Comment faire passer Chris Paul pour un misogyne : décryptage d’une polémique à 2 sous…

Le 08 févr. 2015 à 13:58 par Leo

le billet du corse

Avant de faire éclater tout préjugé coriace ou mensonge inavoué au cœur de la NBA grâce à une encre du terroir et une plume aux bonnes senteurs du maquis, cette rubrique a cappella aux inspirations insulaires se bat elle aussi pour son indépendance et ne reflète aucunement l’avis totalitaire de la Rédaction qui altère ses penchants nationalistes. A consommer exceptionnellement sans risque de représailles ou de soumission à toute forme d’omerta. CD d’I Muvrini conseillé en fond sonore, accompagné par une traditionnelle assiette de charcuterie en parfaite symbiose avec l’essence musclée de son fromage. Corse, de toute évidence…

Ah tiens une nouvelle polémique, ça faisait longtemps… Une polémique, sérieux ?! Ouais ouais, une toute mignonne qui n’aurait jamais dû voir le jour, fabriquée par l’interprétation exagérée d’une manne médiatique qui avait visiblement besoin d’un supplément d’audience pour se huiler un peu plus le corps. Mais rentrons tout de suite dans le vif du sujet.

A chaud, au sortir cette promenade de santé menée de bout en bout par les Cavaliers de LBJ jeudi soir, je n’ai, comme beaucoup, rien vu venir. Rien de véritablement choquant ni d’alarmant au point de crier au scandale, si ce n’est une lassitude de plus en plus marquée à voir ces Clippers de Los Angeles venir se plaindre de manière récurrente auprès des arbitres. Non, ce fut bel et bien une rencontre tout à fait classique, diffusée en antenne nationale, où une équipe à domicile a récité sa partition à la lettre, baladant à sa guise une autre cylindrée en plein road-trip qui a passé le plus clair de son temps à râler plutôt qu’à faire l’effort de s’aligner en défense. Comme d’hab, ce genre de scénarios arrive tous les soirs en NBA. Jusqu’ici, pas de quoi en faire un fromage corse. Or, le consortium éclairé de la presse américaine, prétendant défendre par toutes les tempêtes le flambeau de la bien-pensance et du progrès (oui oui, c’est possible) en avait décidé autrement…

Capitaine irréprochable jusqu’alors de cette escouade battue à plate couture dans l’Ohio, Chris Paul est invité à répondre de ses actes aux micros des journalistes, tout comme l’exige la coutume à la fin de chaque journée de boulot. Une question prééminente brûle les lèvres des différents intervenants, massés autour du natif de Winston-Salem de 29 ans (quelle coïncidence pour “la sorcière” qu’il va incarner…!) : “Chris, racontez-nous ce qu’il s’est réellement passé entre cette jeune arbitre et vous-même ? Que lui avez-vous dit pour écoper d’une faute technique ?” Certainement frustré par sa piètre performance cette nuit-là, par le manque de cohésion ressenti avec ses coéquipiers mais aussi par un arbitrage jugé “excessif” au vu de la tournure qu’a prise la rencontre en l’occurrence, CP3 a tout bonnement livré à ses interlocuteurs, assoiffés d’infos croustillantes, ce qu’il avait sur la poitrine. Un avis brut – et non brutal – d’un joueur juste mécontent du travail opéré par le trio arbitral. Qu’est-ce qu’il n’avait pas exprimé là ! Du petit lait pour les médias qui n’en demandaient pas tant.

“La technique que j’ai reçue est absolument ridicule. Je me fous de ce que les gens pensent, je me fiche de ce qu’elle a à dire (Lauren Holtkamp, l’arbitre féminine en question qui la lui a collée) : c’est juste honteux. Rien de ce qu’il s’est produit méritait une technique, très loin de là. On essaie toujours de relancer très vite le jeu et lorsqu’on l’a fait, elle m’a dit ‘Nan-nan’, je lui ai répondu ‘Pourquoi, ‘Nan-Nan ?’. Et elle m’a sifflé une technique. C’est ridicule. Si c’est ça sa vision de l’arbitrage, alors ce n’est peut-être pas un métier fait pour elle.”

ET BOOM ! Le pavé est lancé dans la mare, tous aux abris, les réseaux sociaux s’enflamment, les critiques pleuvent de partout. Bref, le mal était fait.

Mais en toute honnêteté, en toute objectivité, que lui reproche-t-on au final ? Le fait d’avoir critiqué (oulala !) les décisions d’un arbitre quelconque, à l’origine de choix constables et un chouia disproportionnés du reste, ou le fait qu’il s’en prenne de cette même manière à une femme dans l’étalage de ses impressions juste après la bataille ? Sans surprise, c’est bien la deuxième proposition qui a été retenue et qui a scrupuleusement été grossie par ces observateurs régents. Pourquoi ? Dans le but très malsain de créer un mini buzz assez rentable, quitte à écorner au passage l’image de marque de l’une des têtes de gondole les plus intègres de la Ligue dans ce processus d’hypersensibilisation de l’opinion publique. Bravo les gars, c’est du propre !

