DeMar DeRozan à cœur ouvert : “Je n’ai pas été traité justement par rapport à ce que j’ai sacrifié pendant neuf ans”
Le 27 juil. 2018 à 12:54 par Reda Ghaffouli
Après un an à bouder et à démolir l’image que l’on avait de lui, Kawhi Leonard était finalement transféré aux Toronto Raptors contre DeMar DeRozan. Un deal très controversé du côté de l’ancien Raptor, qui s’est donné corps et âme pour sa franchise. Il revient désormais en longueur sur ce transfert au micro d’ESPN.
C’était le blockbuster trade de l’été. Kawhi Leonard s’envole pour Los Angeles Toronto en échange de DeMar DeRozan. Au-delà de l’aspect sportif déjà traité, penchons-nous sur l’aspect humain. Si The Klaw n’a pas l’air ravi de s’expatrier au Canada, DeRozan a vécu cette annonce comme un coup de poignard dans le dos. Après avoir tout donné pour mener les Dinos vers les sommets, le swingman a été transféré du jour au lendemain, sans préavis. Interrogé par Chris Haynes d’ESPN, DeMar DeRozan revient sur cette période. Allez, on s’installe, et on profite d’une petite traduction aux petits oignons.
“CH : Cela [le trade, ndlr] a pris beaucoup de personne au dépourvu. On dirait que cela t’as aussi pris au dépourvu. Masai Ujiri, le GM des Raptors, a organisé une conférence de presse et y a dit qu’il y avait eu une mésentente : il t’aurait parlé pendant la Summer League à Las Vegas et pense que son erreur a été de te parler des projets futurs de l’organisation. De ton point de vue, est-ce une fidèle appréciation de cette conversation ?
DD : Um, non, parce que tout l’été durant les conversations qu’on a eu – et les conversations qu’il a eu avec mon agent –, il semblait clair que j’étais dans le projet futur de l’équipe. Toute mon approche, chaque été, est de me préparer, d’aller soutenir les jeunes en Summer League, trouver des moyens de m’améliorer, d’améliorer mon équipe, et c’étaient les grandes lignes des conversations que l’on a eu. Avoir l’opportunité de faire quelque chose de spécial encore une fois. Donc c’était mon état d’esprit et celui de tout le monde autour de moi.
CH : Dans cette même conférence de presse, il [Masai Ujiri, ndlr] a parlé du fait de donner à l’équipe une chance lorsqu’il a pris ses responsabilités. Penses-tu que c’était nécessaires pour la franchise de faire le trade ? Pourquoi les choses n’ont pas marché ?
DD : En fait, quand tu dis “eux” [en référence aux propos de Masai Ujiri, ndlr], c’est plutôt frustrant. Genre, qui est ce “eux” ? Tu remets la faute que sur moi et Casey [Dwane Casey, ex-coach des Raptors, ndlr] ? Parce que évidemment nous sommes les deux seuls qui avons fait les frais de la défaite que l’on a eu lors de la série contre Cleveland. Mais c’est la seule équipe contre laquelle nous avons perdu en playoffs – et cette équipe est allée en Finales [NBA, ndlr] chaque année. Avec une opportunité qui approchait, mon état d’esprit et celui de mes équipiers était que le seul gars qui était sur notre chemin [LeBron James, ndlr] est désormais parti. Désormais, nous avons une superbe opportunité de faire quelque chose que nous n’avions jamais été capables de faire. En fin de compte, j’ai tout donné pour l’équipe. Preuve en est le progrès que nous avons effectué en tant qu’équipe et moi en tant que joueur. Donc lorsque tu dis “leur donner une chance” ou “je me devais de faire quelque chose”… c’est des conneries pour moi.
CH : Masai et toi vous connaissez depuis longtemps. Est-ce que cela a été plus blessant, le fait que tu avais un vrai lien avec lui ?
DD : Sans aucun doute. En fait quand tu utilises les mots “famille”, “frère”, ou quel que soit les trucs que les autres utilisent à la légère… pour moi, dès que tu utilises ce terme, je maintiens ce terme. Je reste fidèle à ce terme. Donc même si c’est quelque chose que j’aime ou je n’aime pas, je vais l’accepter si tu viens m’en informer au préalable. Mais ne fait pas passer une chose pour une autre, me prendre au dépourvu et faire autre chose. C’est le cœur du problème. Je comprends comment fonctionne la Ligue, comment fonctionne le business. Mon état d’esprit était que j’allais être à Toronto toute ma carrière, mais je n’ai jamais été naïf. Juste préviens moi. C’est de là que vient ma frustration. Et je pense que ça s’est vu. Des fans à moi-même – cela m’a juste pris complètement au dépourvu.
