LeBron James et son combat avec l’Histoire – Chapitre 3 : l’invincibilité, telle est la marque des GOAT

Le 29 mai 2017 à 15:10 par Bastien Fontanieu

LeBron James
Source image : Reddit

Les Finales sont devant nous, sagement installées à table et prêtes à attaquer le plat tant attendu. Mais comme la tradition le veut, un petit bénédicité s’impose afin de bénir le bon basket qui nous sera proposé : l’occasion parfaite pour prendre un peu de recul concernant la carrière de LeBron James, un phénomène venu de Cleveland.

Chapitre 1 : vivre après Jordan, un sacré poids

Chapitre 2 : après la chute, l’envie de le voir triompher

C’est une soirée des plus normales, sous une forte chaleur parisienne. Une de ces nuits durant lesquelles le sommeil est parti en catimini, sans nous laisser de post-it ni de message vocal. Au diable les bonnes résolutions de la semaine prochaine, les douze positions tentées pour s’endormir ne mènent à rien. Entre trois deadline à respecter pour le taf et deux débats sur les Finales NBA à venir, un début de réflexion prend forme. Sans savoir, à ce moment précis, qu’elle mènera vers ce troisième chapitre d’une série qui devrait durer encore longtemps. Une intuition, transformée en méditation, pendant que les heures de ce foutu dimanche défilent au ralenti. Café, clope.

3h15, fuck.

Au même moment, sur la surface de notre planète préférée – orange et dorée – le gratin de la pensée sportive se réunit pour parler de cette opposition devenue reine dans la discutaille de comptoir. LeBron ou Jordan, Jordan ou LeBron. Piégés comme mouche sous verre, on commence par se promettre de ne pas squatter le bac à sable, avant de finalement sélectionner la meilleure pelle et le plus gros seau disponible. Impossible d’échapper au symposium, c’en est presque devenu une affaire physique. Il faut avoir un avis sur ce duel, sous peine d’être rangé dans la case hérétique. Comme si notre crédibilité générale en dépendait. Comme si toutes ces années d’observations devaient se réduire à une seule matchup. On accepte d’ailleurs ce mécanisme avec une puérilité à demi contrôlée. Mais alors que les arguments sont dégueulés avec plus ou moins de grâce, en anglais comme en VOSTFR, la réflexion initiale qui cherchait à éclore éclate, pour soudainement prendre toute la place. Il n’y a plus le moindre espace. La voici toute faite, prête à être décortiquée. Façon DST de philo, on se jette la tête la première sur cette piste, dans un mélange d’intrigue et d’exaltation. Il faut s’y pencher, immédiatement.

Mais qu’est-ce qui définit les GOAT dans l’Histoire ?

Greatest Of All Time, GOAT. La chèvre. Plus Jordan que Soignon. Plus crémeux que pélardon.  Devant cette quête du trône destiné au King, la plus simple des réponses à cette question devient malheureusement insatisfaisante. Les statistiques, les performances, les victoires, les bilans, les pourcentages, les postes, les générations, les coéquipiers, tous les éléments ont beau être avancés, aucun n’apporte de véritable sentiment de progression dans le débat. On a beau essayer, chaque argument peut être retourné pour favoriser ou contrer un athlète, ce qui nous mène à une véritable impasse. Le scoring de Jordan est aussi son égocentrisme. L’altruisme de LeBron est aussi son manque de killer instinct. Cheveux arrachés, soupirs enchaînés, cette frustration dépasse largement celle d’une nuit sans sommeil, mais elle demande un rare effort de concentration car la réflexion semble mener vers la bonne voie. Il ne faut pas relâcher la pression, la lumière est au bout du tunnel et on peut la voir nous draguer au loin, accompagnée par une Morphée plus aight que jamais.

5h20, on s’accroche.