Cependant, ce que vous avez très bien compris, messieurs les instigateurs, mais que vous voulez à tout prix masquer à vos auditeurs en lançant avec le sourire cette entreprise diffamatoire à l’encontre de CP3, c’est que cette affaire retarde plutôt qu’elle ne valorise l’émergence d’un progrès significatif dans ce débat récent (on ouvre enfin les yeux) sur l’égalité des sexes en NBA et, par extension, en société. Le silence aurait été plus sain pour les deux parties embourbées à leur insu dans cette machination calomnieuse, non seulement pour Chris Paul, “ce méchant All-Star misogyne, irrespectueux et pleurnichard”, mais surtout pour cette fameuse Lauren, ayant dorénavant la lourde tâche d’apaiser les tensions électriques au cours d’un match. Alors qu’elle souhaitait certainement qu’on la juge davantage sur sa manière d’exercer sa profession que sur la couleur de son chignon ou de son fond de teint avec ce regard toujours aussi compassionnel de la gente masculine, les médias lui ont donc gentiment rappelé qu’elle était une femme et qu’il n’était pas acceptable de s’adresser à une personne de son genre avec cette façon désinvolte de parler.

Manque de bol hein ?!

De plus, pour une institution comme celle de la NBA qui véhicule à juste titre que la justice n’a pas de visage au cœur de ses spectacles quotidiens et qui valide, au contraire, un tel procès d’intention, tout ceci demeure assez paradoxal et infernalement contradictoire. D’ailleurs, c’est surement Chris Paul qui a respecté le plus cette arbitre rookie en réfutant certes ses coups de sifflet durant l’affrontement face aux Cavs, mais en ne se demandant à aucun moment s’il avait affaire à une femme plutôt qu’à un homme. A l’inverse, a-t-il eu raison d’émettre ces critiques circonstancielles au nez de la presse ? C’est son droit le plus fondamental me direz-vous. Or, dans une Ligue aseptisée n’hésitant pas à réprimander le moindre excès de zèle verbal ou comportemental, il savait quoiqu’il arrive, sans songer à en arriver à cet extrême dégueulasse, qu’il allait être sanctionné pour ses déclarations portant atteinte à une autorité qui n’aime surtout pas être remise en cause. Il n’y a, en conséquence, aucune faute à déceler ici. A la rigueur, une sélection de mots à placer les uns à la suite des autres qui aurait pu être plus méticuleuse, mais rien de plus. Et de là à caractériser l’attitude du meneur des Voiliers de “non professionnelle”, faut pas trop tirer sur la ficelle non plus… Néanmoins et heureusement, les deux personnages de ce sketch médiatique ont immédiatement reçu une vague de soutiens rassurante : celui de Becky Hammon, assistante coach des Spurs, et de Michele Roberts notamment, présidente du Syndicat des joueurs, pour le “coupable”, ainsi que quelques mots doux destinés à réconforter la “victime” dans ses prises de positon de la part de sa hiérarchie (#SheBelongs). Malgré tout, le brouillard épais de ces derniers joueurs commence à s’estomper peu à peu…

En somme, voilà un incident qui n’en était pas un mais qui a tout de même valu 25 000 dollars d’amende à Chris Paul. Le tribut de son insolence, le prix à payer pour avoir exprimé ce qu’il pensait à la sortie d’un match raté et sans la moindre intention de jouer à l’équilibriste sur la corde tendue des amalgames. Lauren Holtkamp, quant à elle, sera à coup sûr celle qui va pâtir le plus de cet événement dommageable : à peine a-t-elle posé un pied dans ce brasier corrosif de la NBA que ses moindres faits et gestes vont être scrutés à la loupe et que la pression va se faire plus intense au fil des saisons. Alors qu’elle ne demandait qu’à faire tranquillement son travail et militait pour qu’on la traite comme un arbitre lambda pour ses débuts dans le grand bain, un surplus d’exigence, de sang-froid et de maîtrise lui sera ordonné dans les prochains mois. Quelle belle ironie du sort car, pendant ce temps-là, l’évolution programmée des mœurs continuera de stagner au profit du mensonge et de la déconstruction perpétuelle de la vérité, servant alors les intérêts de théories conservatrices qui ont encore de beaux jours devant elles.

A signaler, chers pinsutis férus de basket, que ces polémiques pré-mâchées sont véritablement dangereuses, en particulier dans un pays encore sous-tension dont le peuple, mis en joue par les dérives d’un communautarisme exacerbé, est descendu dans la rue afin de manifester une colère insoutenable sur les braises d’un racisme sous-jacent, jamais vraiment éteint, il y a peu. Attiser les frictions pousse à la création de raccourcis, à l’image de l’affaire que l’on vient d’analyser, qui peuvent aboutir eux-mêmes à la naissance de sentiments négatifs, ayant comme moteur la haine la plus viscérale. Comme par hasard… Regardez juste ce qu’on peut faire avec du silex et une meule de paille, avec un coup de sifflet et quelques bribes recueillies à la sortie d’une rencontre ! Transposez tout ça à une échelle plus grande encore et vous contemplerez l’ampleur des dégâts…

Chris Paul et Lauren Holtkamp

Tu t’es mis dans de beaux draps là, mon ‘Paulo’… (Source : David Richard-USA TODAY Sports)

Sources textes : ESPN, Fansided, Sports Illustrated, Yahoo! Sports

Source image : @artkor7 pour TrashTalk