Draft NBA : mais comment fonctionne la « War Room », cette salle où le cours de l’histoire change pour chaque franchise ?
Le 20 juin 2022 à 12:05 par Arthur Baudin
À quatre jour de la Draft 2022, immersion dans l’euphorie d’une « War Room », une salle de quatre murs considérée comme le poumon d’une franchise NBA sur cette soirée de repêchage. Le front office y prend jusqu’au dernier moment des décisions susceptibles d’impacter le futur de l’équipe, dont le résultat dicte – pour les décisionnaires autant que pour les joueurs – bien des carrières.
« Il restent sur le 12 ? Ok, pas de problème, au revoir… Pas de deal. » Le 27 juin 2013, dans la War Room des Toronto Raptors, Masai Ujiri tire un trait sur l’un des plus grands joueurs de l’histoire du basket-ball. Très fraîchement nommé General Manager de la franchise canadienne, il cherche ce soir-là à poursuivre la reconstruction de l’équipe entamée par Bryan Colangelo, dont la fin de mandat fut très critiquée. L’an passé, les Raptors ont cédé leur 1er tour de Draft 2013 aux Houston Rockets en échange de Kyle Lowry. Un move auquel l’avenir de la franchise – coup d’œil en 2019 – donnera raison. Le problème, c’est que dans la tête de Masai Ujiri, il est tout bonnement impossible de laisser passer un certain… Giannis Antetokounmpo. « Nous pensons que peu de jeunes de cette cuvée seront à son niveau après deux ans dans la Ligue ». De ce propos découlent plusieurs tentatives de « trade up », avec notamment ce coup de fil aux Wolves – propriétaires du 14e choix – resté sans réponse. À contresens total des scouting reports, fossoyeurs de la carrière du Grec avant même qu’elle n’ait commencé, Masai Ujiri a failli terminer le jeu. L’issue en est rageante, mais cette séquence n’en demeure pas moins topissime. Elle démystifie l’ambiance d’une War Room et pose des images sur ce que l’on pensait réservé aux élites du basket-ball. Tout n’est bien évidemment pas à téléviser, mais pour le coup, c’est appréciable.
Mais pourquoi l’intérieur d’une War Room n’est-il pas spontanément filmé ? C’est de plus en plus le cas, avec les caméras privés des franchises qui choisissent d’alimenter – ou non – leurs réseaux. On ne voit que très rarement le moment lors duquel les officiels débâtent leurs futurs choix. Seuls les applaudissement, auto-félicitations et poignées de mains, quand Adam Silver prononce le blaze du joueur retenu, sont publiés. Comprenez bien que si l’on avait la vidéo de Vlade Divac qui démontre par A+B que Marvin Bagley est meilleur que Luka Doncic, il nous serait impossible de passer une journée complète sans l’envoyer à un ami fan de Sacramento. Par contre, on a une seconde vidéo dont le synopsis est absolument fabuleux. En 2014, les Kings ont le 8e choix de la draft. Sur un tableau velleda sont notées les priorités du staff : trade up pour Joel Embiid ou pour Marcus Smart. On sent que Pete D’Alessandro et son équipe ont bossé plusieurs mois sur les analyses vidéos, en se déplaçant un peu partout dans le pays/monde. Ils rejoignent alors la War Room, à l’intérieur de laquelle Chris Mullin, Mike Bratz, Mitch Richmond et d’autres profils tout aussi intimidants les attendent. Il est l’heure de s’imposer pour les jeunes analystes de Pete D’Alessandro. Leur discours laisse la franchise sur les traces d’Elfrid Payton, du trade up de Joel Embiid, ou encore de Nik Stauskas. On assiste ainsi à une petite parenthèse bien marrante lors de laquelle D’Alessandro appelle les Sixers, lâche trois ou quatre mots au téléphone, puis raccroche. Inutile d’entendre son interlocuteur pour comprendre que c’est un non catégorique. Vint alors ce génie de Vivek Ranadive – proprio des Kings – dont les avis basket ne sont pas les plus pointilleux : « Je pense que notre équipe manque d’adresse ». À la suite de cette analyse, l’homme d’affaires indien appuie l’hypothèse Nik Stauskas. C’est – à notre sens – un ordre déguisé en avis. Et devinez quoi ? Tout le monde se plie à la règle : Chris Mullin et Mitch Richmond l’accompagnent dans sa bêtise, et Pete D’Alessandro donne son feu vert pour la sélection du Canadien. Le show commence.
« Nik, on va te faire un accueil californien, donc je vais dire 1,2,3, et tout le monde va crier “Nick rocks !” » – Vivek Ranadive, au téléphone avec Nik Stauskas
Sur le plan de la sélection, en qualité de propriétaire, il est mal vu d’interférer dans le boulot du GM et de son équipe. Encore plus quand l’an passé, les Kings ont déjà sélectionné Ben McLemore en 7e choix qui – comme Nik Stauskas – évolue sur le poste arrière. Et puis, ce cri de guerre malaisant à souhait nécessiterait un dossier enquête de 3000 mots pour tenter de comprendre ce qu’il s’est passé dans la tête de Vivek Ranadive. À quel moment s’est-il dit que beugler « Nick rocks » serait cool ? Il doit être le genre de papa à appeler ses enfants « les djeuns ». M’enfin, une fois encore, cette séquence illustre à quel point la War Room est lieu de tous les revirements. Jusqu’au dernier instant, une parole peut venir foutre le barouf dans l’organisation du staff et défaire toutes les certitudes accumulées sur le terrain. « Écoute, j’entends bien que tu sois allé voir tous les matchs du Real cette saison, mais on ne va pas sélectionner un Slovène en surpoids devant Marvin Bagley III quand même ? ». Bon, Vlade Divac n’a pas dit ça, mais il est très probable que ses scouts l’aient prévenu pour Luka Magic. Ça a dû applaudir très jaune dans la War Room : « Marvin rocks ! ».
Et du coup, en quelques mots, c’est quoi la War Room ? Une salle de guerre à l’intérieur de laquelle statisticiens, scouts, propriétaires, officiels et coachs se réunissent pour débattre et mûrir une décision, ensemble, dans la dernière ligne droite. Dans la hiérarchie, le GM reste tout en haut. C’est lui qui aura généralement le dernier mot. Pourquoi ? Parce que si la franchise sélectionne un tocard, il est désigné comme le premier responsable de ce loupé. Un exemple ? Des filmés, lors desquels le GM force pour sélectionner un futur bust, on n’en a – très étrangement – pas sous le coude. Par contre, on a la sélection de Zion Williamson par David Griffin en 2019. Il est intéressant de voir que même lorsque tout est prévu depuis plusieurs semaines, la War Room surchauffe et les applaudissement déferlent au moment du choix. Tant que le nom n’est pas prononcé par Adam Silver, on est à l’abri de rien.