Gary Payton, 46 ans : qui sème le gant récolte la défense
Le 23 juil. 2014 à 12:11 par Alexandre Martin
L’histoire se passe un soir de décembre 1993, le 14 exactement. Le Magic d’Orlando de Shaquille O’Neal, Penny Hardaway et consorts est en déplacement pour un match de saison régulière. Ce soir-là, le coach de l’époque – Brian Hill – entre dans les vestiaires l’œil inquiet alors que ses joueurs sont en train de finir de se mettre en tenue pour bientôt filer à l’échauffement.
Hill fait son speech à base de grands classiques tels que “ne rien lâcher” ou encore “nous allons gagner ensemble” mais il n’a pas l’air d’y croire ce jour-là. Il laisse ses hommes finir de se préparer et se diriger vers le parquet sauf Scott Skiles et le rookie Anfernee Hardaway qu’il retient quelques minutes avec lui car il veut leur parler du match à venir…
“Les gars, il faut que je vous parle ! lance Brian Hill aux deux joueurs.
– Oui coach, qu’est-ce qu’il y a ? demande Scott Skiles.
– Je trouve très intéressante la manière dont vous vous partagez la mène, que vous soyez tous les deux ou non sur le parquet. C’est vraiment super mais, ce soir, votre match ne va pas ressembler aux derniers…
– Ah bon ? Mais pourquoi ? demande Penny Hardaway.
– Bah en fait je n’ai pas eu le temps de vous prévenir mais, ce soir, vous risquez d’avoir du mal à remonter la balle. Il est possible également que vous trouviez, par moment, votre adversaire direct très collant.
– Non mais t’inquiète pas coach ! répond Scott Skiles. Ce ne sera pas la première fois que je croise un meneur un peu collant, j’ai l’habitude. Et puis le petit rookie Penny, t’as vu il assure ! Il est grand, il a un bon dribble, il va vite. Non, vraiment, pas de souci.
– Oui, oui c’est vrai tout ça les gars. Je ne dis pas le contraire. Mais, j’insiste, ne portez pas trop le ballon ce soir. Faites gaffe aussi à bien protéger la gonfle, à bien placer votre corps entre la balle et le défenseur sinon vous aurez autant de pertes de balles que de passes décisives à la fin du match…
(Brian Hill se tait et la pièce reste silencieuse quelques secondes)
– Ah oui et puis surtout n’écoutez pas les provocations ce soir. Ne laissez pas votre adversaire rentrer dans vos têtes ! Surtout pas ! renchérit Hill.”
D’un coup, Penny Hardaway prend un air tout aussi interrogatif qu’inquiet et ne peut s’empêcher de demander à son entraîneur :
“Non mais attendez coach, mais qu’est-ce qu’il se passe là ce soir ? Il y a un problème ?
– Oui… Un gros problème. reprend Brian Hill sur un ton grave, limite morbide. Ce soir, mon petit Penny, vous allez avoir, à tour de rôle, Gary Payton sur le dos. Bon toi tu le connais hein Scott ! Mais toi Penny, ça va être ta première, et je voulais t’en parler avant mais je n’ai pas eu le temps depuis la victoire à Portland avant-hier…
– Ouais, ouais, j’ai entendu parler du bonhomme. balance Hardaway d’un ton tranquille voire un peu hautain, avant d’ajouter :
– Il ne me fait pas peur ! Laisse-le moi Scott !
– Je peux pas faire ça Penny. Tu ne te rends pas compte, tu vas te faire dévorer… répond Skiles en regardant son coach d’un air loin d’être serein.
– Allez les gars ! On verra tout ça pendant le match, on fera des ajustements si nécessaire enfin… si Gary nous laisse respirer, annonça Brian Hill pour conclure.”
Pendant cette soirée à Seattle, le Magic va se faire démanteler par les Supersonics (défaite 124 – 100). Le Shaq va faire le boulot mais la paire de meneurs des Floridiens ne va pas réussir à exister. L’expérimenté Scott Skiles – qui est dans sa 8ème saison, qui sort d’un exercice à plus de 15 points et presque 10 passes décisives de moyenne l’année d’avant et qui détient déjà le record de caviars distribués en un match (30) – va beaucoup souffrir et finir la rencontre avec 8 petits points, seulement 2 passes décisives et 2 pertes de balle. De son côté, Penny Hardaway, qui a particulièrement bien débuté pour sa première saison en NBA, ne pourra marquer que 11 points en 8 tirs tout en ne distribuant que 4 passes décisives… Sur ce match, comme chaque soir, Gary Payton a fait ce qu’il savait faire de mieux : museler les meneurs ou les arrières adverses. Les empêcher de progresser en se collant à eux comme… un gant. Les maltraiter verbalement tout en restant concentré, prêt à piquer le moindre ballon mal protégé grâce à ses mains habiles et ultra rapides sans oublier d’assurer sa propre production avec 18 points, 9 passes décisives, 4 rebonds et 2 interceptions en 31 minutes passées sur le parquet.
