Racisme, sexisme et misogynie : Robert Sarver enquêté par la NBA, les détails d’une affaire sombre autour du proprio des Suns
Le 06 nov. 2021 à 10:30 par Bastien Fontanieu
C’est une véritable bombe qui est tombée ce jeudi sur la planète NBA, et il nous fallait bien quelques heures pour prendre tous les éléments, tenants et aboutissants avant de nous exprimer dessus. Suite à une investigation signée Baxter Holmes d’ESPN incluant plus de 70 employés qui ont travaillé chez les Suns sur les 17 dernières saisons, Robert Sarver a été affiché salement en place publique. Racisme, sexisme et misogynie, le proprio de Phoenix est aujourd’hui dans le viseur de la NBA.
Voilà le genre de choses qu’on regrette de voir au basket, et dans n’importe quel sport d’une manière générale. Le genre de révélation désagréable au plus haut point, qui met la lumière dans des coulisses bien sombres et dévoile un cadre bien moins enchanteur que ce qui est diffusé au grand public. Installés dans les bas-fonds de la Ligue depuis des années, les Suns ont réalisé un retour spectaculaire sur la grande scène des darlings de la NBA la saison dernière, derrière les exploits de Devin Booker, Chris Paul et compagnie. Une participation aux Finales NBA face aux Bucks qui ne diffusait qu’un seul message, celui d’une franchise saine, allant dans la bonne direction et posant les bases solides pour représenter une figure à suivre dans les années à venir.
Malheureusement, ça risque de pas mal changer à partir d’aujourd’hui.
Dans un dossier explosif publié par Baxter Holmes, reporter chez ESPN, des révélations choquantes et témoignages troublants mettent en avant une culture toxique au sein de la franchise, avant tout animée par un propriétaire au comportement inacceptable, Robert Sarver. Présent à la tête des Suns depuis 2004, Sarver était depuis longtemps réputé pour être un proprio difficile, rendant compliqué le retour de Phoenix dans le clan des institutions respectables. Ses décisions au niveau sportif et management véhiculaient l’image d’un quinquagénaire radin, mettant ses pattes un peu partout dans les bureaux de sa franchise et prônant l’instabilité plutôt que l’inverse. Mais on était quand même loin du reste, loin de ce que le dossier d’ESPN a révélé ce jeudi, et qui a projeté Sarver dans une toute autre cour. Celle des propriétaires malsains, racistes, sexistes et misogynes.
Nous avons donc compilé les éléments publiés par Baxter Holmes afin de les rassembler ci-dessous.
Après une défaite (contre les Warriors en octobre 2016), Robert Sarver est entré dans le vestiaire des coaches, rapporte Earl Watson à ESPN.
“Franchement, pourquoi est-ce que Draymond Green a le droit de courir sur le terrain et dire né***,” a dit Sarver, qui est blanc, répétant le mot né*** plusieurs fois de suite.
“Vous ne pouvez pas dire ça,” a répondu Watson à Sarver, lui qui est à la fois Afro-Américain et Hispanique.
“Et pourquoi ça ? Draymond Green dit né***,” a répondu Sarver.
“Mais put***, vous ne pouvez pas dire ça” répéta Watson.
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Les Suns sortaient d’une saison à 53 défaites en 2004, et une des premières décisions prioritaires de Sarver était centrée autour de la signature de Steve Nash lors de la free agency de cet été.
Un pitch de recrutement était prêt pour le lancement de la free agency, avec notamment Sarver mais aussi Bill Duffy l’agent de Nash et Amar’e Stoudemire tout juste élu rookie de l’année, ces deux derniers étant noirs. Trois personnes qui étaient présentes dans la salle ont rapporté à ESPN que Sarver avait fait des commentaires à consonance raciste. Les détails spécifiques n’ont pas pu être rapportés, mais ces personnes se souviennent qu’il utilisait le terme “mec noir” pendant la conversation.