CH : Sens-tu avoir été traité de manière particulière par Masai Ujiri ?
DD : Je sens que je n’ai pas été traité justement par rapport à tout ce que j’ai sacrifié pendant neuf ans, et avec tout le respect que je pensais mériter. Juste en me disant que quelque chose se trame ou qu’il y a une chance [d’être transféré, ndlr]. C’est tout ce que je voulais. C’est tout ce que je voulais. Je ne dis pas ‘Tu n’as pas à me transférer’ ou… juste dis moi s’il y a quelque chose qui se passe parce que j’ai tout sacrifié. Juste préviens moi. C’est tout ce que je demande. Tout le monde sait que je suis l’une des personnes les plus faciles à contenter au monde. Juste préviens moi, de sorte à ce que je puisse me préparer pour mon prochain chapitre, et je n’ai pas eu ça.
CH : As-tu demandé si tu allais être transféré ?
DD : J’ai demandé ‘Vais-je me faire trader ? Y a-t-il quelque chose qui se trame, est-ce qu’il y a une chance que je sois transféré ?’ Et à de multiples occasions, on me disait ‘Non, ce n’est rien’. S’il y a quelque chose, dites le moi ou à mon agent.
CH : Quelles ont été tes émotions quand tu l’as appris ?
DD : Mec, j’étais vraiment choqué. Je ne pouvais même plus réfléchir ça ne me paraissait pas réel. Je n’avais aucune indication de ce qui allait se passer. Si je savais, je n’aurais pas réagi de la même manière. Je me serais préparé pour ça. Mais cela n’a pris totalement au dépourvu parce que je pensais que c’était un été comme les autres. J’ai parlé à mes équipiers tous les jours pour voir comment nous allons nous améliorer. Donc m’annoncer ça à minuit sorti de nulle part, genre, quand même. Deux jours plus tôt, je lui ai demandé ‘Y a-t-il quelque chose qui se trame ?’ Si oui, juste préviens moi, parce que les rumeurs continuent d’arriver. Deux jours plus tard, tu vas là-bas [à San Antonio, ndlr].
CH : En 2016, lorsque tu étais agent libre, beaucoup de monde pensait que tu allais signer aux Lakers. Retourner dans ta ville natale. Nous sommes aujourd’hui à Los Angeles. Cela ne s’est pas passé. Tu n’as même pas organisé d’entretien avec l’équipe. Toronto a beaucoup de mal pour attirer de gros agents libres, et l’équipe a eu du mal à garder quelques-unes de ses stars. Pourquoi était-il si important pour toi de resigner et de ne même pas regarder ailleurs ?
DD : Le premier jour, lorsque j’ai été drafté par les Toronto Raptors, ils avaient ce stigma : tout le monde s’en va, personne ne veut être ici, surtout les superstars, personne ne veut jouer au Canada. Depuis le premier jour, mon état d’esprit et mon approche du jeu, étant à Toronto, étaient de changer cette image de la franchise. C’est pourquoi j’ai travaillé d’arrache-pied comme ça. C’est pourquoi j’ai tout donné, c’est pourquoi j’ai toujours représenté la franchise, pour effacer le stigma. Et c’était un autre exemple dans ma carrière où j’ai pu prouvé ça en ne m’entretenant avec personne d’autre. Régler ça [sa prolongation de contrat, ndlr] durant les 30 premières minutes de la free agency et continuer à travailler. Ça a toujours été mon état d’esprit et mon approche, et on pouvait le voir avec la connexion que j’avais avec les fans. Je n’ai jamais pensé à autre-part, je n’ai jamais mentionné une autre franchise. J’adore cet endroit. C’est littéralement ma deuxième maison.
CH : Lorsque l’on a appris que tu étais transféré à San Antonio, il y a eu un élan de solidarité de joueurs sur Twitter, Instagram, disant que DeMar avait été traité de manière injuste ou qu’il devrait avoir une statue en-dehors du Air Canada Centre. Quand tu as vu ça par tes pairs, comment l’as-tu vécu ?
DD : Mec, c’était probablement une des situations les plus incroyables de ma carrière. De voir ses pairs, comment ils t’apprécient. Beaucoup de gars… je n’ai même pas leur numéro. On n’est même pas amis. Mais de voir ça… cela se passe de commentaires. C’était superbe d’avoir ce genre de soutien par tes pairs, quelque chose qui va m’aider pour longtemps. C’était incontestablement un honneur.
