LeBron James et son combat avec l’Histoire – Chapitre 4 : l’heure du plus grand choix de sa carrière
Le 30 mai 2018 à 18:37 par Bastien Fontanieu
Les Finales sont devant nous, sagement installées à table et prêtes à attaquer le plat tant attendu. Mais comme la tradition le veut, un petit bénédicité s’impose afin de bénir le bon basket qui nous sera proposé : l’occasion parfaite pour prendre un peu de recul concernant la carrière de LeBron James, un phénomène venu de Cleveland.
Chapitre 1 : vivre après Jordan, un sacré poids
Chapitre 2 : après la chute, l’envie de le voir triompher
Chapitre 3 : l’invincibilité, telle est la marque des GOAT
La scène, mythique, est connue de tous. Ceux qui ont vu et vécu la trilogie ne peuvent s’empêcher d’esquisser un demi-sourire, lorsque le paysage est planté à nouveau devant eux. Vous vous en souvenez comme si c’était hier. La musique, l’atmosphère, les couleurs. Sombres et menaçantes. Matrix 1, 25ème minute et 40ème seconde. Assis sur un imposant fauteuil en cuir dont on peut sniffer l’odeur à travers l’écran, la gueule semi-trempée et le regard perdu dans le néant de son quotidien, Neo (joué par Keanu Reaves) fait face à Morpheus. L’ambiance est comme qui dirait ‘awkward’. Les deux hommes se toisent. Le suspens est palpable. Un long silence s’installe.
La discussion prend alors place.
Personnage principal du film, Neo est déboussolé. Il est à un carrefour de son existence, aux portes d’un univers dont il a à peine conscience. Lassé par son quotidien et attiré par un monde meilleur telle une mouche vers la lumière, un monde plus jouissif, un monde sans limites où l’imagination peut libérer l’éventail des possibilités, l’employé borderline-dépressif d’une pauvre entreprise créatrice de programmes et de logiciels fait face à un choix. Et pas n’importe quel choix. Le choix.
“Pilule rouge, ou pilule bleue ?”
Cette simple phrase, devenue légendaire dans le folklore de notre époque et ressortie à toutes les sauces, est pleine de sens. Le cadre dans lequel elle est prononcée, aussi. Les dents du bonheur de Morpheus, les lunettes rondes et noires, le long manteau en cuir inspirant autant de fascination que d’incompréhension, le sourire malsain esquissé dans la pénombre. Bien au-delà de la connotation totalement fucked up en hommage aux drogues dures de cette scène, la proposition des deux pilules donne naissance à un double-chemin qui ne laisse aucune place pour une troisième option. C’est soit l’un, soit l’autre. Pas de in between, pas de négociation ni de marche arrière, pas de modalités changeables. Il y a un monde, celui que l’on connaît, qui apporte son lot de petites satisfactions mais aussi de frustrations. La routine, le cadre bien délimité, le tout-savoir, enfin croit-on. Et il y a l’autre monde, celui qui fait peur mais attire, qui dépasse et repousse nos propres limites en laissant place à une nouvelle manière de penser. Une nouvelle ère, une nouvelle vie.
Une nouvelle vie.
Fast forward en 2018, dans notre chère NBA.
Assis sur un imposant fauteuil en cuir dont on peut sniffer l’odeur à travers l’écran, la gueule semi-trempée par l’effort surhumain de ces derniers Playoffs et le regard perdu dans la buée sportive que représente son quotidien avec les Cavs, LeBron fait face à Morpheus. L’ambiance est comme qui dirait ‘awkward’. Les deux hommes se toisent. Le suspens est palpable. Un long silence s’installe.
Puis la question vient.
“Pilule rouge, ou pilule bleue ?”
Pause.
