Interview Jean Pierre Siutat x TrashTalk : “Il faut que les chaînes publiques s’intéressent à acheter des droits sur le basket”
Le 17 sept. 2019 à 10:37 par Bastien Fontanieu
Président de la Fédération Française de Basketball, Jean-Pierre Siutat était remonté ce lundi. Content, fier de ses Bleus, mais remonté. Médaille de bronze certes, mais quelle exposition médiatique ? Et quelle représentation gouvernementale sur place ? Un coup de gueule en deux parties, qu’on vous propose en détail sur TrashTalk après avoir discuté avec le prési autour d’un café.
On a pas été suivis par les chaînes publiques. Et on est les premiers à le regretter. Le constat est là, clair, direct, indéniable. En introduction du point presse réservé aux médias avec l’équipe de France médaillée ce lundi, Jean-Pierre Siutat félicite ses joueurs mais il profite également de l’occasion pour envoyer un appel d’alerte. Un cri, une gueulante, pour que les choses changent, notamment au niveau de la diffusion du basket en France. Une victoire épique face à Team USA diffusée sur Canal +, une triste défaite dans la foulée sur M6, où se situe le basket en France sur ses chaînes publiques ? Comment ça se réellement passe en coulisses ? TrashTalk a voulu faire un point, un gros point, sur ce sujet. Histoire qu’on sache tous de quoi on parle, et dans quelle direction oeuvrer par la suite. Posez la zapette, c’est l’heure de lire.
Il y a une zone d’ombre, de flou, auprès du grand public. Et on veut la clarifier notamment avec vous. Le ressenti est celui-ci : les problèmes de diffusion du basket sur les chaînes publiques, c’est la faute de la FFBB.
Oui je sais bien, je le vois sur les réseaux.
Mais nous souhaitons justement utiliser cette occasion pour éclaircir cette zone d’ombre, en parlant directement avec vous. Le circuit, comment fonctionne-t-il réellement ?
C’est très simple. Celui qui organise sa compétition est détenteur des droits. Pour le basket français, nous avons les droits sur toutes les compétitions qu’on organise, y compris celles de la LNB. Quand nous cherchons un opérateur français pour diffuser du basket, nous avons deux solutions. Soit on fait des lots, filles ou garçons etc, soit on fait dans la globalité. Et c’est ce choix que nous avons pris. Nous (la fédération), on est propriétaire de quoi ? Des compétitions, en 5×5 ou 3×3 chez nous, des matchs amicaux des équipes nationales, et puis c’est tout. Donc derrière, on co-négocie avec la LNB sur les droits de la LNB, et comme on veut un opérateur unique pour diffuser ces matchs, on a RMC Sport qui est le diffuseur du basket français, concernant les équipes nationales sur les matchs de préparation, filles comme garçons, et aussi la LNB et la LFB. Concernant la NBA, c’est encore autre chose, c’est un autre appel d’offre. Concernant l’Euroleague, c’est encore un autre débat. Ensuite, il y a les compétitions organisées par la FIBA, et il y en a 2. Les compétitions de club, donc la BCL, la FIBA Cup, mais aussi le basket féminin, et ensuite il y a les compétitions en équipe nationale. Là-dessus, le choix qui a été fait par la FIBA, détenteur des droits, ça a été “d’allotir” l’appel d’offre. Donc il y a eu un lot France, il y a eu un lot pour d’autres pays en Europe, il y a eu un lot global pour l’Afrique, un lot global pour l’Amérique, etc. Nous, la France, nous avons permis à la FIBA de rapporter un contrat de qualité. Canal + a payé cher pour avoir les droits de la globalité. Qui a permis à ce que les 80 pays engagés dans ces compétitions touchent un peu d’argent. Ils ont touché un peu d’argent, et on en a touché un peu plus parce que c’est lié au montant prélevé sur les territoires. Quand Canal + achète ce lot, ils ont les droits sur les matchs de qualification, et ils ont le droit de faire ce qu’ils veulent. Ils peuvent les vendre, les garder, etc.
Donc à partir du moment où ils remportent l’appel d’offre, ils font ce qu’ils veulent et c’est leur droit.
Exactement. Du coup, derrière, c’est normal qu’ils se gèrent des produits “premium”. Exemple, les quarts de finale. Ce sont des produits “premium” par définition. Donc moi ce que je peux regretter, c’est qu’aucune chaîne publique ne s’intéresse à nous ! On peut vouloir nous pousser, mais encore faut-il que quelqu’un le signale à nous pour qu’on puisse le faire. Il y a des renégociations en ce moment avec la FIBA. Aujourd’hui, à l’heure actuelle, je n’ai aucune information…
Vous n’avez aucun écho venant de chez France Télévisions ?
