Gregg Popovich : Homme, Coach, Tueur

Le 09 nov. 2012 à 20:40 par Bastien Fontanieu

La NBA est un marché d’hommes géants, dans les deux sens du terme. On y rencontre tout type d’individus physiquement extraordinaires et qui ont la personnalité qui va avec: grincheux ou rayonnants, jeunes et âgés, craints ou adulés. Il y a aussi la lumière ou l’ombre, chacun étant attiré par la gloire et les spotlights, les dollars et le pouvoir médiatique/financier. Dans cette logique plutôt évidente, un homme sort du troupeau: Popovich, Gregg Popovich. Un peu de tout ce qui a été évoqué auparavant, mélange de finesse et de rigueur, un cerveau à la tête de la meilleure franchise de ces dix dernières années. Pourtant, la reconnaissance de son travail tarde à venir, mais il n’en a cure. Popovich est programmé pour gagner, un homme particulier, un coach exceptionnel, un tueur sans regrets. Story.

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1 Mai 2012, jour de repos chez nous. Pourtant, à près de 9.000 kilomètres d’ici, un groupe d’hommes travaille. On les appelle les Spurs. 21h30, Tim Duncan sort du terrain en traînant des pieds et tape comme d’habitude dans la main de son coach bouche fermée. A +24 pour son équipe en fin de troisième quart-temps face aux Jazz au premier tour des PlayOffs, l’affaire est pliée. Le rouleau compresseur est donc passé une nouvelle fois, sans exploits ni fioritures, du concentré et de l’application comme depuis si longtemps avec ces Spurs. Il est donc devenu coutume de se prendre des raclées par les “noirs et blancs”. C’est comme ça, 4 titres en 11 petites années et toujours la main mise sur leur division, leur conférence, leur Ligue même.

Un homme est derrière tout ça. Non, pas Duncan. Derrière. Petit, tassé, les cheveux blancs en pagaille, la gueul* balafrée, l’accent texan, la grimace devenue habituelle. Popovich c’est ça, et plein d’autres choses. Sorte de monstre slave à en faire peur les enfants, qu’on aime pas pour son manque de « cool attitude », trop rigoureux, grande gueul* qui insulte, explosions de fureurs imprévisibles. Pop’ mélange tout ça, et encore des tonnes d’autres choses qui le caractérisent si bien. L’homme dérange donc, par ses méthodes et son caractère. Mais c’est bien de là que vient la réussite exceptionnelle du club de San Antonio ces dix dernières années. Pas de biographie cette fois-ci, mais un rappel tout de même: arrivé en 1997 à la tête des Spurs, le coach/GM doit construire une équipe efficace autour d’un David Robinson trop esseulé. Passons les draftés et les bagues, Tim Duncan débarque et ramène le titre en 1999; Tony Parker et Manu Ginobili permettent à la franchise de remporter le titre en 2003, 2005 et 2007.

Quinze ans nous contemplent. Et les Spurs restent l’équipe qui présente le meilleur pourcentage de victoire tout sport confondu outre-atlantique. Pour garder de tels résultats, la franchise toute entière suit un homme, ce bon vieux Gregg. Concentré sur son coaching, l’homme met en place ses méthodes, sa vision du jeu, d’une équipe, sa discipline: à l’ancienne! Un jeu aux frontières de l’ennui, basé sur le travail défensif et la patience offensive. Si vous voulez de l’action et du basket-ball spectaculaire, Gregg n’est pas votre homme. Par contre, si vous souhaitez remporter le plus de matchs possibles quelle que soit la méthode utilisée, l’homme n’a pas d’équivalent dans la Ligue. Pop’ donne le ton, peaufine son équipe en coulisses et la guide vers les sommets avec toujours cette faim insatiable. Des gueulantes régulières, des méthodes parfois border-line, comprenez au bord de la limite, mais toujours cette envie de progresser et de donner le meilleur à ses joueurs pour qu’ils donnent la même chose sur le terrain.

Un manager comme on en fait plus et qui se fout particulièrement de ce qu’on dit de lui aux quatre coins du globe. Si on lui dit que, dans une Ligue où l’attaque est mise en avant et le spectacle est roi, son équipe a des allures étrangères, il vous répondra qu’il n’en à strictement rien à foutre et que vous n’avez qu’à voir les résultats pour trouver une réponse à caser dans l’interview. Un artiste devant les caméras et les journalistes, capable de virer du désagréable au charmant, de vous donner des envies de suicide comme d’homicide. Pas besoin de l’ouvrir pour faire comprendre à un journaliste étranger que sa question est digne d’une bouse de vache, seul le regard de tueur suffira. Next question?