Sans vouloir impérativement rentrer dans la comparaison détail par détail, en mode Tristan Thompson dans le rôle de Dozer et Kevin Love dans celui de Trinity (wtf), le meilleur joueur de la planète est à un immense croisement de sa carrière. Plus grand que celui de 2010 ? Peut-être pas. Mais plus important et significatif à l’aube du dernier run de son illustre aventure ? Oh que oui. Dès le 1er juillet 2018, LeBron James aura la possibilité de devenir agent-libre et donc de signer où bon lui semble. Chez les Cavs, comme dans n’importe quelle autre équipe. Et c’est cet inévitable rendez-vous avec l’histoire, ce jugement divin dont nous avons maintes fois parlé par le passé, qui arrive telle une contre-attaque du King lancée toute épaule en avant. Nous y sommes. Impossible de faire demi-tour. Impossible de quitter ce fauteuil en cuir. S’il a déjà tout accompli, ou presque, le phénomène d’Akron va devoir faire un choix. Et pas n’importe quel choix. Le choix.
La carrière de LeBron pourrait s’arrêter dès demain, la discussion tiendrait sur la durée dans toutes les réunions basket qui se déroulent au sein de notre système solaire. Jordan, LeBron, qui est le GOAT ? Hein ? Qui est le GOAT ? Sa salle de trophées est all-time, sa capacité à repousser des records exceptionnelle. Mais James reste attaché à sa mission principale – celle de chasser le fantôme de Chicago – et c’est peu dire s’il est productif dans son projet quotidien. Voir LeBron jouer au basket aujourd’hui, c’est voir le basketteur le plus complet de tous les temps nous faire perdre nos mots. C’est voir l’excellence à son plus haut degré. C’est voir Spielberg, Nolan, Tarantino et Scorsese bosser sur le même film en se marrant. C’est se pointer à un boeuf avec Chet Baker, Duke Ellington, Take 6 et Donny Hathaway sur scène. C’est un toro entre Zizou, Ronaldinho, Cruyff et Maradona. LeBron est la perfection sur les échelles basket allant de 1 à 99. Difficile d’aller le chercher là-dessus. Cependant, la mission reste inchangée, il faut traquer le titre de GOAT. Et les deux paumes de Morpheus sont belles et bien tendues, pilules posées devant lui. Pas de in between, pas de négociation ni de marche arrière, pas de modalités changeables. Nous sommes le 1er juillet 2018.
Pour se donner une meilleure idée de ce que LBJ doit affronter cet été, sortons notre plus beau microscope. Afin d’observer de plus près la composition de ces deux pilules. Et afin que le choix, une fois pris, soit ‘le bon’ pour LeBron.
Main droite. Pilule bleue, Cleveland.
Cleveland, Ohio.
Sa salle, la Q.
Son maillot, le noir, surtout. Son speaker, sa mascotte, les rues qu’on connaît déjà, traversées depuis des années avec un doux sentiment de sécurité et une bonne pincée de nostalgie. Cleveland, Ohio. ‘This is for you’. Sa franchise, les Cavs, pour laquelle un inoubliable titre a enfin été décroché. 2016, fuck yeah. Son coach, enfin se nomme-t-il, Tyronn Lue. Ses coéquipiers, son nouveau General Manager, son proprio pro-Trump qui sort par le nez de LeBron. Ses fans qui dansent dans les escaliers, ses batteurs à la mi-temps, ses petites habitudes. Cleveland, Ohio. I’m coming home et tout le tintouin de 2014, le feu d’artifice, les promesses, la famille, la maison. Les gosses soutenus via les asso caritatives, les bracelets qui vont avec. La fondation du King, le règne du King, le royaume du King.
LeBron resterait à Cleveland cet été que ce serait quelque part… totalement LeBron.
