Dossier sensible : Kevin Love est il mal-aimé à Cleveland ?
Le 12 févr. 2015 à 17:25 par David Carroz
Alors que les Cavaliers semblent avoir trouvé leur rythme de croisière avec le retour de blessure de LeBron James et les arrivées de Timofey Mozgov, J.R. Smith et Iman Shumpert, les voyants sont au vert à Cleveland. Sur une série de 13 victoires pour 1 seule défaite depuis le 15 janvier, on pourrait imaginer que tout va pour le mieux dans l’Ohio. Cela serait mettre de côté le problème du rôle de Kevin Love car aujourd’hui, son utilisation dans l’effectif des Cavs laisse à désirer.
Avant sa prestation de cette nuit face au Heat, qu’il est difficile de prendre en compte puisqu’il est sorti blessé en début de troisième quart-temps, Kevin Love était en mode montagnes russes, probablement le deuxième effet kiss-cool de la présence de Mozgov. 14 points à 6/14 et 17 rebonds à Minnesota, 5 points à 1/7 et 15 rebonds contre Philly, 24 points à 6/14 et 9 rebonds contre les Clippers, 5 points à 2/8 et 8 rebonds à Indiana et 32 points à 11/18 (dont 7/8 de loin) face aux Lakers. Voilà donc le bilan récent de l’ailier fort issu de UCLA. Pas dramatique, loin de là puisque cela correspond à 16 points à 42,6% (en 12,2 tirs), 48% de loin (5 tirs/match) et 11,8 rebonds. Mais pour un joueur espérant probablement un contrat max dans les mois à venir, cela n’est pas transcendant, à l’instar de sa saison (17 points à 42,9%, 34,5% de loin et 10,4 rebonds). Bien, mais pas top. Mais est-ce vraiment une surprise ?
En arrivant à Cleveland, Kevin Love perdait son statut de franchise player, il le savait. Son quotidien devenait d’être le parfait lieutenant de LeBron James en compagnie de Kyrie Irving pour permettre au “King” de remporter le titre chez lui. C’est-à-dire se glisser, en quelque sorte, dans le costume que Chris Bosh avait endossé au Heat, avec peut-être un peu plus de responsabilités offensives. Ce dernier avait d’ailleurs prévenu : le passage de franchise player à seconde voire troisième option offensive n’était pas aisé. De nombreux observateurs avait alors parlé de jalousie ou de rancœur pour le joueur qui perdait LeBron James, mais force est de constater que même si ses propos pouvaient être teintés de ressentiments, ils s’avèrent pour le moins véridiques.
Cela va être très difficile pour lui. Même si j’étais dans son cas et que j’étais capable de lui dire à quoi s’attendre et quoi faire, cela ne fait toujours aucune différence. Vous devez quand même vivre ces choses, vous devez quand même vous rendre compte par vous-même comment résoudre ces choses. C’est très difficile et frustrant. Il va devoir faire avec. – Chris Bosh.
L’ancien Raptor savait de quoi il parlait, lui qui tournait à 24 points et 10,8 rebonds à 25 ans pour sa dernière saison au Canada avant de rejoindre le Heat. Des statistiques similaires au cas Kevin Love, lui aussi âgé de 25 ans en quittant le Minnesota (26,1 points et 12,5 rebonds), et qui avaient ensuite chuté en Floride, avec un nouveau rôle et des responsabilités partagées entre lui, Dwyane Wade et LeBron James.
Pour autant, leurs jeux sont loin d’être aussi similaires. En effet, si aujourd’hui on voit Chris Bosh comme un ailier fort fuyant ou un pivot qui désertait le poste bas pour laisser la place à ses compères, cela n’était pas le cas lorsqu’il a débarqué à Miami. Il s’est adapté pour optimiser l’attaque du Heat, sacrifiant ses stats et son jeu pour la réussite collective. À juste titre, puisqu’il a effectué 4 voyages en Finales NBA pour être sacré 2 fois. Kevin Love lui est déjà capable de tirer de loin, l’adaptation devrait donc être plus facile pourrait-on penser.
Cela serait faire fi de sa nécessité à toucher le ballon et à être impliqué dans les systèmes offensifs, bien plus qu’un Bosh à Toronto. Non seulement le volume de tirs de Love à Minnesota était plus élevé que celui de “Jar Jar” aux Raptors (18,5 tirs/match dont 6,6 de loin lors de sa dernière saison, contre 16,5 dont 0,3 de loin), mais surtout, il voyait plus souvent la balle pour organiser l’attaque des Wolves, à l’instar d’un Joakim Noah aux Bulls (4,4 passes décisives, contre 2,4 pour Bosh au Canada). Le néo franchise player du Heat l’avait constaté quand il évoquait les difficultés à venir pour Love, habitué à toucher la balle poste haut.