LeBron souhaite donc prendre la place de Jordan en “chassant le fantôme de Chicago”, c’est ça ? Noble mission, mais dont il faut comprendre la signification. Car vouloir traquer le GOAT est un art qui demande plusieurs éléments de validation. Et ce, quelle que soit la discipline. Ceinture attachée, fatigue déclarée, on sort alors du simple basket pour entamer une dangereuse navigation dans le monde des autres sports. La route est aussi périlleuse qu’excitante, entre les légendes vivantes de notre époque. Football, handball, natation, tennis, boxe, athlétisme, golf et j’en passe, la définition du GOAT est exceptionnellement observée avec un tout nouvel oeil. Plus large, plus satisfaisant, loin du circuit habituel qui ne requiert le moindre effort. Un qui va nous mener doucement mais sûrement vers la terre promise. Celle qui ne définira pas la direction du duel LeBron-Jordan, mais plutôt son plan de route. GOAT, GOAT, GOAT, what the GOAT ? C’est justement au milieu de cette comptine inattendue, en traversant les exploits des meilleurs athlètes de notre histoire, que le terme le plus pertinent débarquera telle une bombe psychique. Un mot simple et à la fois terrifiant, car synonyme d’admiration et de peur.

6h, l’invincibilité.

Mais oui. L’invincibilité, voilà ce qui définit les GOAT. Voilà ce qui explique en grande partie le culte populaire réservé à quelques surdoués de notre espèce. On y est, ça y est. La réflexion du début a bien grandi, elle est désormais plus évidente que jamais et laisse place à des petites soeurs toutes liées les unes aux autres. Comment expliquer les fantasmes entourant Michael Jordan ? Comment rassembler des milliards de témoins devant Usain Bolt ? Pourquoi une telle révérence devant Mohammed Ali ? Et Michael Phelps ? Et Roger Federer ? Et Tiger Woods ? Et Serena Williams ? Et l’équipe de France de handball pour ne citer qu’eux ? Devant cet Olympe du sport, un seul et unique élément semble lier chaque demi-dieu, bien au-delà des performances et des moments inscrits à jamais dans l’histoire. L’invincibilité, telle est la vraie marque des GOAT. La voilà, la clé ouvrant la porte d’une toute nouvelle pensée. D’un phénomène à l’autre, la durée de cette invincibilité peut bien évidemment varier. Mais le secret est bien là, partagé le temps d’un soir avec un simple insomniaque. Même en quittant le monde du sport, les croisements se font de façon quasiment intuitive. Jules César, Napoléon Bonaparte, Attila, chez les conquérants aussi, l’invincibilité prédomine. Vito Corleone, James Bond, John MClane, Tony Montana, le cinéma glorifie ses plus grands personnages de par leur invincibilité. On voit en eux quelque chose qu’on ne pourra jamais atteindre, car aux portes des limites humaines. C’est ce qui les sépare du lot, c’est ce qui leur permet d’occuper leur trône au fil des ans. Voilà ce qu’on cherchait pendant tout ce temps.

6h45, LeBron.

Alors que faire de LeBron ? Ce voyage épique dans l’univers de l’excellence est terminé, il faut désormais atterrir puis conclure avec audace. Nous revoilà, cher King. Le cyborg des Cavs est un sportif à part, un athlète qui domine sa discipline sans l’ombre d’un doute depuis près de 10 ans. Sans l’ombre d’un doute, oui, mais sans partage…? Non. Et c’est là que James voit son dossier en prendre un coup, malgré les accomplissements, les records et les félicitations. La traversée dans le monde de la sainteté sportive n’a fait que confirmer la grande pensée actuelle, celle d’avoir en LeBron le meilleur basketteur de l’histoire. Tatouez-le, acceptez-le, vomissez-le, c’est un fait qui sera cimenté avec le temps. On peut en débattre pendant des heures, des jours, des semaines, des mois, des années même, il est trop difficile d’aller à l’encontre du phénomène d’Akron. Sa polyvalence et sa longévité font de lui un véritable chef d’oeuvre sportif, une masterpiece dont on réalisera collectivement la beauté une fois ses chaussures définitivement délacées. Tout est quasiment parfait depuis son arrivée sur le circuit pro. Les critiques avancées aujourd’hui ? Un spectacle particulièrement comique pour ceux qui devaient couvrir un Jordan imbuvable au début des années 90. Moins de killer instinct, d’esthétisme dans son jeu, de capacité à couper le souffle, certainement. Mais plus d’altruisme, d’exemplarité, de hype assumée, également.

