Chicago ne doit plus construire autour de Derrick Rose
Le 26 nov. 2013 à 10:58 par David Carroz
Le couperet est tombé. Déjà dimanche soir, la planète basket savait que Rose avait choisi la suturation de la partie abîmée de son ménisque, et donc par conséquent que sa saison était finie. Et lundi les Bulls ont officiellement annoncé l’absence de leur meneur jusqu’à la fin de l’exercice en cours.
Ce qui signifie que Derrick Rose n’aura joué que 50 matchs NBA en 3 ans. Vu comme cela, c’est injuste. Pour D-Rose. Injuste qu’un joueur bosseur comme lui se retrouve dans une telle galère. Encore. Injuste aussi pour les Bulls et leurs fans, qui après une saison d’attente et d’envies retournent à la case départ. Encore. Mais malheureusement, pas le temps pour le staff de Chicago de s’apitoyer sur le sort de la franchise, la NBA est un business, et la saison ne va pas s’arrêter pour autant. The Show must go on. L’émotion passée, il va falloir faire des choix, car les Bulls ne peuvent pas se contenter éternellement d’une équipe valeureuse qui perd au premier ou deuxième tour des playoffs. Depuis l’ère Jordan, ils ont un devoir de succès. Quelles sont alors les perspectives pour Chicago et son meneur star dans les mois à venir?
Pour Derrick Rose, nous avons déjà vu que le choix de la sagesse avait été fait. Certes, sa rééducation sera plus longue, mais son genou devrait être moins affecté sur le long terme. Il évite des soucis pour le futur, à l’image de ceux que connait D-Wade actuellement. Ce dernier regrette d’ailleurs d’avoir choisi l’ablation de son ménisque il y a une dizaine d’année, considérant que cela est la cause de ses problèmes de genoux capricieux aujourd’hui. Et la décision des Bulls d’annoncer dès aujourd’hui l’absence de Rose pour la saison est également une bonne stratégie puisqu’il n’aura pas à supporter les spéculations, la pression et les questions incessantes sur la possibilité d’un retour avant la fin de l’exercice.
Maintenant, espérons pour lui que cette nouvelle période loin des parquets ne brise pas sa carrière. Certains joueurs ont su se réinventer après de grosses blessures (Grant Hill, Tim Hardaway…), à lui d’en faire de même et surtout de garder moral et motivation. Plus facile à dire qu’à faire, et derrière un sourire de façade, il est évident que D-Rose souffre, et pas seulement d’un point de vue physique. Même si le discours se veut rassurant de sa part et de celle de son coach.
“Je lui ai parlé longtemps samedi soir” déclarait Tom Thibodeau. “Il est dans le bon état d’esprit – autant qu’on puisse l’espérer dans de telles circonstances. Et il pense déjà à sa rééducation, et comme à son habitude, il est inquiet pour son équipe et ses coéquipiers.”
Un coach Thibodeau qui refuse pour l’instant de baisser les bras.
“Nous avons plus qu’assez pour gagner.”
Assez dur de le croire, même pour les plus optimistes. Déjà qu’avec Rose sur le parquet les Bulls étaient en difficulté pour scorer, mais sans lui, ça devient mission impossible. Quelqu’un peut il prévenir Thibodeau que Nate Robinson n’est plus dans l’effectif?
Il le sait bien. Ce n’est pas le vieillissant Kirk Hinrich qui peut mener les Bulls au titre. Certes, il est un joueur plus que correct, bon défenseur et gestionnaire. Mais à 32 ans, ses stats sont en baisse. Marquis Teague alors? Thibodeau aimerait mieux jouer à 4 seulement sur le parquet. Mais là le coach des Bulls ne peut s’en prendre qu’à lui même. À si peu faire jouer ses jeunes, ils ne progressent pas et ont du mal à répondre aux attentes lorsqu’on a besoin d’eux.
Bien entendu, l’effectif actuel est suffisant pour atteindre les playoffs, et même avoir l’avantage du terrain au premier tour vue la médiocrité de la conférence Est en ce début de saison. Mais est-ce vraiment un objectif pour une franchise comme les Bulls? Bien sûr que non, le United Center attend les successeurs de Jordan, Pippen and Co.
Que faire alors?
