Quand Gregg Popovich emmène ses joueurs au cinéma : Spurs, un état d’esprit qui va au-delà du basket
Le 26 janv. 2018 à 17:58 par Pierre Aimond
Gregg Popovich a beau être célèbre pour son avarice quand il s’agit de s’exprimer face aux journalistes, il est loin d’être aussi fermé en interne. Désireux de créer un environnement propice au débat social, le coach de San Antonio a emmené ses joueurs assister à la projection du documentaire 13th d’Ava DuVernay, qui retrace l’histoire de la division raciale aux Etats-Unis.
On se demande souvent pourquoi certaines équipes sont plus enclines à recruter des joueurs internationaux que d’autres. Une question sous-jacente à celle-ci, c’est de savoir comment font ces franchises pour les aider à s’adapter, pour exploiter au mieux leurs qualités, et pour faire fonctionner un vestiaire dont les joueurs proviennent de pays, et donc de cultures complètement différentes. Alex Wong de GQ nous donne un premier élément de réponse concernant les Spurs. Gregg Popovich, aussi intransigeant soit-il, encourage ses joueurs à débattre de problèmes sociaux. Une démarche symbolisée par sa décision d’emmener son crew voir 13th, et de rencontrer la directrice de ce long-métrage reprenant l’histoire du contexte racial aux U.S. Selon Pop, il s’agit avant tout d’ouvrir le champ des discussions à d’autres domaines que le sport :
“Si toute votre vie tourne autour du basket, je pense que c’est plutôt ennuyant. Plus votre groupe est exposé à des problèmes sociaux, par le biais d’activités réalisées lorsque vous êtes de passage dans une certaine ville, plus votre groupe grandit ensemble. Ça aide les joueurs à s’apprécier mutuellement, à se connaître, à être plus empathiques à l’égard des autres et de leur histoire. […] S’ils peuvent être empathiques et compréhensifs envers autrui, ça enrichit leur existence et tout le monde en profite. Ça permet d’avoir un groupe plus expérimenté et plus intéressant.”
Et lorsque l’on connaît la diversité des origines des joueurs des Spurs (France, Australie, Argentine, Espagne…), on comprend mieux pourquoi il est important, pour Pop, d’amener ses joueurs à partager autre chose que des entraînements ou des KFC après un match. Au regard des résultats collectifs des Spurs depuis des années, on peut sereinement affirmer que la recette fonctionne. Chaque année, de nouveaux exemples viennent confirmer le fait que les joueurs des Spurs sont enclins à faire des sacrifices pour le bien de l’équipe. Entre LaMarcus Aldridge qui s’est ravisé après avoir demandé un trade ou Tony Parker qui n’a pas hésité une seconde à retourner sur le banc à la demande de son coach, force est de reconnaître que jouer aux Spurs, c’est mettre son ego de côté pour le bien du groupe. Et un tel sacrifice requiert une implication totale qui n’est possible qu’à condition que la cohésion de l’équipe soit maximale. Et que votre coach soit un as du management. Pour revenir au film 13th, il semblerait que les joueurs de Gregg Popovich aient particulièrement apprécié cette initiative. Parmi les Spurs qui ont fait le déplacement non obligatoire, on retrouve Brandon Paul, Derrick White, Patty Mills et Manu Ginobili. Ils ont pu découvrir, à travers la réalisation d’Ava DuVernay, comment les inégalités raciales sont indissociables de l’histoire américaine. Brandon Paul a notamment apprécié l’opportunité de pouvoir discuter avec la directrice du film :
“J’apprends toujours, mais je reste sans voix quand il s’agit du harcèlement. J’aimerais m’investir dans des campagnes contre le harcèlement. Voir des films comme 13th, avoir ce type de conversation (avec Ava), tout cela m’aide à m’impliquer dans la communauté.”
On connaissait déjà la position de Gregg Popovich quant au contexte politique des Etats-Unis, lui qui a plusieurs fois manifesté son désaccord avec l’actuel président. Pas étonnant de voir Pop encourager ses joueurs à parler ouvertement, sur des sujets qui divisent, dans l’optique de créer du lien et de se comprendre mutuellement. Lorsque l’on voit l’impact que cette initiative a pu avoir sur certains des jeunes Spurs, on se dit qu’encore une fois, le technicien de San Antonio a tout compris. Et ce n’est pas Patty Mills qui va nous contredire, lui qui est reconnaissant envers Pop d’avoir pris de son temps pour comprendre ses origines indigènes :
“Non seulement, le basket est minuscule à l’échelle du monde, mais notre carrière de basketteur est relativement courte. Pour comprendre qu’un jour, ce sera fini, et qu’il faudra retourner vivre dans le monde réel, il faut comprendre les problèmes sociaux et savoir ce que l’on souhaite faire de notre vie.”
Faire l’effort de chercher à comprendre d’où viennent ses coéquipiers, c’est précisément le réflexe que Popovich tente d’inculquer à ses joueurs. Et c’est peut-être l’une des clés de la réussite du système Spurs. Quoi qu’il en soit, c’est encore une preuve qu’au-delà d’être l’un des tous meilleurs coachs de l’histoire, Pop est tout simplement un formidable humain.
Source texte : Alex Wong, GQ