Sauf que, sauf que, sauf que. Sauf que le combat de LeBron n’est pas celui-là, et il l’a lui-même avoué en remportant sa troisième bague l’an dernier. Ce qu’il veut, ce n’est pas un statut de meilleur basketteur de l’histoire, c’est le titre de GOAT. Et la grande différence ? Elle est dans la perception du public, dans l’élévation d’un athlète grâce à son parcours dictatorial ainsi que ses exploits. Pas dans les applaudissements de ses pairs, ce qu’il a déjà. Pour atteindre le sommet, LeBron n’a qu’un élément à valider : celui de l’invincibilité. Car le reste ? James l’a déjà géré, avec une précocité et une méthode qu’on ne reverra probablement plus jamais. En voilà une autre, de claque qu’on prendra tous en pleine gueule quand LBJ tirera sa révérence. Regardez son CV, tout y est. Les avantages de Jordan seront compensés par d’autres signés LeBron. Et les points faibles de la locomotive trouveront écho dans le parcours parfois troublant de Michael. Être invincible, par contre, James n’a jamais pu l’être en NBA.

En repoussant sa retraite le plus longtemps possible, le phénomène continuera à viser le trône, sachant très bien ce qu’il devra accomplir afin de se l’approprier. Tout ce qu’il doit ajouter à son immense carrière, c’est une invincibilité qu’il n’a pas pu dompter jusqu’ici. Même en ayant déjà perdu par le passé, il pourra y arriver en accumulant les succès sur une période d’exception. Un autre doublé pour commencer, et surtout un premier triplé si possible. Sa période outrageuse avec le Heat ? Un back-to-back validé avec la manière, certes. Mais depuis quand un joueur est élevé au rang de Jordan après cet accomplissement ? Lorsqu’on parle de GOAT, on évoque des épopées qu’aucun autre humain n’a pu valider. On évoque des périodes, des dates, des durées. Et si LeBron est incontestablement le roi de la Conférence Est depuis des années, la NBA ne lui appartient pas pour autant. La couverture a déjà été partagée, avec Curry, avec KD, avec Kawhi ou Dirk pour ne citer qu’eux. Un GOAT ne partage pas, il domine sans pitié. Tous les plus grands athlètes et toutes les plus grandes figures dominantes de notre histoire ont traversé le temps en ayant porté – avec eux – ce tatouage invincible. Pour la simple et bonne raison qu’il impose le respect, défie les légendes et met fin aux nombreux débats. James n’a “plus que” ça à gérer, et il le sait.

8h, conclusion.

  • Michael Jordan : 6 titres en 6 finales
  • Usain Bolt : invaincu aux JO de 2008, 2012 et 2016
  • Mohammed Ali : invaincu de 1960 à 1971
  • Michael Phelps : 8 titres sur 8 épreuves aux JO de 2008
  • Roger Federer : 1er du classement ATP pendant 5 ans et 9 mois et demi
  • Tiger Woods : 1er du classement pendant 683 semaines
  • Serena Williams : seule joueuse de l’histoire à avoir gagné tous les tournois du Grand Chelem et Jeux olympiques, en simple comme en double.
  • EDF de handball : 8 médailles d’or en 8 ans

En voulant rejoindre la catégorie des GOAT, LeBron James s’est fixé un immense objectif qu’il a déjà quasiment validé à seulement 32 ans. Quasiment oui, mais pas totalement. Car si l’Histoire nous a bien appris quelque chose, c’est que les GOAT ont imposé à leur discipline une invincibilité divine. Une domination totale, individuelle comme collective, sans laisser la moindre place à autrui. L’armoire du phénomène est déjà bien remplie, mais pourra-t-il la ponctuer d’un doublé et surtout d’un triplé ? S’il y arrive, les portes de l’Olympe lui seront grandes ouvertes, et on ne pourra que s’incliner devant lui.