“Vous êtes là à vous dire, wow Robert, vous pouvez pas dire ça,” se souvient un ancien exécutif de la franchise. Un autre ancien coach des Suns a rapporté que des exemples comme celui-ci étaient courants. Et un membre du staff des opérations basket qui est noir a rapporté à ESPN qu’il a déjà entendu Sarver utiliser le mot né*** plusieurs fois.
Une fois, Sarver a utilisé le mot né*** en essayant d’expliquer à un membre du staff pourquoi il préférait signer Lindsey Hunter en tant que coach plutôt que Dan Majerle, en 2013.
“Ces né**** ont besoin d’un né***,” a dit Sarver à ce dernier, dans une équipe qui était majoritairement composée de joueurs noirs.
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Lors de la première année d’Earl Watson en tant que coach sur le banc des Suns, Sarver demanda à Watson ce qu’il pensait de l’état de la franchise et les départements dans lesquels elle pouvait s’améliorer. Watson répondit à Sarver que, selon lui, il y avait un manque de diversité au sein de la franchise.
“J’aime pas la diversité,” répondit Sarver, selon Watson et un membre du staff qui était au courant de cette interaction.
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À ses débuts à la tête des Suns, Sarver avait une fois essayé d’impressionner ses employés avec sa passion pour la franchise et l’excitation qu’il avait à diriger celle-ci. Après tout, il était venu voir les matchs des Suns depuis qu’il avait 8 ans. Pour appuyer ses propos, Sarver avait fait tourner une photo de sa femme dans un bikini des Suns, se souviennent plusieurs employés de longue-date.
Un membre du staff en particulier qui était présent ce jour-là au meeting se souvient. “On se passait la photo comme si c’était une patate chaude, on se demandait vraiment ce qu’on devait faire devant un truc pareil. Et en fait, c’était un aperçu de l’homme qu’il était vraiment.”
Plus d’une douzaine d’employés ont rapporté des situations dans lesquelles Sarver tenait des propos obscènes, incluant notamment les fois où sa femme lui faisait des fellations. Quatre ancien employés ont dit que dans des meetings incluant tous les membres du staff, Sarver affirmait qu’il devait mettre des préservatifs Magnum ou extra-larges. Et d’anciens employés ont rapporté qu’il demandait à ses joueurs à propos de leur vie sexuelle, et les performances sexuelles de leurs conjointes.
“Les femmes ont très peu de valeur à ses yeux, ce sont des possessions. Et je crois qu’on est très loin de ce qu’il pense des hommes,” se souvient une ancienne membre du staff.
Plusieurs ont dit que le propriétaire de longue-date encourageait un environnement dans lequel les employés ressentaient qu’ils étaient sa propriété, allant même jusqu’à demander une fois à une femme s’il la “possédait” afin de déterminer si elle travaillait ou non pour les Suns.
Une ancienne membre du département marketing rapporte que Sarver utilisait fréquemment des phrases comme, “est-ce que je te possède ? Est-ce que tu es une des miennes ?” Ce à quoi elle ajoute, “il vous fait ressentir comme si vous lui apparteniez.”
Plusieurs employés se souviennent d’interactions diverses durant lesquelles Sarver évoquait les membres du staff et les joueurs dans son équipe à “de l’inventaire.”
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Un grand nombre d’employés, surtout des femmes, ont rapporté à ESPN avoir été au centre ou témoins de remarques déplacées de la part de membre masculins du groupe exécutif.
“Je pense que, malheureusement en tant que femmes, lorsqu’on entre dans le monde du sport on sait qu’on sera victimes d’harcèlement sexuel à un moment ou un autre,” dit une ancienne membre du département marketing de la franchise. “Mais le pire aspect qui existait pour moi, c’était l’abus verbal et ce sentiment comme quoi je n’étais pas un être humain.”
Ces exemples de mauvais traitement en public étaient des sources permanentes d’inquiétudes pour de nombreuses femmes au sein de la franchise, plusieurs d’entre elles rapportant des commentaires inappropriés de la part de managers au sein de l’équipe.
