“Les joueurs NBA d’aujourd’hui sont moins fidèles aux franchises” : une affirmation qu’on entend souvent, mais attention aux raccourcis

Le 23 févr. 2020 à 13:00 par Theo Boxberger

Kevin Durant 17 mars 2020
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À chaque Free Agency ou presque, on l’entend qui resurgit au détour d’une conversation ou d’un clic sur les réseaux sociaux. C’est le traditionnel “non mais aujourd’hui les joueurs sont des mercenaires, ils ne jouent que pour le fric”. Il y a aussi le fameux “il n’y a plus aucun attachement au maillot et à la ville”. Bref, vous l’aurez compris, askip il n’y aura plus jamais de Dirk Nowitzki ou de Tim Duncan, c’est-à-dire des joueurs qui ne jouent que dans une seule et unique équipe pendant toute une carrière. Alors on se penche un peu sur cette affirmation.

Spoiler : afin de faire une carrière dans une seule franchise, il faut bien que celle-ci approuve le move. Merci Captain Obvious mais mine de rien, ça a son importance dans cette discussion. La trade deadline est passée et on a vu des équipes se séparer gentiment de certains joueurs, parfois contre deux Twix (coucou Andre Drummond). Surtout que le sport US est particulier en ce sens. Les joueurs signent un contrat, mais ils peuvent être échangés sans qu’on leur demande leur avis. Certains peuvent avoir une no-trade clause qui les couvre, mais cela reste rare et il faut la mériter. Ainsi, les équipes bénéficient d’un réel pouvoir sur les joueurs et leur destinée. Un mec peut être envoyé à l’autre bout du pays en deux-deux. Il peut se retrouver à jouer le titre un soir puis rentrer dans la course au premier choix de la Draft le suivant. C’est la dure réalité de la Grande Ligue. “C’est un business” comme ils disent si bien de l’autre côté de l’Atlantique. Toutefois, les joueurs bénéficient aussi de méthodes permettant d’équilibrer le rapport de force. La Free Agency est sûrement la plus efficace. Une fois que le contrat du joueur expire, il est libre de signer dans la franchise qu’il souhaite selon les offres présentes sur la table, en pesant le pour et le contre au niveau notamment du salaire (qui peut être bien plus élevé ailleurs, comme dans le cas de Malcolm Brogdon par exemple, où Milwaukee n’a pas voulu allonger la thune contrairement à Indiana) et du projet (pour le développement individuel comme pour le succès collectif). Idem pour les joueurs huppés qui bénéficient d’une no-trade clause, et qui peuvent donc refuser un transfert les concernant si le point de chute ne leur convient pas. C’est à travers ces bases que chacune des parties possède du pouvoir dans ce rapport de force.

Alors, revenons-en à notre histoire de longévité dans une franchise, et regardons ce qui a été fait par le passé. Qui sont ces grands joueurs qui ont fait toute une carrière dans une seule et même franchise ? Certains profils se dégagent de ce classement (on évoquera les joueurs à 13 saisons minimum). Pour une grande partie des joueurs qui ne sont jamais allés voir si l’herbe était plus verte ailleurs, c’est parce qu’elle ne l’était tout simplement pas. Bill Russell, Larry Bird, Magic Johnson, Kobe Bryant (même s’il avait demandé un transfert en 2007, ne l’oublions pas), Tim Duncan, John Havlicek, Joe Dumars, Isiah Thomas et bien d’autres sont autant de joueurs qui sont restés toute leur carrière dans la même franchise. Ils dominaient leur époque, leur franchise aussi et un affrontement avec un rival les attendait en Playoffs. Alors pourquoi partir quand on peut jouer le titre sur place ? De plus, parmi ces noms, les performances individuelles ont baissé (pour diverses raisons, mais notamment les blessures) en même temps que les performances de l’équipe, et il y avait donc un certain équilibre entre le niveau individuel et collectif, permettant de continuer cette relation jusqu’au bout.