Chaque fois qu’on a cru savoir ce qu’il allait faire dans sa carrière, LBJ a pris tout le monde a contre-pied afin de rappeler qui reste le patron. Et pas seulement le patron de son sport. Non. Le patron de l’information. Le boss aux commandes du scénario global, celui que tout le monde va suivre. Obsédé par sa communication, incapable de concevoir autre chose que la 1ère place, qu’elle soit médiatique ou sportive, LeBron est l’athlète le plus suivi de notre génération. Une position de choix dont il a conscience, et dont il se nourrit avec abondance. On le voit d’ailleurs assez bien depuis son retour en 2014. Le King ne peut être plus ‘roi’ qu’à Cleveland. C’est impossible. Il ne peut pas, c’est un fait. Cleveland, c’est chez lui. C’est lui et personne avant lui qui a rapporté le titre de 2016, la consécration, la gloire éternelle, cimentant un peu plus sa place sur le trône de dieu de sa région. C’est lui qui attire les objectifs du monde entier, dès qu’il éternue ou mange une simple orange à la mi-temps d’un match. C’est lui qui braque les objectifs vers son camp, en feintant ceux qui le suivent de près. Alors que tout semble pointer vers un départ, rationnel et prévisible, LeBron pourrait surprendre et garder ce pas d’avance sur nous, pauvres humains. Dans son château made in Ohio, LeBron dicte et le peuple suit. Opposez-vous à sa main de fer et vous serez envoyé au goulag en un battement de cil. Telle est la loi du roi. Sa loi. Une qu’il ne peut exercer qu’en restant là-bas.
LeBron resterait à Cleveland cet été que ce serait quelque part… totalement compréhensible.
On parle à l’instant de son statut de patron en ce qui concerne son image, c’est évidemment le même traitement qui lui est proposé – avec le sourire – sur le plan sportif. La question suivante suffira à enlever quelconque doute dans les esprits de certains. Est-il possible de trouver un autre endroit où LeBron enregistrera 82 matchs à 38 minutes de moyenne dans sa 15ème saison professionnelle, sans que personne ne lui dise quoi que ce soit ? Non. Never. Nulle part. Impossible. Patron de l’info, oui, mais patron de ses envies, aussi. Et le King est plutôt du genre exigeant avec lui-même devant le livre des records. Envie de rattraper Kareem Abdul-Jabbar et ses 38 387 points en carrière pour devenir le scoreur le plus prolifique de toute l’histoire ? L’adresse pour ce faire, la seule, on la connaît : Cleveland, Ohio. Envie d’exploser tous les compteurs statistiques et atomiser la concurrence avec un club à 35 000 points, 10 000 rebonds et 10 000 passes, pour ne donner que cet exemple ? L’adresse pour ce faire, la seule, on la connaît : Cleveland, Ohio. LeBron n’a pas de limites chez les Cavs, et il aime cela. Ce qui est à la fois sa force et son péché mignon. Il a peut-être hérité d’un nouveau GM qui agit bien plus indépendamment que le précédent (David Griffin), mais il reste bel et bien le maître à bord. Au point de le voir, cette saison, choisir ses matchs et ses efforts plus évidemment que jamais auparavant. LeBron ne se donne plus la peine de se donner H24, il sélectionne et peut se le permettre car personne ne se mettra sur sa route dans son état. S’il veut détrôner toutes les légendes statistiques, c’est possible, à Cleveland. Prolonger irait ainsi dans ce sens.
LeBron resterait à Cleveland cet été que ce serait quelque part… totalement prévisible.
L’époque du Heat, aussi chouette fût-elle, ne permettait pas à LeBron d’être le patron ultime. Avec Pat Riley à bord du navire et un Erik Spoelstra qui souhaitait maintenir l’animal en cage (et en forme avec des soirées de repos), James était au sommet de sa forme, mais pas au sommet de son pouvoir global. Assoiffé de cette calice qui a rendu fou plus d’un homme, LeBron est un des plus grands commandants de l’histoire de notre jeu et de la NBA, et il le sait. Il en profite et nous régale en dirigeant sa vie, son équipe, sa franchise, sa conférence et quelque part la Ligue avec une précision extrême. Alors forcément, au bout de trois paragraphes, le premier réflexe est de poser la question suivante : comment peut-on dessiner un tel portrait du King ? Un égocentrique magnifiquement caché, qui refuserait de soumettre quelconque pouvoir ? Un manipulateur semi-SM, qui dessinerait son propre cirque annuel pour garder le peuple suspendu au premier rang ? Vraiment ? Non, évidemment. Ce n’est ni tout noir, ni tout blanc. Jamais, dans le monde de LeBron. Mais entre le sacro-saint leader qui veut rendre tout le monde heureux sur Terre, et le maître des plans machiavéliques aux stratégies rondement menées depuis son plus jeune âge, il y a un juste milieu sur lequel danser et ne pas trembler. Son dancefloor préféré ? Il est dans l’Ohio, à Cleveland, là où ses élèves l’attendent chaque jour avec autant d’impatience que de révérence.
