Les déclarations de Tony Parker sur l’EDF : faut-il lire entre les lignes, et que peut-on en conclure ?

Le 24 août 2016 à 18:10 par Bastien Fontanieu

Tony Parker

C’est une affaire qui aurait pu être évitée, mais s’est finalement retrouvée exposée sur la place principale du village. Interviewé par David Loriot de l’Equipe cette semaine, Tony a lâché quelques pépites qui ont froncé les sourcils de nombreux compatriotes : on met les gants, et on observe tout ça.

Partir en mettant en avant l’amour du maillot bleu, voilà qui représentait une riche idée après avoir notamment vécu une grande désillusion en quarts de finale des derniers JO contre l’Espagne. Faire le point sur sa situation personnelle, en tant que père de famille épanoui et meneur permanent des Spurs, de même. Sur le papier, on pourrait laisser les ambiguïtés du dossier de côté, en respectant l’envie du patron de donner sa propre version des faits et transmettre le bâton aux autres, à sa façon. Sauf que dans ce long entretien qui a permis à de nombreux fans de mettre un pansement sur la plaie, celle qui représentait le départ du meilleur basketteur français de l’histoire, des éléments ont évidemment étonné voire choqué pas mal de monde, rassemblés dans le bloc ci-dessous. On se pose, on lit, et on analyse ensuite, via une série de petites questions.

On n’a pas pu se préparer correctement, beaucoup étaient en négociation de contrat, donc on va dire un peu les têtes ailleurs, ce qui est normal. Nico (Batum), Rudy (Gobert), Evan (Fournier) ont signé ou vont signer les plus gros contrats de leur vie et on va dire que l’équipe de France n’était peut-être pas leur objectif principal. Mais ça ne remet en rien en cause l’amour que Rudy et Nico ont pour le maillot. Nico, c’est respect quand même ! Tous les allers et retours qu’il a faits pour être avec l’équipe de France. Les gens ne se rendent pas compte de tous les sacrifices que l’on fait pour  être là et la pression que certains clubs NBA mettent sur les joueurs. À l’avenir, il y aura de moins en moins de joueurs NBA en sélection.

L’évolution de Nando (De Colo) a fait que Nico a moins de ballons et il n’y a qu’un ballon sur le terrain. Ce qu’a fait Nico pour s’ajuster en équipe de France, c’est admirable. Il a mis son ego de côté, il a tout fait pour que l’équipe de France gagne. […] Moi aussi j’ai mis mon ego de côté, moi aussi j’avais beaucoup de ballons, beaucoup de tirs avant. Maintenant, comme Nando monte la moitié du temps, je n’ai pas la balle sur le terrain. Je suis sur le côté et je regarde Nando jouer. Tout le monde ne peut pas tourner à 20 points de moyenne et, aujourd’hui, c’est Nando notre meilleur marqueur, c’est lui qui prend le plus de tirs (8,7 pour Nando contre 8,6 pour TP) et qui a le plus souvent la balle dans les mains. C’est pour ça que je comprends que Nico soit frustré. On était champions d’Europe, on était performants, on enchaînait les médailles, avec moi et Nico en tête d’affiche. Depuis l’année dernière, c’est Nando la tête d’affiche.

Tout ce que j’ai à dire par rapport à ça (Vincent Collet), c’est que c’était un honneur de jouer pour lui. La façon dont il s’est adapté à mon jeu, à ma personnalité, tout le star-system autour de moi. Franchement, il m’a mis dans les meilleures conditions. Maintenant, je n’ai aucune idée s’il va continuer ou non, mais, moi, je ne pouvais pas demander mieux comme coach en équipe de France.»

# N’y a-t-il que ce cela à retenir dans un entretien aussi long ?

  • C’est la tentation évidente, celle d’aller chercher le coin qui gratte, et lire entre les lignes. Ce qu’on va faire, évidemment, mais remettons les choses dans leur contexte et en perspective par rapport au paysage global : Tony en a sorti des belles, mais il a aussi parlé d’un amour indestructible pour le maillot de l’EDF, d’envoyer un message à chacun pour les remercier de leurs efforts et de lui avoir permis de réaliser cette carrière pour son pays. On peut donc se concentrer quelques minutes sur des passages troublants, mais n’oublions pas le principal. Le gars vient de faire sa dernière compétition avec l’équipe de France, on en connait d’autres qui ont sorti de plus grosses conneries en faisant leur tour de stade…

# L’amour de Rudy et Nico pour le maillot… mais Fournier ?

  • Là, on rentre dans une catégorie délicate, et qui est clairement de l’ordre de l’interprétation. Car visuellement, au premier abord, on se demande pourquoi Evan n’est pas mentionné dans cette phrase. Peut-être parce qu’il n’était tout simplement pas sélectionné dans les 12 de Rio. Peut-être, aussi, que dans l’exercice d’interviewer et de transcrire les paroles d’une personnalité, la ponctuation et les intonations sont difficiles à transmettre. On peut passer pour le pire des enfoirés, sans avoir eu cette intention. Dans quel cas nous sommes, difficile à dire, mais on n’ira pas jusqu’à monter un beef entre Tony et Evan. Sauf s’il… existe déjà. Et là, c’est chacun son interprétation.