Il y a aussi une série de joueurs qui ont perdu avec leur franchise. On pense ici à des gars comme John Stockton, Jerry West (oui il a gagné en 1972, mais huit défaites en Finales NBA quand même…), Elgin Baylor ou encore Reggie Miller parmi les plus connus. Mais ce sont autant de joueurs qui ont évolué dans de superbes équipes et qui sont tombés face à d’énormes adversaires. West et Elgin Baylor ont eu la dynastie des Celtics en face tout le long de leur carrière. Même avec l’arrivée de Wilt Chamberlain, ils se sont fait taper. Que pouvaient-ils faire d’autre que de continuer à progresser, ils étaient en plus à Los Angeles. Stockton et Reggie Miller ont aussi eu des équipes très compétitives mais ils ont chuté face à un certain Michael Jordan et ses Bulls. Le Jazz et les Pacers ne sont pas passés très loin du titre, mais ils n’ont jamais réussi à aller au bout.

Enfin, le dernier groupe que nous identifierons est celui des role players fidèles à leur franchise. On a une douce pensée pour Udonis Haslem et Nick Collison, deux mecs qui représentent parfaitement cette catégorie. Ce n’est pas pour rien si le second a son maillot retiré à Oklahoma City, tandis que le premier aura également droit à cet honneur à Miami une fois qu’il aura définitivement raccrocher les sneakers. On parle là de mecs qui ont su contribuer année après année jusqu’à faire partie des meubles. Ils ont apporté leur pierre à l’édifice, ils ont partagé leur expérience, ils ont montré l’exemple et sont l’un des visages de leur franchise respective, même s’ils n’ont jamais été des stars de la NBA.

Ainsi, nous pouvons constater que certains profils et certaines situations ont permis à des joueurs de pouvoir passer toute une carrière dans la même franchise. Mais comme dit au début de cet article, ça ne dépend pas que des joueurs. La NBA est un business et si on ne peut pas gagner, il n’est pas rare de voir une franchise tout casser pour reconstruire et démarrer une nouvelle ère. C’est particulièrement le cas lorsque le franchise player ou un très proche lieutenant arrive en fin de contrat, surtout quand il n’est plus à son meilleur niveau pour vraiment porter l’équipe. Au lieu de risquer de le perdre en le laissant partir contre peanuts, autant l’envoyer ailleurs en récupérant des tours de draft ou des jeunes joueurs avec du potentiel. On peut prendre l’exemple des Grizzlies, qui ont envoyé Marc Gasol à Toronto il y a un an. Il avait passé plus d’une décennie dans le Tennessee le Marco. En parlant des Raptors, ils ont envoyé l’un des visages de leur franchise, DeMar DeRozan, vers les paysages du Texas pour récupérer Kawhi Leonard en juillet 2018. Et là, on en parle de la fidélité ? DeMar avait tout donné pour les Dinos mais a été brutalement transféré après un énième échec en Playoffs face à LeBron James. DeRozan était bien parti pour faire toute sa carrière dans le Canada, où il avait développé une relation très forte avec ses coéquipiers et les fans. Difficile à encaisser donc mais dans le même temps, pouvons-nous en vouloir aux Raptors lorsqu’on connaît la suite de l’histoire ? Sous l’impulsion de Kawhi, Toronto a remporté sa première bague de champion après avoir connu tant de désillusions en post-season. Un pari payant donc de la part de Masai Ujiri. Dans l’histoire récente de la Ligue, un dernier cas reste important et il faut dire qu’il est assez crade. Il s’agit des Celtics avec Isaiah Thomas. Après avoir joué avec les Verts alors que sa sœur venait de mourir, qu’il s’est battu avec une hanche en vrac, il a été envoyé à Cleveland à l’été 2017 contre Kyrie Irving. Cela a laissé un goût amer aux fans des C’s, qui ont vu partir un de leurs héros, pour un joueur qui n’a jamais vraiment su s’imposer comme un leader et qui est parti au bout de deux ans. Par conséquent, on constate que les franchises ont aussi une grosse responsabilité dans ce phénomène de joueurs qui ne restent pas dans leur équipe.