Zéro. Venant de France Télévisions, zéro. Et ensuite, en France il y a le décret TSF, qui veut qu’à partir d’un certain niveau, et qui est différent en fonction de chaque sport collectif, les chaînes publiques ont la possibilité de diffuser les rencontres. Nous, avec d’autres sports, on a souhaité que ce curseur soit descendu. Car plus il est bas, plus il peut intégrer des matchs de filles, de garçons, et donc augmenter en exposition médiatique globale. On a pas eu gain de cause. Et c’est toujours pareil. Parce que d’un côté, il y a celui qui achète, il se dit je comprends pas…
“J’achète et maintenant il faut que je partage le gâteau…?”
Exactement. Ce n’est pas du tout évident que les chaînes publiques aient la volonté de diffuser (du basket). Donc aujourd’hui on a pas eu gain de cause. J’y peux quoi moi ? La fédération y peut quoi ?
C’est sûr. Mais c’est justement pour ça que j’en parle avec vous, pour expliquer ce circuit.
Donc nous ce qu’on regrette, c’est que des matchs comme le quart de finale contre Team USA…
… ne soient pas diffusés sur des chaînes publiques.
Et en même temps, quand on regarde depuis 2014… Les garçons ? On bat l’Espagne en Espagne, puis la demi-finale on se plante contre les Serbes. Et derrière on se retrouve sur quelle chaîne ? Même chose en 2015. 2015 ! On est à domicile, moi j’ai gueulé je m’en souviens. Pour la petite histoire, on se retrouve en demi-finale et on perd contre les Espagnols. Je ne sais plus combien il y avait de millions de gens devant ce match, peut-être 5 ou 6 millions. Et en perdant, on se retrouve avec une petite finale diffusée sur Canal + Décalé… Je n’ai rien contre Canal + Décalé, mais j’avais fait un tweet à l’époque où j’ai dit que je trouvais ça scandaleux. Irrespectueux. Et j’ai pris un coup de pression en retour du Secrétaire général de la FIBA, me disant globalement que c’était pas mon problème. C’est compliqué. Puis, quand on regarde 2016, c’est un circuit à part car ce sont les Jeux Olympiques. En 2017 on a pas existé puisqu’on s’est fait balayer, et en 2019 voilà ce qui nous est arrivé. Mais avec les filles, c’est pareil. Chaque fois qu’on fait les finales, on a fait la finale cette année contre les Espagnoles, on s’est fait écrabouiller (NDLR : 86-66).
Il est évident que cela n’aide pas. Et dans le conscient collectif, la seule fois où elles ont été vraiment exposées, c’était les Braqueuses des JO de 2012, car c’était le circuit France Télévisions. Et elles ont joué… les Américaines.
C’est ça, 2012. Donc c’est là où on a un peu les boules. Des matchs, qui mériteraient d’être exposés et qui nous permettraient de décoller, pour plein de raisons ils ne sont pas diffusés. On y est pour rien. Et quand on passe, on se plante.
Le constat est clair. Maintenant, quelles solutions existent ? Y a-t-il des alternatives qui permettraient justement de contourner ce problème ?
Il faut que les chaînes publiques s’intéressent à acheter des droits sur le basket. Il faut qu’elles s’intéressent à la FIBA.
Et la FIBA justement, ouvre-t-elle ses portes à ces chaînes ?
Ah bah bien sûr ! La FIBA n’a aucun problème avec ça. Pourquoi la FIBA ne serait pas intéressée par la diffusion de ses compétitions sur des chaînes publiques ? Ils laissent un appel d’offre et à un moment donné, des gens répondent. Après, le contact se fait ou ne se fait pas. Soyons clair, un championnat national sur les chaînes publiques, c’est fini. Dans tous les sports, c’est fini. On fait beaucoup de pédagogie là-dessus en France parce qu’on prend tous pour notre grade à ce sujet. Mais sur les compétitions internationales ? Je suis sûr que si TF1 fait une offre, pour un moment donné prendre ces droits, puis peut-être essayer de globaliser la chose avec une chaîne cryptée sur des petits matchs, c’est du domaine du possible. Je vois pas pourquoi la FIBA ne serait pas intéressée. Je vois pas pourquoi ils diraient non.
Il y a quand même un côté assez mystérieux dans tout ça.
Il faut poser la question aux diffuseurs, pas à moi. Je peux être in between quelque part, être un facilitateur s’il le faut, mais c’est tout.
Remerciements : FFBB, Jean-Pierre Siutat, Raymond Bauriaud