Enfin, LeBron resterait à Cleveland cet été que ce serait quelque part… totalement respectable.
Encore un déménagement dans une autre franchise, et la coupe serait en quelque sorte ‘pleine’ : bonjour la profiteuse, l’opportunisme parfait pour un compétiteur qui doit vagabonder afin d’avoir plusieurs bagues. Bravo pour ce forçage blasphématoire. En effet, les plus fidèles serviteurs du King peuvent réécrire l’histoire comme bon leur semble, la peinture aura malheureusement une drôle de tête s’il faut continuer la traque du GOAT tout en voyant l’ailier porter plusieurs maillots. ‘L’homme auquel on compare Michael a donc déménagé… trois fois minimum dans sa carrière…?’ La phrase, qu’on apprécie sa pertinence ou non, ferait tâche et serait utilisée en premier lieu par les défenseurs de la majesté chicagoanne. LeBron le sait, mieux que quiconque, il ne pourra faillir après tant d’années passées à magnifiquement peaufiner son image. Et c’est ce qui rend cette pilule bleue si attirante. Le message envoyé est beau, il est pur. Il peut être interprété de différentes manières positives par les générations actuelles, comme les suivantes. Il invoque des valeurs et des qualités qui nous touchent au plus profond de nous-même. La persévérance dans la difficulté, la confiance envers les siens. L’abnégation, la longévité, et la loyauté sur la durée, plutôt que d’être en perpétuel mouvement. On parlait d’obsession tout à l’heure, LeBron veut laisser une trace inoubliable derrière lui. Une que personne ne pourra tacler dès le premier coup d’oeil. Celle d’un joueur qui change d’adresse quand la difficulté pointe son nez ? Ou celle d’un homme qui a appris de ses leçons et qui va continuer à se battre avec ses proches pour donner l’exemple ?
Rester à Cleveland, telle est la tentation. Celle de la pilule bleue, dans la main droite.
Main gauche. Pilule rouge, changer de franchise.
Aller ailleurs.
Partir, où que ce soit.
Changer de lieu, d’endroit, de routine et ouvrir un nouveau chapitre. Quitter le script répétitif de chaque saison pour ponctuer une immense carrière. Les régulières, le mode Zero Dark Thirty, le rouleau-compresseur sur l’Est. Puis les défaites en Finales NBA. Sélectionnez, répétez, validez. Aller ailleurs, et obtenir ce qu’on mérite vraiment. Un effectif à la hauteur de son légendaire talent, un finish aussi grandiose que celui des Jordan ou Kobe de sa constellation. Aller ailleurs, et relancer la machine pour tenter de faire chuter les armées exceptionnelles de l’Ouest. Pas pour faire semblant, comme actuellement. Aller ailleurs, et ne pas regarder dans le rétroviseur ou vers l’avant avec anxiété puisque le titre promis à Cleveland a enfin été délivré.
LeBron quitterait Cleveland cet été que ce serait quelque part… totalement LeBron.
Lorsqu’on observe la façon dont il communique, que ce soit autour de ses prouesses comme celles de ses aînés, LeBron a tendance à vouloir ouvrir de nouvelles portes, plutôt que de suivre un chemin tout tracé. Le King aime varier les plaisirs, et en tester de nouveaux, surtout. On l’a vu dans ses choix de carrière, on le voit de plus en plus dans les angles qu’il aime aborder. Non, peut-être qu’il n’aura pas 6 titres, et alors ? Est-ce le baromètre officiel qui a été placé par le Docteur James Naismith, lorsqu’il a inventé le plus beau des sports ? Non plus. En étant conscient de cela, la tentation qui anime LeBron est celle de vouloir créer des accomplissements qui n’ont jamais été réalisés, ni même évoqués. Faire ce qu’il fait à 33 ans, ses performances venues d’une autre planète, sa campagne de Playoffs 2018, sa régularité, le club du 30K-8K-8K, son temps de jeu, tout est dirigé dans le domaine du ‘never done’. Dans ce qu’on n’a jamais vu dans l’histoire de la NBA. Ce qui lui permet, au passage, de créer un tout autre angle dans la définition du GOAT. Par conséquent, le choix de cet été apporte une dimension nouvelle et all-time qu’on ne peut laisser de côté. Remporter trois titres, dans trois franchises différentes, en étant trois fois le meilleur joueur ? Du jamais vu. Kareem-Abdul-Jabbar a bien emmené les Bucks et les Lakers jusqu’au sommet de la NBA, mais qui d’autre a pu montrer autant de domination en changeant de maillot et de décennie ? Wilt ? Shaq ? Les sièges sont rarissimes lorsqu’on parle de domination dans deux franchises, alors trois on entrerait dans un tout nouveau monde. Un qui pourrait évidemment tenter un compétiteur comme LeBron, toujours avide de nouveaux challenges.