Néanmoins, ne pointons pas les franchises du doigt sans nous pencher sur les joueurs. Ne faisons pas les aveugles, parce que certains mecs ont sorti quelques masterclass. Vous vous en souvenez tous. Le 4 juillet 2016, Kevin Durant annonce qu’il va signer avec les Golden State Warriors, champions en 2015. La même équipe qui l’élimine quelques semaines plus tôt, alors même que le Thunder menait 3-1 lors des Finales de Conférence Ouest. L’organisation californienne est ainsi devenue l’une des meilleures équipes all-time, avec deux nouveaux titres décrochés en trois Finales NBA. Un manque d’ambition ? Une trahison ? On a tout entendu sur ce choix, et KD a pris cher après avoir fait le maximum pour Oklahoma City pendant presque une décennie. Mais mettons-nous dans la peau du serpent de Kevin le temps d’une réflexion. Nombreux sont les joueurs qui ont fait une immense partie de leur carrière dans leur franchise, avant de la quitter dans leurs dernières années pour essayer de choper une bagouze. Parmi eux, certains ont réussi à remporter le titre, d’autres sont partis avec beaucoup moins de succès. Kevin Durant voulait lui maximiser ses chances de gagner durant son prime. Dans une ère avec autant de visibilité, nous sommes les premiers à parler de rankings all-time et du nombre de bagues remportées. Nous avons donc nous aussi une part de responsabilité là-dedans. Et puis il y a eu d’autres raisons derrière son choix. Il voulait évoluer sur le plan individuel en jouant dans une équipe qu’il considérait idéale pour progresser en tant que basketteur, et il voulait aussi se retrouver dans la Bay Area pour nourrir ses ambitions en dehors des parquets. N’oublions pas que nous sommes dans l’ère du player empowerment, où les joueurs veulent avoir plus de contrôle sur leur carrière, où les joueurs voient beaucoup plus loin que le basket, où certaines superstars sont carrément des entrepreneurs voulant maximiser leur brand en utilisant notamment leur propre plateforme de communication. LeBron James a joué un rôle énorme là-dedans depuis “The Decision” en 2010, quand il a rejoint Dwyane Wade et Chris Bosh à Miami. On est toujours dans cette recherche d’évolution, de développement et de progrès, et à la recherche de la meilleure situation possible, et c’est aussi pour ça que KD a décidé de découvrir un nouvel univers en signant à Brooklyn l’été dernier. On admet donc que c’est dans l’ère moderne de la Ligue que les joueurs partent plus tôt de leur équipe, même s’il existe aussi des exemples du passé montrant le départ de certaines superstars en plein dans leur prime (pour des raisons culturelles, à l’âge de 27 ans, Kareem Abdul-Jabbar avait demandé un transfert à son équipe des Bucks pour rejoindre un gros marché).

Mais malgré tout ça, ça ne veut pas dire que tous les joueurs possèdent cette mentalité. Certains partent via la Free Agency, certains demandent un transfert pour pouvoir évoluer dans un plus grand marché et avoir une meilleure opportunité pour gagner, mais on a aussi des stars dans la Ligue actuelle qui sont à contre-courant. L’exemple le plus parlant, c’est Damian Lillard évidemment. Aux Blazers depuis le début de sa carrière, Dame D.O.L.L.A. a affirmé à plusieurs reprises qu’il voulait réaliser toute sa carrière dans l’Oregon, et son message n’a pas changé. Il aime Portland, il valorise la relation qu’il possède avec la franchise et les fans des Blazers, et veut tout tenter pour essayer de gagner dans son équipe de toujours, où il a prolongé avec une supermax extension l’été dernier. Autre exemple, Bradley Beal, toujours à Washington aujourd’hui. Même s’il évolue dans une franchise qui est loin d’être une référence en NBA, l’arrière a récemment signé une petite extension de deux ans, et il faut dire que c’était assez surprenant. Parce que bon, c’est bien beau la fidélité, mais quand on joue dans une franchise comme les Wizards, on a juste envie de lui dire de trouver mieux. L’environnement dans lequel évolue un joueur compte beaucoup et parfois, on ne peut pas reprocher à un mec de vouloir voir ailleurs. Mais Bealou a voulu rester et persévérer, et c’est tout à son honneur.

Même si des joueurs partent finalement de leur franchise, ce n’est pas pour autant qu’ils ne sont pas attachés à la ville et aux supporters. Ça dépend toujours des circonstances du départ, de chaque côté. Au final, chacun possède une part de responsabilité dans ce phénomène donnant l’impression que la fidélité n’est plus aussi présente qu’avant. Et juste pour info, avant de nous quitter, sachez qu’en plus de 70 ans de jeu, seulement une quarantaine de joueurs ont tenu au minimum dix ans de carrière en restant dans la même franchise du début à la fin. 


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