Chicago a perdu son identité, rendez-nous les vrais Bulls !
Le 15 janv. 2015 à 13:02 par David Carroz
À l’aube de cette saison, la finale de conférence Est semblait écrite : comment les Chicago Bulls et les Cleveland Cavaliers pouvaient ne pas se retrouver pour un duel au sommet ? Aujourd’hui, les deux franhises luttent et sont bien en dessous de leurs prétentions de l’automne, et si Chicago échappe pour l’instant à la critique, c’est uniquement parce que Cleveland fait pire. Ce n’est pas la nouvelle défaite face aux Wizards qui peut rassurer les fans du United Center. Défense à la rue, manque d’intensité… où sont passées les valeurs de hommes de Thibodeau ?
63 points en première mi-temps face au Magic ce lundi. 61 points hier soir en seconde période contre Washington. Non, vous ne rêvez pas, ce ne sont pas les stats des Sixers mais bien celles de Chicago. Le match de cette nuit contre les Wizards a bien illustré les difficultés actuelles dans l’Illinois, où la grosse performance d’un joueur (Rose en l’occurrence avec 32 points à 12/22 dont 6/9 de loin et 5 passes) ne suffit pas à combler les manques collectifs. Car c’est bien de cela dont il s’agit, un manque de cohésion et d’implication collective qui ne ressemblent pas aux saisons précédentes du côté de Chicago. Si la faiblesse de la conférence Est leur permet de rester au contact du Top 3, les 4 défaites au cours de 5 dernières rencontres doivent soulever des questions auxquelles il va vite falloir répondre.
En effet, si une mise en route poussive était compréhensible, on attendait les Bulls rodés à mi-saison, prêts à rouler comme un rouleau compresseur sur ses adversaires à partir de janvier, avec une défense étouffante et une plus grande variété dans le jeu offensif. Si tout n’est pas à jeter, le niveau affiché n’est pas suffisant.
Pau Gasol et Jimmy Butler en cache misère
Pourtant, il y a une dizaine de jours, les Bulls semblaient lancés. C’est du moins ce que les résultats laissaient penser, avec 13 victoires en 15 matches, dont des succès face aux Blazers, aux Raptors ou encore un probant contre les Rockets. Il faut dire qu’avec une meilleur attaque cette saison (93,7 points l’an passé, 30ème de la ligue, 102 cette saison, 12ème), Chicago dispose de nouvelles armes. La seconde jeunesse de Pau Gasol et l’émergence de Jimmy Butler ont permis aux hommes de Thibodeau de compenser les débuts de saison plus mitigés de Joakim Noah, toujours en délicatesse avec son genou après son opération cet été, et de Derrick Rose.
Le meneur a quelques fois montré qu’il était sur le retour lors de certains matches, mais il n’est toujours pas régulier, et son temps de jeu reste limité. Normal pour un joueur qui vient de manquer quasiment deux saisons entières. Avec 17,5 points à 40,9% dont 27,8% de loin, 3 rebonds et 4,9 passes en 29,2 minutes (soit 21,6 points, 3,7 rebonds et 6 passes si on ramène ses stats sur 36 minutes), il se rapproche d’un meilleur niveau. Mais il arrose beaucoup trop de loin. Avant ses blessures, il n’avait jamais pris plus de 4,8 tirs à 3 points par match, et en jouant plus de 37 minutes. Cette saison, il en tente 5,2 par rencontre. Pour un joueur aussi peu adroit de loin, ce sont des munitions gâchées. Sans compter les jumps shots, qui sont loin d’être sa spécialité. Chicago a besoin que D-Rose soit agressif pour libérer ses coéquipiers et qu’il distribue plus de ballons. Ses meilleurs matches – en dehors de cette nuit où il a pour une fois été adroit de loin – sont ceux où il va au cercle.