LeBron quitterait Cleveland cet été que ce serait quelque part… totalement compréhensible.
Inutile d’avoir réalisé de longues études supérieures, ou d’avoir joué au basket au plus haut niveau, pour soupirer un long moment en voyant l’effectif dans lequel le meilleur joueur au monde évolue. Observer les Cavs en 2018, c’est avant tout avoir de la compassion pour LeBron, qui arrive à presque rendre littérale l’expression ‘homme à tout faire’. Son supporting cast est d’une faiblesse rare, le talent qui l’entoure est à des années lumières de ce qu’il aimerait posséder. Désolé Gérard, désolé Kevin, désolé Tristan, ce n’est pas par manque de respect mais par objectivité sportive que ce sentiment global prend place. Pour un joueur comme lui, qui souhaite ajouter des bagues à son étagère, rester à Cleveland serait presque vu comme un synonyme de stagnation. On connaîtrait la suite du film en gardant les yeux fermés. Arrivé en catastrophe il y a un peu moins d’un an, le General Manager Koby Altman a pourtant fait de son mieux pour tenter de tourner la page Kyrie Irving avec le plus de délicatesse possible, mais les faits sont là. LeBron est épuisé physiquement, il doit gérer plus de responsabilités que jamais. Et ce dépassement de sa personne et de ses capacités impacte sa longévité. Burger Quiz. Que va faire Cleveland avec son 8ème choix de Draft ? Certainement pas apporter une pièce quatre étoiles, capable d’aider LeBron à remporter une nouvelle bague dans l’immédiat. Et à moins que les cadres de l’effectif actuel progressent tous de manière drastique en un an, on ne voit pas en quoi prolonger à Cleveland augmenterait les chances de titres pour le King.
LeBron quitterait Cleveland cet été que ce serait quelque part… totalement prévisible.
Garder sa place tout en haut de la chaîne alimentaire est une mission qui demande un investissement total et quotidien. Il faut repousser les ennemis avec la même ferveur, dévorer les petits sans le moindre état d’âme. Et depuis 8 ans maintenant, la Conférence Est appartient à LeBron. Elle lui appartient comme une pelote de laine appartient à un chat, comme un condamné appartient à son bourreau. On sait ce qui va se passer, il n’y a pas de surprise, et hormis quelques temps forts éparpillés ici ou là le résultat final est inchangé. Sauf que cette année plus que n’importe quelle autre auparavant, la probabilité de voir le script utiliser une nouvelle encre a été haussée à un niveau inquiétant. La fatigue de LeBron, la faiblesse de son équipe, deux premiers éléments qui ont mis la puce à l’oreille. Mais la concurrence et l’avenir hostile qui se prépare à l’Est, voilà qui peut bousculer la domination sans faille de LeBron depuis le début de la décennie. Boston, Philadelphie, Milwaukee. Mais aussi Toronto, Indiana et compagnie. Autant d’armées qui ne veulent qu’une chose, la peau du King. Si ce dernier a réussi à garder sa place au pouvoir en accédant à sa huitième finale consécutive, la route fût exténuante. Trop exténuante. Une demi-équipe de Boston remplie de gosses a poussé les Cavs à jouer 7 lourdes rencontres. Une inexpérimentée équipe d’Indiana en a fait de même. Les Sixers ont la cote plus que jamais, les Bucks ont recruté l’homme idéal pour lâcher le full-potentiel de Giannis. Oui, LeBron reste le meilleur joueur au monde, et sa simple présence dans une équipe l’installe au top de la hiérarchie. Mais impossible d’aborder de potentiels Playoffs 2019 en se disant que des Cavs ajustés seront favoris pour remporter l’Est.