Une ancienne membre de l’équipe de vente de la franchise rapporte qu’un ancien vice-président des Suns, qui était apparemment ivre, lui demanda avec combien de membres de son équipes elle avait déjà couché, l’interrogeant également sur la taille de pénis d’un collègue en particulier.
De multiples employés de la franchise, actuels et anciens, rapportent à ESPN des exemples de mauvaise conduite venant d’autres membres du leadership des Suns. Et le sentiment général est que ces exemples ont contribué à entretenir un environnement toxic et parfois hostile au sein de la franchise. Bien qu’aucun employé n’a affirmé que Sarver était au centre de ces incidents, plusieurs employés s’accordent sur le fait que l’attitude générale de Sarver a contribué à cette culture, et que celle-ci a directement affecté la manière dont des membres de la direction traitaient leurs employés.
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Durant la saison 2012-13, deux anciens membres de longue-date du staff se sont adressés aux joueurs avant leur déplacement à Los Angeles pour jouer un match. L’équipe n’avait pas été performante là-bas, et la rumeur voulait que les joueurs profitaient un peu trop de la vie nocturne sur place, ce qui allait jusqu’à impacter leurs performances le lendemain sur le terrain. S’adressant à ses joueurs, Sarver a proposé d’envoyer des femmes à Los Angeles – l’implication sexuelle était évidente – si les joueurs promettaient d’être au lit à une heure raisonnable avant le match du lendemain. Personne n’a pris ce geste au sérieux, a indiqué un ancien membre du staff qui était présent au moment des faits, mais proche de la scène était une femme membre du staff qui était pétrifiée.
“Il faisait l’idiot, mais ce qu’il ne savait pas c’est que dans le couloir d’à côté il y avait une des membres de notre staff qui s’occupait des familles des joueurs et des entraîneurs.”
Lorsque les Suns voulaient recruter LaMarcus Aldridge à la free agency de l’été 2015, les Suns savaient que LaMarcus avait de jeunes enfants dans le Texas et que jouer près d’eux était un élément important dans sa future signature. Pendant cette période de recrutement, Sarver avait indiqué à deux membres de son staff que les Suns avaient besoin de féconder deux strip-teaseuses du coin par des joueurs de NBA, afin que ces joueurs aient des enfants dans la région de Phoenix et qu’ils se sentent obligés d’être proches d’eux, ce qui donnerait un potentiel avantage aux Suns pendant la free agency, selon un ancien membre du staff.
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Un ancien membre des opérations basket des Suns qui interagissait régulièrement avec Sarver a indiqué qu’il souffre encore de stress et d’anxiété venant des insultes de Sarver ainsi que les coups de téléphone tard le soir. Au point qu’aujourd’hui encore, la panique qu’il a ressentie par le passé revient lorsque le téléphone sonne tard le soir. “Je ne me suis jamais senti à l’aise là-bas. Et j’y ai été pendant longtemps… Je n’ai même pas été viré, si cela vous donne le moindre contexte, je suis parti de moi-même. Il n’y a aucune raison pour se sentir aussi misérable chaque jour.”
Des employés, anciens et actuels, rapportent que les femmes sentaient souvent qu’elles n’étaient pas respectées et qu’elles étaient ignorées, un sentiment global qui menait à des départs nombreux et fréquents. “Surtout avec les jeunes femmes, j’avais l’impression de les abandonner,” se souvient une ancienne employée. “Je me suis senti mal en partant, c’était dur, et j’étais tellement contente quand j’ai appris que chacune d’entre elles avait quitté la franchise.”
“En fait, ça vous casse,” partage une autre ancienne employée. “Je suis pas facile à briser, mais ça a fini par me briser.”
“Ma vie a été détruite,” a partagé une troisième ancienne employée. “J’ai envisagé le suicide.”
Un membre actuel du corps exécutif fait partie d’un groupe de plus de douze personnes qui affirment avoir besoin d’aide professionnelle pour gérer leur anxiété, leur perte de sommeil et un bien-être général en déclin en travaillant pour les Suns.