Avant de connaitre la durée de l’absence de D-Rose et dans l’hypothèse d’un retour “rapide”, les Bulls auraient pu conserver leur effectif pour donner à ce groupe une chance de jouer le titre. Maintenant, les fans du United Center vont non seulement devoir se passer de leur franchise player, mais aussi regarder avec appréhension ce que le front office va faire avec les autres joueurs, en particulier Luol Deng. Un transfert de l’Anglais prend tout son sens maintenant. Malheureusement, avec sa situation contractuelle (free agent cet été) et la conjoncture pour les Bulls, les offres ne devraient pas être à l’avantage de la franchise de l’Illinois. Mais il serait étonnant que Chicago ne tente rien, et cela malgré le désaccord total de Thibodeau qui souhaite garder son ailier (cette saison et pour la suite aussi).
Quelles sont les opportunités de trade pour Deng? L’idéal serait de récupérer un 1er tour de draft. Chicago dispose pour le moment de son propre choix, plus potentiellement celui des Bobcats (protégé pour les 10 premiers picks). Trois joueurs dans cette cuvée 2014, plutôt alléchant. En terme de potentiel ou même de valeur marchande. Sans compter qu’en laissant filer Deng, les Bulls gagneront moins de matchs, et donc seront mieux placés pour cette draft, encore plus intéressant… pour le futur. Sans oublier l’arrivée de Mirotic. Mais peu de franchises (aucune?) ne devraient être très motivées pour récupérer Deng sans l’assurance qu’il prolonge. En tout cas, pas au prix d’un premier tour de draft en 2014. Mais “louer” Deng pour les derniers mois de la saison n’est pas complètement fou. Car même s’il part libre cet été, il laissera de la place dans le salary cap et avant cela il pourra apporter un vrai plus à une équipe. En cas d’impossibilité de trouver un first round pick à venir, les Bulls peuvent également se contenter d’anciens choix du premier tour qui n’ont pas encore confirmer tout leur potentiel. Des franchises comme Cleveland (Tristan Thompson? Dion Waiters?) ou Washington (Otto Porter + Ariza?) pourraient être intéressées par le profil de l’ailier anglais pour réaliser un coup en playoffs.
Cela ne sera probablement pas du goût de Tom Thibodeau, surtout qu’il n’est pas réputé pour son travail avec les jeunes prospects. Mais coach Thib lui même n’est pas forcément en odeur de sainteté… Dans la deuxième année d’un contrat qui en comprend quatre, rien n’est certain quant à son avenir. La blessure de Rose et l’incertitude autour de Deng pourraient exacerber les tensions entre Thibodeau et Gar Forman. Les joueurs semblent derrière leur coach dans cette bataille avec le front office. L’Anglais le premier (cf. les discussions de l’intersaison et les chamailleries avec le staff médical), mais aussi Derrick Rose. Mais Forman a plus de pouvoir. Un départ du coach of the year 2011 n’est donc pas exclu à la fin de l’exercice 2013-14. À moins que la franchise implose avant… D’ailleurs, son exigence sera-t-elle toujours supportée par son effectif? Tout donner avec l’espoir d’un titre, oui, mais maintenant que cet espoir c’est envolé? Comment les joueurs vont-ils répondre?
Pour l’instant, Gar Forman ne compte pas révolutionner son équipe. Du moins officiellement. Derrick Rose reviendra et retrouvera son rôle de franhcise player, et le groupe actuel peut et doit se débrouiller sans lui pour briller cette saison.
“Il y a encore plein de talent dans cette équipe. Joakim Noah et Luol Deng sont deux gars qui étaient All-Star l’an dernier, Carlos Boozer est un joueur de haut niveau qui était parmi les leaders de la ligue au nombre de double-doubles la saison dernière, Jimmy Butler quand il reviendra et nous avons vu la saison dernière ce qu’il pouvait faire, Taj [Gibson], qui a un très bon début de saison. Il y a Kirk [Hinrich] qui a prouvé qu’il était un des meilleurs arrières défenseurs dans la ligue, Mike Dunleavy, un des meilleurs shooteurs à trois points. Et cela donnera l’opportunité à Marquis Teague et Tony Snell de progresser. […] Nous pensons que nous avons un avenir brillant devant nous et nous croyons que nous sommes bien placés. Nous espérons récupérer Derrick Rose à 100% pour la prochaine saison. […] Je ne veux pas rentrer dans les discussions individuelles [concernant les trades potentiels] puisque nous avons un groupe fort qui va réussir une bonne saison.” Gar Forman
Est-il vraiment sérieux? Cette équipe se qualifiera en playoffs, la conférence Est est trop faible pour que Chicago se retrouve moins bien classé que 7ème. Mais quel intérêt? L’avenir à court terme est bouché, pas de titre en vue. Faut il alors sacrifier le plus long terme juste pour réussir un coup d’éclat sur un tour ou deux en post season? Ou voir la réalité en face et commencer à faire bouger les choses, en acceptant que cette saison n’apportera pas suffisamment pour passer à côté d’un avenir meilleur?