CH : As-tu parlé à Kyle Lowry ? Comment s’est passée cette conversation ?
DD : Je me souviens de lorsque j’ai appris la nouvelle, il était minuit à Los Angeles. J’ai rendu son téléphone fou. Il était à Philadephie. Il était trois heures du matin. Je l’ai spammé jusqu’à ce qu’il réponde. Il a répondu, et je lui ai dit, et tu pouvais voir qu’il dormait. Il m’a dit ‘Quoi ?’ Il venait de se réveiller. Je lui ai dit ‘Je te rappelle. Ce n’est pas encore sorti mais ce sera public le matin’. Je me réveille le lendemain. Il m’envoie un long message. Il n’arrivait pas à y croire. Mais il m’a donné quelques mots qui m’ont aidé toute la journée. Étant mon frère, plus que mon équipier, il était là pour moi à ce moment. Tu pouvais voir que ça l’affectait aussi, donc c’était cool juste d’avoir ce soutien de sa part.”
L’ancien Dino revient ensuite de son futur avec sa nouvelle franchise, les San Antonio Spurs.
“CH : Quels ont été tes sentiments à chaud par rapport au fait d’aller à San Antonio ?
DD : Je suis toujours sous le choc. La seconde personne à qui j’ai parlé cette nuit, avec qui je suis très proche, était Rudy Gay. J’étais contrarié. Et je l’ai appelé, lui disant ‘Gars, le mec vient de me trader’. Rudy me répondait ‘Quoi ? Vers où ?’ Et je lui ai dit ‘Chez vous’. Il a commencé à rire. Il m’a dit ‘Écoute, je vais pas te mentir, mais je vais retrouver mon gars sûr. Tout va bien se passer mec. Pas besoin de t’inquiéter’. Je lui ai dit ‘Mec, j’aurais même pas dû t’appeler (rires), j’aurais dû attendre que la nouvelle sorte avant de t’appeler’. Mais c’était bien d’avoir pu appeler quelqu’un de proche dans ma vie qui est aux Spurs aussi. Donc il a rendu ça plus facile.
CH : Il va y avoir une autre transition : d’avoir joué avec Coach Casey et maintenant jouer pour Coach Pop [Gregg Popovich, ndlr]. Je sais que tu vas à Team USA, au mini-camp d’entraînement, et Coach Pop va y coacher. Quelles sont tes attentes sur le fait de jouer pour Coach Pop ?
DD : J’ai toujours été un fan de Pop. Il y a juste quelque chose dans sa façon de mener une équipe, de coacher, sa crédibilité. Tu es presque obligé d’aimer tout ce qui ressort de Pop. Donc d’avoir l’opportunité de jouer avec un coach légendaire à ce stade de ma carrière, je pense que c’est une bénédiction parce que c’est vraiment un bon moment d’être avec un gars comme lui. J’ai été avec Case [Dwane Casey, ndlr] pour la majorité de ma carrière. Il m’a donné une liberté totale d’être moi-même. La première chose que Case m’a dite lorsque le transfert a eu lieu est que j’allais adorer Pop. D’entendre ça de mon entraîneur, durant ma transition pour un autre entraîneur, ça rend juste les choses plus faciles.”
Des propos touchants, pour celui qui n’a jamais baissé les bras pour sa franchise. Alors certes, ses performances en playoffs n’ont pas toujours, pour ne pas dire jamais, été à la hauteur. Mais comme le joueur l’a rappelé, un minimum de communication claire de Masai Ujiri n’aurait pas été du luxe. Après neuf saisons dans le Canada, on parle quand même du meilleur scoreur All Time des Raptors, le joueur le plus capé de sa franchise et le co-détenteur du record de points sur un match sous le maillot rouge. Tava. Alors certes, business is business, mais cela ne veut pas dire ne pas informer un joueur de son sort, déjà qu’il ne le maîtrise pas. DeMar a l’air d’en vouloir beaucoup à son ancien general manager, et ce qui risque de donner lieu à un retour au Air Canada Center des plus somptueux, entre standing ovation et performance de bâtard.
La NBA peut être parfois cruelle. Dans une période où les joueurs sont de plus en plus enclins à changer de franchises et maîtriser leur destinée, DeMar DeRozan se voyait au Canada sur le long-terme, et a très mal vécu le manque de communication de son GM. C’est moche, mais c’est le business, et le joueur peut quand même se consoler en se disant qu’il arrive dans une des meilleures organisations de la Ligue.
Source texte : ESPN