LeBron quitterait Cleveland cet été que ce serait quelque part… totalement respectable.
Si la NBA nous a bien appris une chose depuis sa création, c’est que seuls les vainqueurs sont célébrés et vénérés sur la durée. Il n’y a pas de place pour les seconds, encore moins pour les troisièmes. Seule la marche ultime compte, seul le niveau de luminosité dans la salle des trophées importe. Bill Russell d’abord et Michael Jordan ensuite se sont assurés de maintenir ce set de critères, en compagnie d’autres légendes du jeu. Par conséquent, certains des plus grands talents de l’histoire ont été enfermés dans les oubliettes de la Ligue, par manque de bijoux. On s’agenouille devant les records de Wilt Chamberlain, mais où se place-t-il dans les meilleurs joueurs de tous les temps, au sein de l’esprit commun ? Qui prononce les mots ‘Julius’ et ‘Erving’ d’entrée lorsque la discussion des meilleurs ailiers est ouverte ? LeBron a déjà ses bagues, trois au moment où ces lignes sont écrites, ce qui lui permet de rayonner suffisamment. Mais suffisamment aux yeux de qui ? Les siens seuls n’importent pas assez. Et buter systématiquement sur la meilleure équipe de la Conférence Ouest ne servira pas le King dans son incroyable quête. Taclez Kobe, et vous le verrez tendre sa main, en fixant ses cinq doigts tendus comme des piquets. Faites une pub avec Jordan, et il dressera fièrement 6 bagues sur une seule mimine. LeBron appartient physiquement, techniquement et statistiquement dans la discussion des plus grands de l’histoire. Mais avoir la voix la plus puissante ne passera pas par des exploits techniques, physiques ou statistiques. Cela passera par l’obtention de nouvelles bagues, afin d’enlever de son CV la plus injuste des notions : celle selon laquelle Jordan, Kareem, Duncan, Magic et le Shaq ont plus de titres que lui, donc sont meilleurs que lui.
“Pilule rouge, ou pilule bleue ?”
Aujourd’hui, nous ne sommes pas le 1er juillet 2018. Nous ne sommes que le 30 mai de la même année, à quelques heures de nouvelles Finales NBA qui semblent plus déséquilibrées que jamais. Pourquoi ne pas parler de l’opposition entre Cavs et Warriors ? Probablement parce que le vainqueur semble déjà désigné. Probablement parce que who cares. Cependant, cette ultime série laissera bientôt place à la décision la plus déterminante dans la carrière de LeBron. Une qui pourrait aussi bien alimenter son dossier dans la quête du titre de GOAT qu’ajouter un nouveau bâton dans ses roues. 2010, le script était écrit car il fallait remporter un premier titre en carrière. 2014, le script était écrit car il fallait remporter un premier titre à Cleveland. Maintenant que ces deux objectifs ont été validés, où aller ? Quel que soit son futur choix, il sera déterminant. Et quelque part significatif de l’homme qu’il est vraiment. Morpheus, assis sur son siège en cuir, attend. Comme nous, depuis si longtemps. Le joueur le plus complet de l’histoire a un choix à faire, à lui de nous guider vers sa voie.
LeBron James aura 34 ans dans quelques mois, et a encore bien des accomplissements à valider avant de quitter la NBA pour de bon. Après avoir passé tant d’années à dominer, à mener, à diriger, qu’en sera-t-il de la suite ? La sortie de scène d’un des meilleurs joueurs de l’histoire sera-t-elle aussi épique que les légendes du jeu passées avant lui… ou bien nous surprendra-t-il en créant un nouveau modèle de fin de carrière ? S’il y en a bien un qui peut faire ce choix, c’est lui. You are the One, LeBron.