Pour l’instant, Pau Gasol et Jimmy Butler ont su masquer ces faiblesses. Il faut dire que les deux joueurs ont attaqué la saison le couteau entre les dents. L’Espagnol est arrivé affuté et revanchard après la déception du Mondial et ses dernières saisons compliquées à Los Angeles. Il prouve aujourd’hui qu’il fait toujours partie des meilleurs intérieurs de la ligue avec 18,8 points à 48,3%, 11,3 rebonds (meilleure saison en carrière actuellement), 2,6 passes et 2,1 contres (meilleure saison en carrière actuellement) en 34,8 minutes. Surtout, il offre une solution offensive bien plus pesante et importante que Carlos Boozer les saisons précédentes, en coûtant bien moins de points défensivement.
Jimmy Butler lui n’a pas signé la prolongation de contrat qu’il espérait. Probablement vexé, il a mis les bouchées doubles pour prouver aux Bulls qu’ils avaient tort. Ce qu’il réussi plutôt bien puisqu’il réalise – et de loin – la meilleure saison de sa carrière, étant favori pour le titre de MIP. Avec 20,7 points (contre 13,1 l’an passé) à 46,1% dont 34,8% à 3 points (39,7% et 28,3% en 2013-14), 6,1 rebonds (4,9), 3,3 passes (2,6) et 1,7 interceptions (1,9), sans compter son apport défensif non quantifiable par les statistiques, il est dans la cour des grands et devrait atteindre le statut All Star. Pour autant, il est aussi le joueur le plus utilisé de la ligue en nombre de minutes total (1473, malgré 3 matches manqués) et en moyenne (39,8). Cela commence à se faire sentir et ses 5 derniers matches indiquent peut être un début de fatigue : seulement 13 points à moins de 30%, 5,4 rebonds et moins de 2 passes. Attention à ne pas le cramer trop vite, ce qui reste une spécialité de Thibs.
L’infirmerie, une valeur sûre
Autre spécialité dans l’Illinois, l’infirmerie. Cette saison encore, les Bulls ne sont pas épargnés. Et si Tom Thibodeau tire autant sur la corde avec Jimmy Butler, c’est en partie parce que les joueurs pouvant jouer en 2 ou en 3 ont connu pas mal de pépins physiques. Mike Dunleavy Jr. est actuellement sur le flanc et a raté 7 matches. Idem pour Doug McDermott qui n’a pris part qu’à 17 rencontres. Kirk Hinrich, qui peut soulager le backcourt a lui aussi manqué 7 matches. Les années passent et les blessures ne diminuent pas à Chicago.
Derrick Rose, même s’il est loin de ses standards des deux dernières saisons, a déjà fait l’impasse sur 11 rencontres pour préserver son corps. Cela indique que les Bulls font plus attention à leurs joueurs. Mais que pour autant cela ne porte pas forcément ses fruits, car les blessures continuent. Les minutes sont mieux réparties grâce à la profondeur de l’effectif, mais cela ne suffit pas.
Autres exemples ? Taj Gibson, 9 absences, Pau Gasol et Jimmy Butler, 3 chacun. Seuls Aaron Brooks et Nikola Mirotic ont disputé les 40 rencontres depuis le début de la saison. Mais l’exemple le plus frappant est celui de Joakim Noah. En souffrance depuis le début de saison suite à son opération, ses stats sont en chute libre (de 12,6 points à 47,5%, 73,7% aux lancers francs, 11,3 rebonds, 5,4 passes, 1,2 interception et 1,5 contre à 7,6 points à 44,7%, 59,5% aux lancers francs, 9,4 rebonds, 3,6 passes, 0,7 interception et 1,5 contre) et il n’est que l’ombre du meilleur défenseur de l’année 2013-14.