# L’évolution de Nando de Colo, un si gros problème que cela ?

  • Nicolas Batum faisait déjà référence à son changement de rôle depuis quelques mois, avec des opportunités moins fréquentes et une distribution de balle moins évidente. Cela s’est vu plus que jamais lors de cette dernière compétition, et Tony semble faire miroir du même problème. Maintenant, comment en vouloir à qui que ce soit ? Nando sortait d’une saison remarquable avec le CSKA, remportant tous les trophées possibles et imaginables, et l’arrière avait régalé pendant l’EuroBasket de septembre 2015. Pendant ce temps-là, Nico faisait lui aussi une belle campagne avec les Hornets, et Tony avait déjà annoncé que ces JO représenteraient ses derniers pas avec les Bleus. Il fallait bien que Vincent Collet nourrisse tout le monde, hiérarchise les possessions de balles, en essayant de responsabiliser les joueurs les plus en forme. Alors oui, les rôles ont peut-être changé et cela a déplu à certains cadres, mais pouvait-on clairement compter sur un niveau de jeu exceptionnel de la part de Parker et Batum sur ces JO ? De ce qu’on a vu, et sur le dernier Euro, pas vraiment. Dans l’envie comme dans les performances, c’est plutôt NDC qui a envoyé du bois depuis un an. Sans parler de Collet qui devait forcément penser à la suite.

# On est donc dans une histoire d’égos…?

  • On est plutôt dans une histoire de transition, et de village un peu trop étroit pour plusieurs shérifs. Il faut se rendre compte d’une chose, tout le monde était conscient que cet été serait le dernier de Tony. Après avoir tant donné pour les Bleus, il semblait normal pour lui de finir sur un point d’exclamation. Sauf qu’à côté, les gars ne vont pas rester les bras croisés à applaudir leur meneur, surtout dans le cas d’un Nando qui est au sommet de sa forme. Imaginez une salle avec une table, quatre chaises, trois d’un côté et une en face. Vincent Collet est seul assis et doit écouter les ambitions de chacun. Première chaise, c’est sa dernière compétition en étant le meilleur joueur de l’histoire de son pays. Deuxième chaise, aucun joueur européen n’a autant dominé que lui ces derniers mois. Troisième chaise, il est prêt à prendre le relais en récupérant les rennes de l’après-Parker. Qu’est-ce que vous faites ? Comment satisfaire tout le monde ? C’est une mission quasi-impossible, et l’entraîneur a dû faire des choix en jonglant avec des joueurs compétitifs. Aujourd’hui, on voit qui a le plus trinqué, hélas.

# Donc ce n’est pas la faute de Vincent Collet ?

  • Il n’y a pas de faute et de pas de faute. On n’est pas non plus obligés de faire porter le chapeau à quelqu’un, une pratique moderne qui gave les joueurs en premier, et après on s’étonne que certains ne reviennent pas… Il est question de contexte, de choix, d’un type qui était bloqué et a dû faire avec ce qu’il avait. Si on doit pointer qui que ce soit du doigt, c’est la FIBA pour nous avoir foutu un TQO à un moment pareil. Est-ce que cela aurait tout changé ? Certainement pas. Mais on serait peut-être loin de ce merdier, avec une meilleure préparation, des joueurs qui auraient pu être choisis au lieu de devoir négocier leur avenir, et une répartition des rôles mieux définie. De fin-mai à fin-août, Collet a eu la tête sous l’eau et on devrait peut-être se mettre à sa place quelques secondes. Loin de nous l’envie d’en faire un coach intouchable, devant lequel on devrait s’agenouiller, mais comprenons aussi ce qu’il avait à gérer humainement et des pressions qui ont pu venir de FFBB droite comme de agents gauche.

