisant son coming-out. C’est indéniable. Yao ? Non seulement il a dominé sur les parquets, mais il a aussi contribué à l’évolution du sport à sa façon.

Il est toujours compliqué de regarder les résultats des votes pour entrer au Hall of Fame sans utiliser nos références pro-NBA. Mais c’est aussi le rappel que nous devons effectuer auprès de nous-mêmes, dans le cas de Yao Ming. Ce phénomène a changé la vision du sport sur son continent, dominé à son poste pendant qu’il était en NBA, et offert les statistiques nécessaires afin d’être honoré. Deal with it. 

Source image : YouTube


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