De toute façon, il était acquis que le roster serait chamboulé l’été prochain, avant même cette blessure. Maintenant, le processus risque d’être accéléré. Tout le monde est sur la sellette. Boozer, comme d’habitude candidat à l’amnesty clause. Deng, comme vu juste au dessus. Mais Joakim Noah pourrait aussi faire ses valises. Les Bulls ont vu à quel point les blessures pouvaient peser sur un effectif, et Jooks est fragile. Butler et Gibson sont également deux monnaies d’échange intéressantes, surtout le premier nommé du fait de son salaire. Le reste de l’effectif n’a que peu de valeur, pour Chicago ou pour les autres franchises. Snell et Teague à la limite sont des paris sur l’avenir, mais ils ne déchaineront pas les foules. Actuellement, un seul joueur est intouchable: Derrick Rose. Aucune équipe ne voudra de son contrat à 78 millions sur 4 ans vu son état. De toute façon, les Bulls n’essaieront pas de le trader. Ils ne peuvent pas se passer de celui qui a redonné le sourire à la franchise après le départ de Michael Jordan. Ils ne peuvent pas se permettre de l’abandonner pour l’instant. Mais ils doivent changer de direction pour le futur.
Pourquoi? Tout simplement parce qu’un concurrent pour le titre ne peut pas se construire autour de l’unique Derrick Rose, même au top de sa forme. Encore moins à son retour et avec l’incertitude sur son niveau. Comment confier le destin d’une franchise à un joueur qui aura quasiment raté 2 ans et demi de basket? Comment laisser entre ses mains le sort d’une équipe? N’est-ce pas trop de pression? Après toute cette attente, tous ces espoirs placés en lui et ce nouveau déchirement, comment attendre de lui qu’il redevienne le leader d’un candidat au titre?
Impossible. Car il faut se rendre à l’évidence, si D-Rose peut retrouver un niveau all star, il ne sera plus jamais la superstar qu’il était avant sa première blessure. Et le front office de Chicago doit le savoir. Le temps des guerriers pour entourer Rose est terminé. Et chercher un lieutenant de luxe pour Rose ne sera pas suffisant. Les Bulls doivent récupérer un franchise player qui sera secondé par Pooh. Ils ne peuvent plus s’appuyer sur le roster actuel, ou du moins son noyau dur. Dans le meilleur des cas, cet effectif continue de progresser, dans la douleur, et avec de la patience. Chicago brûle un cierge pour que Derrick Rose revienne à son meilleur niveau et les mène au titre. Si c’est le cas, il faudra alors déplacer la statue de Jordan qui trône devant le United Center pour en construire une à l’effigie de D-Rose. Mais il faudra avant tout du temps, que la franchise n’a plus. Il a déjà été sacrifié l’an dernier.
Ou alors les Bulls acceptent la réalité. Font un trait sur cette saison et sur ce qu’ils ont construit ces dernières années. Ils choisissent un autre chemin. Plus sûr. Et moins dépendant de Rose. Ils trouvent la star pour apporter ce que le MVP 2011 ne peut plus leur donner. Reste à trouver laquelle, comment la faire venir et comment l’entourer.
Définitivement, cette blessure est injuste. Mais la vie est injuste, et il faut faire avec. “When life gives you lemons, make lemonade” disent les anglo-saxons. Il faut savoir tirer parti de l’adversité. Même si c’est triste à dire, les Bulls ont l’opportunité de prendre un nouveau chemin grâce à la blessure de Derrick Rose. À eux de la saisir s’ils ne veulent pas continuer à vivre entre le souvenir de leur glorieux passé et l’espoir utopique d’un titre ramené par le fils prodigue. Il faut bouger pour aller de l’avant, car si rien ne change d’ici la deadline des transferts le 20 février, les Bulls mettront en péril les deux prochaines années, voire plus. Et pourtant je l’aime ce groupe, ces guerriers qui ne lâchent rien et qui m’ont fait vibrer depuis 2011. Ils peuvent encore apporter beaucoup d’émotions, mais même si c’est dur à dire et accepter, ils ne ramèneront jamais le titre. Dommage. Passons donc à autre chose avant de le regretter.