 # C’est quand même bizarre, de voir Tony s’exprimer ainsi, non ?

  • Bizarre, oui. Mais étonnant ? Pas vraiment. Vouloir dessiner soudainement un sale portrait de Parker serait un acte assez honteux compte tenu de ce qu’il a fait pendant plus de quinze ans en EDF. Simplement, on doit garder en tête que TP a une personnalité assez forte, et qu’il n’hésitera pas à dire tout haut ce que certains peuvent penser tout bas. C’est ce qu’il a fait, pendant longtemps, sans avoir à forcément passer pour un dictateur : Ajinça le confirmera en premier. On vous parle d’un bel égo qui va parfaitement avec cet esprit de compétiteur, d’un rappeur qui a fait son délire sans forcément s’inquiéter de l’avis des autres, d’un président de club faisant les choses à sa façon, tout comme le businessman qu’il est dans le lancement de certains projets. Attention, encore une fois, il n’est pas question de tirer sur l’ambulance. Il faut juste se rappeler qu’aussi fabuleux et exemplaire Tony fût pour l’EDF pendant des années, c’est aussi un leader et compétiteur qui n’a pas hésité à dire honnêtement ce qu’il pense, quitte à déplaire. Son fameux speech face à l’Espagne en 2013 est rentré dans l’histoire quand on connaît la suite, mais c’était aussi un petit aperçu de ce que Parker peut envoyer en coulisses. Ce long entretien ne fait que le confirmer.

# Alors on doit chanter avec les oiseaux et dire que tout va bien, c’est ça ?

  • Pas besoin de partir dans les extrêmes, il est évident que ces propos sont aussi bizarres que troublants. On préférerait voir Tony dire qu’il y aura de plus en plus de joueurs NBA en sélection, que l’évolution de Nando est une chose prometteuse pour l’avenir de l’EDF, et qu’il aurait aimé offrir un peu plus pour sa dernière. C’est un fait, ça nous dérange. Mais on préférerait aussi voir moins de guerres dans le monde, on préférerait voir Kobe partir discrètement, et on préférerait voir plus de basket à la téloche. Le rapport ? C’est compliqué de vouloir attendre une attitude qui nous plaise venant d’athlètes ou d’institutions, quand on connait leurs préférences. Cela se voit dans la tournure qu’a pris cette affaire. Tony aurait pu ne rien dire, on en aurait fait toute une histoire. Tony aurait pu dire quelque chose, on en aurait fait toute une histoire. Tony s’exprime ici avec honnêteté, c’est normal qu’on réagisse au quart de tours : cela fait partie du deal.

# Vous croyez qu’il y a un truc avec Evan ? C’est quand même chelou cette histoire…

  • Aucune idée, mais c’est vrai que c’est pas très clair. Le silence de chaque côté, alors que le type vient de réaliser une grosse saison en NBA, tu sens quand même qu’il y a eu deux ou trois anecdotes qui sont mal passées en coulisses. Il suffit de voir les récentes déclarations d’Alexis Ajinça pour s’en convaincre, lui qui a claqué la porte pour des raisons assez compréhensibles. On parle aussi d’un changement de génération qui se ressent, aussi bien sur le terrain qu’en dehors. Avec l’arrivée de gars comme Fournier ou Gobert, deux clients qui ont énormément de confiance en leurs capacités et n’hésiteront pas à bomber du torse, et des anciens qui étaient encore en place dans leurs sièges, y’avait un réel risque de collision. Difficile de savoir ce qu’il s’est passé dans le cas de Vavane, mais on le saura peut-être un jour. Ou pas.

# Et la suite du coup, c’est quoi ?

  • Comme on le voit avec les déclarations de Tony, c’est une grosse page qui se tourne, et ce n’est pas plus mal. L’EDF est passée par une transition qui aurait pu être bien plus douce et exemplaire, mais ce ne fût pas le cas. Tant pis, il y aura d’autres opportunités, et le réservoir de talents restera énorme. Tout ce qu’on veut savoir, c’est ce qui se passera au niveau du coaching pour les prochaines compétitions. Collet ou pas Collet ? Ce n’est pas qu’on doute de la FFBB, mais on stresse pas mal sur ce dossier car il aura une importance fondamentale dans la rapidité à tourner cette page 2016….

Il est évident que ce long entretien entre Tony et le journal l’Equipe peut choquer pas mal de monde. Car en image qu’on avait et qu’on souhaite avoir de Parker au moment de quitter l’EDF, on a connu mieux. Mais doit-on en faire tout un fromage et être vraiment choqués lorsqu’on entrevoit les coulisses de la sélection ces 18 derniers mois ? Non. L’ère de TP est passée, laissant derrière elle une flopée de talents qui se donneront pour le maillot bleu. Si la Fédé fait bien son boulot, on n’en parlera plus d’ici quelques mois. Mais si ce n’est pas le cas…

Source image : Intérieur Sport


Tags : Tony Parker
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