Basket aux Jeux Olympiques – Mexico 1968 : le boycott de Kareem Abdul-Jabbar

Le 04 avr. 2024 à 09:57 par David Carroz

Kareem Abdul-Jabbar boycott Jeux Olympiques 1968
Source image : TrashTalk via Midjourney

En 1968, Kareem Abdul-Jabbar n’a que 21 ans. D’ailleurs, tout le monde l’appelle encore Lew Alcindor. En particulier sur le campus de UCLA où il boucle sa troisième année d’étude à quelques mois des Jeux Olympiques de Mexico. Mais le pivot qui marche sur la NCAA ne va pas représenter Team USA au Mexique. Il ne va même pas faire les sélections.

Officiellement, le service com’ de l’Université de Californie Los Angeles annonce que cette absence est due à une incompatibilité entre les cours de Lew et le planning des Jeux Olympiques qui se déroulent début octobre. Et oui, l’étudiant a repris le chemin de l’école à ce moment-là de l’année. Excuse qui aurait pu être valable si Kareem Abdul-Jabbar n’avait pas de lui-même déjà justifié son choix, quitte à se mettre une partie du pays à dos.

Pourtant, quelques mois plus tôt, Team USA espérait bien s’appuyer sur le pivot des Bruins pour aller chercher une septième breloque dorée consécutive. Mais KAJ n’est pas de cet avis lui qui commence à assumer et afficher son militantisme. Au grand dam des esprits chagrins et racistes. En juin 1967, Jim Brown, le fullback de l’équipe NFL des Browns de Cleveland, invite Lew Alcindor. Pour des vacances ? Non, personne ne va en vacances à Cleveland, Joakim Noah l’a déjà expliqué. Abdul-Jabbar se tient plutôt aux côtés de Muhammad Ali et d’autres athlètes afro-américain. Dont Jim Brown donc, et un certain Bill Russell.

Ce 4 juin, le “Ali Summit” ou “Cleveland Summit” comme est baptisée cette rencontre, Kareem Abdul-Jabbar écoute. Au milieu d’athlètes plus réputés et plus âgés que lui, ce n’est pas forcément à lui de soutenir ou contredire le boxeur qui vient de se voir retiré son titre de champion du monde pour avoir refusé de rejoindre l’armée. Comme les autres, il échange pendant plusieurs heures. Avant d’afficher son soutien lors de la conférence de presse où Muhammad Ali maintient sa position.

“Mec, je n’ai aucune embrouille les Vietcongs.”

Là-dessus, Kareem Abdul-Jabbar suit ses aînés et partage leur point de vue. Cette guerre que les USA mènent au Vietnam symbolise l’impérialisme américain. Elle ne concerne pas leur communauté qui est envoyée au front pour servir de chair à canon. Alors ils expriment ce désaccord, marquant un tournant dans l’histoire de l’engagement des athlètes derrière une cause, surtout clivante comme celle-ci.

Cette prise de position n’est qu’une graine de plus qui s’ajoute dans le cerveau de Kareem Abdul-Jabbar. Pas forcément celle qui lui donne l’idée de boycotter les Jeux Olympiques de 1968. D’ailleurs, officiellement, il n’a toujours pas déclaré forfait pour la compétition. Il n’empêche, alors qu’il se plonge de plus en plus dans l’histoire afro-américaine, la balance commence à pencher vers ce choix. Et il ne serait pas le seul à suivre ce chemin, comme l’illustre lors de Thanksgiving 1967 l’atelier Project for Human Rights auquel il participe. Et à l’issue duquel Harry Edwards, l’organisateur, annonce que plusieurs dizaines d’athlètes afro-américains sont chauds pour boycotter les Jeux.

Woh Woh Woh ! On lâche des bombes comme cela ? Pourtant les propos ne sont pas confirmés par tous les participants. Un certain Tommie Smith déclare pour sa part qu’Edwards a pris la liberté de tenir de tels propos. Interrogé aussi, Lew Alcindor concède ne pas avoir pris sa décision. Mais remarque qu’une escapade à Mexico lui ferait manquer des matchs avec les Bruins ainsi que les cours.

C’est finalement courant février 1968 que Kareem Abdul-Jabbar – ainsi que ses deux coéquipiers Lucius Allen et Mike Warren – refuse la sélection. Avec donc l’excuse toute trouvée liée à sa scolarité. D’autres suivront le mouvement. C’est même sans Wes Unseld, Bob Lanier ou encore Elvin Hayes que Team USA doit composer. De sacrés joueurs. Mais qui n’empêche pas le comité de sélection de snober Pete Maravich et dans une moindre mesure Calvin Murphy.

Bien que l’effectif se construise sans Kareem Abdul-Jabbar, la presse ne le lâche pas. Elle n’a pas trop de doute quant aux motivations de KAJ en ce qui concerne son non-déplacement au Mexique. Sans jamais les avouer, il ne les cache pas non plus. Pas complètement. Lors d’une interview estivale sur NBC, la question est logiquement abordée. Et Lew Alcindor ne mâche pas ses mots :

“Oui, je vis ici, mais ce n’est pas vraiment mon pays.”

La bombe est lâchée, et le présentateur n’apprécie guère

“Dans ce cas, il n’y a qu’une solution, peut-être que tu devrais partir.”

La chaîne coupe le programme face à la tension qui monte. Kareem Abdul-Jabbar ne peut pas s’expliquer sur cette prise de position risquée. En assumant son point de vue, Lew Alcindor a appuyé les futures actions des uns et des autres, en portant le débat sur la réflexion intellectuelle du mouvement. Mais plutôt qu’écouter sa réflexion, il est plus simple de le taxer d’anti patriotisme. Sans chercher à voir plus loin. Ni dans les ressentiments de la communauté afro-américaine. Ni dans l’histoire de Lew Alcindor.

Un jeune homme qui est né durant le mouvement des Droits Civiques. Élevé au son des discours du Black Power. Si Kareem Abdul-Jabbar a écouté Martin Luther King, les mots “force, fierté raciale et autodétermination” scandés par Malcolm X résonnent forts dans sa tête. Quoi de plus normal pour celui qui a déjà bien trop vu le traitement réservé aux Afro-américains et dont il aurait pu lui-même être victime ?

Comment cautionner alors de représenter un pays devant le reste du monde ? Impossible pour Kareem Abdul-Jabbar. C’est donc depuis les États-Unis qu’il pourra voir que certains ont fait un autre choix, sans pour autant oublier de faire passer un message clair lors de ces Jeux Olympiques. C’est le cas de Tommie Smith et John Carlos. Les deux sprinters afro-américains médaillés respectivement d’or et de bronze sur 200, ont levé leur main gantée de noir sur le podium pour protester contre le racisme. Histoire de montrer au monde entier que ce pays qui se veut la plus grande démocratie a encore pas mal de travail chez elle. Une autre méthode qui ne passera pas mieux auprès de l’Oncle Sam.