Pas seulement désagréable, l’homme a un grand coeur et fait preuve d’une rare générosité. L’homme dont il est le plus proche est gravement handicapé de son passage à l’Air Force Academy, et il n’est pas étonnant de le voir inviter ses joueurs à manger un morceau, à ses frais of course. Si on n’entre pas dans le monde de cet homme, difficile de changer d’avis. Les Spurs sont une famille, et Popovich est le premier à prendre soin de ses ouailles. En bon papa, un câlin par-ci, un peu de réconfort par-là, Gregg est très concerné par la vie de ses joueurs et demande régulièrement des nouvelles de l’entourage afin d’assurer cet aspect très familial qui règne chez les champions en titre. Première qualité de l’homme, un fin psychologue très affectueux qui ne montre pas cette image en public. Il faut être un Spur pour mieux connaître l’homme, qui a tout d’exceptionnel et qui forme avec Duncan, dans l’attitude et l’efficacité, l’un des meilleurs duo coach/joueur de l’histoire du jeu. C’est bien là le côté très mystérieux qui fait la particularité de l’homme. Avec Popovich aussi, hors de question pour chaque joueur de mettre en avant ses qualités et ses capacités. Tout le monde a un poste, l’égalité est répartie partout dans le roster. C’est pas parce que tu plantes moins de points que moi que tu dois pas être écouté, tous les joueurs participent, du début à la fin, à la conquête du trophée. Et quelle que soit la contribution apportée, la part du gâteau est également distribuée. Tous les joueurs qui ont eu la chance de jouer sous les ordres de Pop’ sont unanimes, l’esprit de famille est unique, aucune autre franchise ne donne un tel sentiment fraternel. C’est beau n’est-ce-pas, dans une Ligue post-2000 où les individualités sont reines et le un-contre-un valorisé. Contre-courant une nouvelle fois, mais les résultats sont là, et tant que la hiérarchie n’a pas changée, Popovich continuera de régner sur son groupe et dans sa conférence. Pour les plaisir des siens, et le malheur des adversaires.

Gregg Popovich n’est pas un homme attirant au premier abord, physiquement et dans le caractère, il est plus à éviter qu’autre chose. Cependant, si on creuse un peu et qu’on atteint le monde de l’homme, on s’aperçoit que le fond de l’intéressé est bien différent de la couche extérieure repoussante. Un homme de coeur, très impliqué dans sa collectivité et avec ses joueurs, d’une pédagogie et psychologie rare alliée à une intelligence au-dessus de la moyenne. Un coach bientôt légendaire, architecte d’une des meilleures franchises de l’histoire, qui a nagé à contre-courant en prônant la défense, et qui a offert des victoires innombrables à son club. Un tueur, à l’image de son joueur emblématique, qui ne pense et agit que pour la victoire, quelle que soit la torture infligée.

– Del Harris, ex-assistant : « Il est tout ce qu’un coach doit être: il est ferme, discipliné, et en même temps très attentionné. Il n’est considéré à sa juste valeur depuis très peu de temps mais nous savons tous qu’il est l’un des meilleurs depuis longtemps. »

– Mario Elie, ex-assistant et joueur : « Gregg a construit cette équipe à son image, elle est intelligente. Dans l’avion, tout le monde est sur son ordinateur. Dans les autres équipes, j’ai surtout connu les paris, les parties de carte et les discussions stériles. C’est un grand coach. »

– Steve Kerr, ex-joueur : « Il ne tourne pas autour du pot. Il ne joue pas avec votre tête. Dès mon arrivée j’avais été frappé par l’efficacité discrète avec laquelle toute l’opération est gérée. Je l’ai été jusqu’au bout. »

– Robert Horry, joueur : « Il veut ce qu’il y a de mieux pour son équipe et il ne prend pas de gants pour pousser les gars à faire ce qu’ils doivent faire pour rendre l’équipe meilleure. »

– Tony Massenburg, ex-joueur : « Lorsqu’il m’a dit à mon arrivée que le nom devant le maillot était plus important que celui de derrière, j’ai tout de suite accroché. Il a tout compris, il suffit de jouer juste.«

– Tim Duncan, joueur : « Il sait quel rôle nous devons tenir pour que l’équipe gagne. Et il nous le rappelle à tous, moi y compris, si on ne le fait pas. J’aime cette honnêteté. J’adore jouer pour lui.«

– Tony Parker, joueur : « Je n’ai jamais vu un coach inviter ses joueurs au restaurant, il est très surprenant et d’une incroyable générosité. Il est super sympa et très, très marrant. Il sort toujours des blagues et n’épargne personne. Il est toujours très soucieux, te demande sans cesse si tout va bien…Si les Spurs sont aussi forts, c’est parce que cela commence avec Pop. »

 

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