Loin de son niveau qui lui avait permis d’être All Star deux saisons consécutives. Tout le monde se doutait qu’il ne pourrait pas reproduire le même exercice que l’an dernier et être de nouveau dans les discussions pour le titre de MVP. Entre le retour de Derrick Rose et l’arrivée de Pau Gasol, son rôle était amené à diminuer, pour rester l’âme, le coeur et surtout le garant de la défense des Bulls. Encore gêné dans ses déplacements, il vient plus difficilement en aide. Sans compter que son rôle à évoluer avec la présence de Pau Gasol, puisque l’Espagnol protège le cercle pendant que Jooks joue plus en périphérie. De nouveau blessé (entorse à la cheville, il est reparti du stade avec une botte de protection) face aux Wizards hier, il devrait encore manquer quelques rencontres. Celui qui était le plus représentatif de l’esprit Bulls n’est plus le même joueur cette année.
La défense et l’intensité aux abonnés absents
Est-ce la raison pour laquelle on ne reconnait pas l’équipe de Tom Thibodeau ? Réputés pour leur solidité défensive et l’intensité qu’ils mettaient dans les matches, les Bulls semblent bien doux cette saison. Parce que Noah est moins présent ou diminuer ? Alors que l’équipe ne vivait que par sa défense et son énergie, ces deux aspects de leur jeu ont disparu, ce qui commence à agacer sérieusement coach Thibs qui ne veut pas se cacher derrière les blessures.
Vous pouvez vous trouver des excuses tous les soirs dans cette ligue si c’est ce que vous décidez de faire, que ce soit les nouveaux joueurs, le calendrier, l’entame, qui est blessé, qui est présent. Il y a une excuse chaque soir. Vous ne pouvez pas faire cela. Nous devons faire mieux. Soit vous êtes dans le cercle, soit vous êtes en dehors du cercle. Vous voulez être dedans ? Allons-y. Vous ne voulez pas être dedans ? Très bien aussi. Allez-y. – Tom Thibodeau, en colère après la rencontre face au Magic.
Le cercle. Cet représentation mystique dans l’esprit du coach des Bulls, qu’il avait évoqué l’an dernier après les coups durs. Cet endroit qui lui permet de mesurer l’investissement de ses joueurs. Peu doivent s’y trouver en ce moment et le blasphème n’est pas loin.
Bien entendu, les circonstances étaient différentes les saisons passées, avec l’absence de Derrick Rose. L’effectif des Bulls ne possédait pas assez de talent pour pouvoir gagner des matches sans défendre. Maintenant qu’il est de retour, que Jimmy Butler devient une force offensive et que Pau Gasol est là, les paniers rentrent plus facilement. Mais des deux côtés du parquet. Comme si Chicago prenait sa défense comme acquise. L’équipe compte sur l’attaque pour s’en sortir, alors que cela n’est pas dans son ADN. Et quand on questionne Thibodeau sur le style de jeu de ses ouailles et sur ce qu’il faut améliorer en défense, sa réponse est sans appel :
Tous les aspects. Nous devons décider ce que nous allons être. Si nous voulons venir et juste essayer de marquer plus de points que les autres, nous n’irons nulle part. Je sais que cela ne fonctionne pas. Nous devons apporter beaucoup plus d’intensité et la seule façon de le faire est de travailler beaucoup plus. C’est très simple. – Tom Thibodeau.
Les prochains jours risquent d’être musclés pour les joueurs de l’Illinois. Car après avoir été l’une des 5 meilleures défenses de la ligue pour chacune des quatre saisons de coach Thibs, ils sont bien loin d’un tel niveau en encaissant 99,3 points par match (14ème, contre 91,8, premier l’an dernier), ce qui correspond à 102 points par 100 possessions (10ème, contre 97,8, second). L’identité des Bulls, c’est la défense. Si l’effectif est plus talentueux offensivement que les saisons passées, il n’en demeure pas moins qu’il ne dispose pas de joueurs comme les Mavs, les Suns ou les Warriors qui doivent élever le rythme du match pour être au top. Alors que l’an dernier les adversaires de Chicago n’avait réussi à atteindre la barre des 100 points que 16 fois, ils l’ont déjà réalisé à 19 reprises cette saison, soit près d’un match sur deux.
