Le jour où Kareem Abdul-Jabbar a quitté les Bucks pour les Lakers

Le 16 juin 2023 à 09:03 par Antoine Demaegdt

Kareem Abdul-Jabbar Bucks
Source image : Youtube

16 juin 1975, 48 ans jour pour jour, l’un des plus grands trades de l’histoire de la NBA voit alors le jour. Kareem Abdul-Jabbar quitte le Wisconsin et les Milwaukee Bucks pour rejoindre la Californie et les Los Angeles Lakers à l’issue d’une saison sans Playoffs pour les Bucks. Une annonce qui sonne comme un coup de tonnerre, mais qui est en réalité préparée depuis un certain temps. Retour sur les coulisses d’un évènement majeur de l’histoire de notre sport.

Lorsqu’on parle de l’ancien meilleur marqueur de l’histoire, une certaine classe de sobriété se dégage du personnage. Mais si le jeune Ferdinand Lewis Alcindor – de son identité d’origine –  reçoit une bonne éducation, est fan de jazz et s’engage pour les droits des afros-américains tout au long de sa vie… lorsque Kareem Abdul-Jabbar est transféré à sa demande à Los Angeles contre Elmore Smith, Brian Winters, Dave Meyers, Junior Bridgeman et de l’argent, un sentiment de trahison peut parcourir quelques fans des Bucks. Alors pourquoi et comment Kareem est-il parti de Milwaukee après six belles années de domination dans le Wisconsin ? “Et bah j’vais vous l’dire”.

Lorsque KAJ est drafté par les Bucks en 1969, la franchise est seulement créée depuis un an. L’arrivée de la star universitaire du pays (3 fois champion en 3 ans) va immédiatement faire passer un cap aux daims, fraichement lâchés dans la Grande Ligue. La réussite est immédiate puisque dès l’année sophomore de Jabbar, l’arrivée d’Oscar Robertson fait passer ces Bucks de “bon potentiel” à “démentiel“, au point de directement remporter un titre NBA. Et Kareem, rookie de l’année un an plus tôt, va tout simplement finir MVP des Finales. Paye ton début de carrière. Sauf que la retraite d’Oscar va entacher la dynamique des Bucks et entrainer plusieurs échecs en Playoffs.

On pourrait donc supposer que cette demande de trade, survenue 4 ans après ce premier titre, soit due aux résultats sportifs, ou bien d’une déception envers les compétences du management, comme c’en est la coutume pour les superstars de nos jours. Mais en réalité, la raison principale de son départ était culturelle. Si Lew Alcindor a changé d’identité pour se nommer Kareem Abdul-Jabbar, c’est parce qu’il a décidé de se convertir à l’Islam au cours de sa carrière ; et cette adhésion a déjà du mal à passer au sein de sa famille d’origine catholique. Sauf que le Winconsin, surtout à cette époque, n’est pas l’Etat le plus plus progressiste des Etat-Unis : beaucoup s’interrogent ainsi sur les aspirations et les opinions de leur superstar. En 1972, un drame se produit : un attentat faisant 7 morts a lieu dans une mosquée que Kareem aidait financièrement. De quoi le convaincre de voyager protégé le reste de la saison…

Ne se sentant plus chez lui à Milwaukee, Kareem n’avait pourtant aucune rancœur envers les Bucks de Milwaukee. C’est d’ailleurs pour cela qu’il décida de demander son transfert, en toute discrétion, la veille de la saison 1974-1975. Wayne Embry – le GM des Bucks de l’époque – détaille cet évènement dans une interview pour The Athletic :

” J’ai reçu un appel de son agent, et il m’a dit qu’il aimerait venir à Milwaukee. Il voulait organiser une réunion avec les propriétaires pour avoir une discussion très franche. Il m’a dit qu’il ne me donnerait pas tous les détails, mais que Kareem songeait à son avenir à Milwaukee et qu’ils voulaient nous parler en face-à-face. J’ai répondu que c’était d’accord, et nous avons organisé une réunion. Nous voulions un endroit isolé. Nous ne voulions pas que l’on sache qu’il voulait être échangé, alors nous sommes allés au Sheraton à Brookfield, et nous nous sommes arrangés avec la sécurité pour qu’il entre et sorte le plus secrètement possible. Nous nous sommes donc retrouvés autour d’un dîner dans une suite privée et, bien sûr, ayant une idée de ce qu’il voulait, nous avons essayé d’obtenir tous ses plats préférés, toutes les choses qui pourraient lui plaire. Nous nous sommes donc rencontrés et, bien sûr, nous avons appris qu’il voulait être transféré à New York, Washington ou Los Angeles. “

Après une discussion de plusieurs heures, Kareem resta sur sa décision de vouloir quitter Milwaukee pour une de ces grandes villes américaines. Et lorsque l’organisation a tenté de comprendre sa décision, Wayne Embry témoigne que Kareem a été très clair envers les Bucks :

” Il m’a dit : “Non, non. Ce n’est pas toi le problème. L’entraîneur n’est pas le problème. Il est juste temps pour moi de passer à autre chose”. Il n’a pas critiqué Milwaukee, il a simplement dit qu’il était temps pour lui de tourner la page. Il a grandi à New York. Washington l’attirait parce qu’il avait une maison et des amis, alors il voulait peut-être aller là-bas pour les rejoindre. Et puis bien sûr, Los Angeles l’attirait puisqu’il est allé à la fac à UCLA. “

Plus en phase avec son environnement, le maître du Sky Hook cherchait simplement des racines auxquelles se rattacher dans sa vie personnelle. Avec la réception plus que compliquée de sa reconversion à l’Islam, il ne se sentait peut-être plus en sécurité à Milwaukee. En tout cas, l’intérieur des Bucks, malgré une potentielle trahison sportive, a eu le mérite de gérer ses différents en interne sans en alerter le monde entier : Wayne Embry avait toute la saison 1974-1975 pour trouver une solution, un confort managérial que le GM des Bucks s’est permis de souligner :

” Et ironiquement, contrairement à ce qui se passe aujourd’hui, nous avons réussi à tenir tout ça loin de la presse jusqu’à ce que nous en fassions l’annonce [*rires*]. “

Alors peut-on en vouloir à Kareem Abdul-Jabbar de ne pas avoir honoré son contrat sportif pour les Bucks ? Si l’on compare cet évènement à la NBA d’aujourd’hui, Kareem passerait pour un sain dans une telle instrumentalisation médiatique. Certes, ce n’est pas très “sport” de mettre un couteau sous la gorge à son management, mais lorsqu’on prend compte des circonstances de l’époque, nul doute que Kareem a pris sa décision en tant qu’homme, plutôt qu’en joueur de basket.