Il est très fort pour utiliser son corps pour faire sa place pour prendre le tir et des trucs dans le genre. Comme je disais, il pouvait jouer ce jeu et s’installer. Maintenant, c’est genre mec, est-ce que je vais sur mon move ? Il va devoir se battre contre son instinct. – Chris Bosh.
C’est exactement ce que vit actuellement Kevin Love qui semble bien moins instinctif, hésitant à prendre des shoots ouverts, au grand dam de LeBron James qui n’a pas hésité à afficher son coéquipier en public. On est bien loin de l’ambiance de camaraderie du Big Three du Heat, où les trois compères s’étaient réunis également par amitié. Non à Cleveland, on sent Kyrie Irving assez proche de LBJ pendant que Love est plus en retrait. Ses difficultés rejaillissent-elles dans son intégration ou est-ce l’inverse ? En tout cas il semble moins souriant que par le passé. Peut-être est-il simplement plus concentré et concerné pour remporter des matches que lors de son séjour dans le Minnesota. Toujours est-il qu’il reconnait lui-même être frustré par sa situation.
Oh oui, c’est définitivement frustrant. Oui je pense que c’est l’une des situations les plus frustrantes auxquelles j’ai dû faire face, mais au final, on remporte des matches. […] En même temps, il n’y a aucun plan sur ce que je devrais faire, mais j’essaie de résoudre le problème. – Kevin Love.
On touche du doigt l’un des problèmes rencontrés par Kevin Love : aujourd’hui, difficile de le situer dans la hiérarchie offensive de l’équipe. S’il touche régulièrement la balle au cours du premier quart-temps, il disparait ensuite de la circulation au profit de LeBron James et Kyrie Irving – voire de J.R. Smith certaines fois – dans la suite du match. Cette nuit encore face au Heat, il a démarré en trombe en touchant de nombreux ballons en mouvement, inscrivant ainsi 9 points à 4/5, prenant 2 rebonds et distribuant 3 assists, dont une spéciale passe en touchdown pour Smith. Mais à son retour sur le parquet lors du second quart, il s’est souvent trouvé en position plus statique, à attendre le ballon derrière la ligne des 3 points. Ce rôle de spot-up shooteur lui convient peu, même s’il lui permet de faire son beurre comme lors du match face aux Lakers où il s’est souvent retrouvé en bonne position.
Pourtant, David Blatt avait placé Kevin Love devant Kyrie Irving sur la chaine alimentaire des Cavaliers en début de saison. Si LeBron James était logiquement l’option numéro 1, le transfuge des Wolves suivait dans la hiérarchie, Kyrie Irving devant distribuer le jeu. Mais voilà, le meneur des Cavs n’a pas le style d’un organisateur et aujourd’hui, c’est LBJ qui gère les attaques avec “Uncle Drew” qui prend quasiment 4 tirs de plus que Love.
Pour autant, tout n’est pas qu’une question de shoots tentés. L’ailier fort a besoin également de toucher la balle pour se sentir concerné, en profitant de situations de pick’n’pop ou pick’n’roll où il excelle. Autrement, David Blatt et les Cavaliers limitent le talent de leur intérieur. De là à imaginer que Kevin Love décide de ne pas s’éterniser dans l’Ohio ? On en est encore loin, puisque le joueur continuer d’affirmer qu’il veut s’inscrire sur le long terme, mais s’il ne se sent pas suffisamment bien utilisé, que LeBron James envoie de nouvelles piques via les réseaux sociaux ou la presse et que les Cavs connaissent une mésaventure en PlayOffs, qu’en sera-t-il ?
La situation est loin d’être dramatique, Cleveland ayant trouvé une bonne dynamique et les victoires offrant plus de temps pour peaufiner les systèmes et l’utilisation des joueurs, dont Kevin Love. Il ne faut pas oublier qu’avant cet été, en dehors de Timofey Mozgov, aucun joueur de l’effectif des Cavs ne connaissait David Blatt en dehors de Wikipedia ou Google, et que cette période d’adaptation n’a rien de surprenant. Le roster a également été remanié en profondeur et le groupe ne se connait pas encore assez bien pour que l’on puisse affirmer aujourd’hui que chacun ait trouvé sa place définitive. Rome, tout comme le Heat il y a quatre ans, ne se sont pas construits en un jour.
Si on se souvient bien, avec un groupe plus expérimenté, les hommes de Spoelstra – lui aussi critiqué comme David Blatt – n’ont pas atteint les sommets tout de suite, et un joueur comme Chris Bosh a mis du temps avant d’adhérer à son rôle pour le bien de l’équipe. Car Kevin Love a aussi sa part de responsabilité : il est venu pour gagner, à lui de savoir faire les sacrifices nécessaires pour cela et d’apprendre à gérer sa frustration. Plus il se sentira à l’aise, meilleures seront ses performances, et ainsi de suite. À lui et ses coéquipiers, mais aussi à son coach de trouver un moyen d’entrer dans ce cercle vertueux.
Source image : Bleacher Report, montage TrashTalk