Un problème de suffisance
Sur ces 19 rencontres, 10 le sont contre des équipes présentant un bilan négatif. Et sur les 14 défaites, 8 ont eu lieu face à ces mêmes franchises avec moins de 50% de victoires. Des matches qui devraient être largement à la portée des Bulls. Trop largement ? Au point que l’effort collectif n’est pas suffisant et qu’aujourd’hui, Chicago n’a toujours pas trouvé son rythme de croisière.
Je suis énervé. Je suis énervé. On a laissé filer trop de matches à la maison contre des équipes face auxquelles on ne devrait pas le faire. Cela doit s’arrêter. – Pau Gasol après la défaite contre le Magic au United Center.
Car oui, en plus de ne pas faire le job face aux équipes moins réputées ou du moins en difficulté cette saison, le United Center est loin d’être une citadelle imprenable. Avec seulement 12 victoires pour 9 défaites à domicile, le bilan à la maison des Bulls est médiocre. Les défaites contre les Celtics, les Pacers, le Jazz et le Magic dans l’Illinois font clairement tâche dans cette saison.
D’ici fin janvier, Chicago va rencontrer les Hawks, les Cavs (même si ces derniers présentent un bilan négatif), les Spurs, les Mavs, les Warriors et les Suns. Pas le genre d’équipes contre qui il faut se relâcher. De quoi re-mobiliser les Bulls ? Ce qui est sûr, c’est qu’avec une telle irrégularité et cette fâcheuse tendance à perdre contre des franchises plus faibles, il est difficile de parier sur un bilan de fin de saison pour les Taureaux.
Pourtant, si Pau Gasol et Tom Thibodeau n’acceptent pas ces soucis, les joueurs ne semblent pas plus stressés que cela, à l’instar d’un Derrick Rose.
Rose on team identity: “Just let them know that (defensive) presence is always going to be there, but right now we are not doing it.”
— Sam Smith (@SamSmithHoops) 15 Janvier 2015
Rose sur l’identité de l’équipe : “Il faut juste leur rappeler que la présence défensive sera toujours là, mais aujourd’hui nous ne le faisons pas.”
Rose: “It’s basketball; can’t play this sport and be perfect. Guys are trying their hardest; it’s not going our way right now.”
— Sam Smith (@SamSmithHoops) 15 Janvier 2015
Rose : “C’est le basketball; vous ne pouvez pas faire ce sport et être parfait. Les gars essaient au maximum; cela ne va pas en notre sens pour l’instant.”
Pas sûr que ce discours fasse sourire coach Thibs. Lui qui ne veut pas d’excuse, il va être servi.
Bien entendu, il n’y a pas péril en la demeure. Avec moins de 6 matches de retard sur la première place des Hawks et 2 sur la seconde des Wizards, Chicago peut encore boucler l’exercice en tête à l’Est, ou même se mettre en mode bestial à partir des PlayOffs. Mais plus le temps passe, plus les mauvaises habitudes persistent et s’inscrivent dans une routine qu’il sera difficile de chambouler. Au delà des statistiques, c’est surtout au niveau de l’attitude que l’équipe déçoit.
Les Bulls possèdent toutes les pièces pour être des prétendants. Des scoreurs, des top défenseurs et un coach qui a déjà montré qu’il était capable de tirer le meilleur de son groupe, peu importe les aléas. Mais ils ont perdu leur état d’esprit en devenant trop tranquilles. Il est encore temps de prendre conscience des difficultés – ce qui devrait être le cas rapidement. Pour pouvoir remporter le titre, les Bulls doivent retourner à leurs racines, à leur identité, et remettre le bleu de chauffe pour redevenir une équipe défensive. Le scoring suivra, et pas l’inverse. Ils le savent, il faut maintenant le mettre en application. On veut voir du sang et de la sueur dans l’Illinois, et vite.
Source image : NBA.com
Source statistiques : NBA.com et basketball-reference.com