Gary Payton était surnommé “The Glove” pour sa capacité à coller à son adversaire direct et cela nous en a fait parfois oublier également quel joueur complet il était des deux côtés du terrain. Payton était un très bon scoreur qui a terminé 9 de ses 17 saisons NBA à au moins 19 points de moyenne. Il était un superbe passeur qui figure aujourd’hui dans le Top 10 All Time (8ème) des fournisseurs de caviars les plus prolifiques de l’histoire avec près de 9 000 offrandes en carrière. Son intelligence de jeu et ses belles qualités athlétiques lui permettaient également de rafler pas mal de rebonds (presque 4 par matchs de moyenne) et enfin, bien évidemment, il a empilé les interceptions du début à la fin de son passage dans la grande ligue ce qui fait qu’il est, aujourd’hui, le 4ème intercepteur le plus prolifique de l’histoire. Cette facette extrêmement all-around de ce bon Gary est rarement suffisamment mise en valeur, on se focalise beaucoup sur ces aptitudes défensives hors du commun et son trashtalking agressif qui lui vaut d’être troisième de tous les temps en terme de fautes techniques reçues derrière l’intouchable Jerry Sloan (413 en carrière) et bien sûr Monsieur le Sheed (319).
Mais tout cela donc montre bien que Gary Payton fut parmi les meneurs les plus complets que la ligue ait connu. Pour Gail Goodrich – qui fut champion NBA avec les Lakers de Jerry West en 1972 – cela ne fait aucun doute :
“Gary Payton est probablement aussi complet qu’aucun arrière n’a pu l’être.”
Un avis assez dithyrambique avec lequel Kevin Johnson – dont les duels avec Payton, dans les années 90, furent tout simplement monstrueux – sera certainement d’accord :
“Certainement un des meilleurs de tous les temps… Tout aussi intimidant, peut-être même encore plus que les plus grands comme Magic Johson, Isiah Thomas, Tiny Archibald et Maurice Cheeks.”
Là KJ oublie tout simplement de citer Oscar Robertson ou John Stockton parmi les plus grands meneurs de l’histoire mais bon passons… On comprend bien, en tous cas, qu’il tient Payton en haute estime. Et il y a de quoi puisque un peu plus de deux années après cette démonstration faite face au Magic du jeune Hardaway – face auquel il livrera de superbes batailles par la suite – Gary Payton sera élu défenseur de l’année en 1996. Il est d’ailleurs toujours, à ce jour, le seul meneur et un des rares extérieurs à avoir remporté cet honneur. Avouez qu’au milieu de ces années 90 bourrées d’intérieurs défensifs monstrueux comme Pat Ewing, Hakeem Olajuwon, Zo Mourning, Dennis Rodman ou encore David Robinson, c’est un exploit retentissant !
Sur la question du meneur le plus complet, il semble clairement que de bons petits basketteurs comme Magic, Big Ô ou encore Jason Kidd rentrent très sérieusement dans la discussion mais Payton est, en revanche et sans aucune contestation possible, le meilleur meneur défensif de l’histoire. Le meilleur en défense sur l’homme, le plus gênant grâce à son assez grande taille pour son poste (1m93), le plus dingue, le plus usant, cette véritable hyène prête à se jeter sur tout ballon perdu ou presque, celui que vous avez envie de tuer à la fin du match tellement il vous a empêché de jouer et tellement il vous a pourri la tête avec son trahstalking permanent.
Gary Payton – qui fête aujourd’hui ses 46 ans – restera à jamais ce défenseur ultime doublé d’un attaquant complet qui nous a régalé pendant 17 saisons, qui fut l’âme des Sonics, voire de Seattle, pendant près de 13 ans et qui fut, tout à fait logiquement, intronisé au Hall Of Fame en septembre dernier afin que sa légende obtienne là, une reconnaissance bien méritée.
Source image couv’ : goodwinsports.com