“Quand je suis allé voir le psy, j’ai pleuré un seau entier de larmes,” a partagé l’exécutif. “Et c’est comme ça avec beaucoup de personnes parmi nous, c’est juste extrêmement triste.”
Même avec le récent succès connu par la franchise, un membre actuel du staff affirme que la culture de l’équipe continue à chuter.
“Alors que maintenant les employés devraient prendre du plaisir et profiter de tout ce succès, la culture de la franchise est plus basse qu’elle n’a jamais été.”
Après avoir proposé le deuxième meilleur bilan de la NBA et participé aux Finales NBA pour la première fois depuis 1993, les Suns ont vécu 17 ans sous la direction de Robert Sarver et plusieurs employés rapportent que l’attitude du propriétaire reste la même.
“C’est un sentiment doux et amer à la fois,” indique un co-propriétaire. “Ce n’est pas un bon sentiment d’être associé avec lui.”
L’exécutif actuel décourage les gens de travailler chez les Suns, et il connaît plusieurs personnes qui agissent dans le même sens.
Comme le résume un employé actuel, “si j’avais su, et j’aurais aimé savoir dans quoi je mettais mes pieds, je n’aurais jamais accepté ce boulot ici. Jamais.”
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“Le niveau de misogynie et de racisme est tout simplement inacceptable. C’est franchement embarrassant pour un propriétaire,” a indiqué un co-propriétaire des Suns.
Un autre exécutif ajoute : “Il n’y a littéralement rien que vous pourriez me dire sur lui qui soit misogyne ou raciste qui me surprendrait.”
“Si le commissionnaire de la NBA débarque et réalise une investigation pour mieux savoir ce qui se trame à Phoenix,” souligne un membre actuel du département business de la franchise,”il serait choqué.”
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Bien évidemment, vous pouvez retrouver le reste de cet immense dossier sur le site d’ESPN, où bien d’autres éléments, témoignages et détails viennent alourdir un paquet déjà sacrément lourd.
Mais alors la suite, c’est quoi ?
La suite, c’est une investigation qui va avoir lieu de la part de la NBA, afin d’en savoir plus sur ce qui se trame vraiment chez les Suns. Rapidement, un des réflexes pris par le grand public a été de faire un lien avec l’affaire Donald Sterling chez les Clippers en 2014, l’ex-proprio de Los Angeles qui avait été prié de rendre sa franchise après avoir été pris en flag pour propos racistes et autres dégueulasseries multiples et variées. Forcément, quand ça parle de propriétaires et de comportement abjecte, on relie les points. Mais il est difficile d’affirmer, en l’état, si Robert Sarver sera prié de relâcher les Suns. Et il sera tout aussi difficile, pour la NBA, d’accepter publiquement qu’un de ses proprios puisse agir ainsi sans punition. Les avocats de Sarver ont pour le moment tout nié en bloc, Robert lui-même bottant en touche la plupart de ces accusations avec un niveau de crédibilité qu’on casera entre un lampadaire et une bouche d’égouts. Ce genre d’affaire va prendre du temps, et demander de la patience de toute part. Pour Monty Williams, le coach, pour James Jones, le GM, pour les joueurs qui vont eux devoir naviguer avec tout ça dans leur bateau, ce qui pèsera forcément lourd sur un paquet d’épaules. Car qui a envie de bosser dans un environnement pareil, affiché publiquement ? On a vu à Dallas l’investigation qui a eu lieu récemment pour mettre fin à des pratiques sexistes et misogynes, il pourrait tout à fait y avoir ce type de route prise par la NBA sans pour autant demander à Sarver de rendre les clés du camion.
Une chose est sûre, c’est que ce dossier fait du bruit et va faire du bruit. Lorsque plus de 70 employés, anciens ou actuels, s’accordent sur un environnement toxique et que la Ligue veut s’assurer que son image reste impeccable, on sait qu’Adam Silver peut prendre des décisions rapides et bien sévères. Affaire à suivre donc, affaire à suivre…
Sources : ESPN, The Athletic, Arizona Central