Flashback : Sixers – Nets, le match ubuesque qui s’est joué… deux fois en 1978-79

Le 23 mars 2024 à 16:46 par Julien Vion

Very Bad Trip
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À la fin des années 1970, un sacré concours de circonstances produit une des situations les plus cocasses de l’histoire de la NBA. Les Philadelphie Sixers contre les New Jersey Nets, récit d’un match dont plus de quatre mois séparent le début et la fin. Buvez un grand verre d’eau pour comprendre la box-score en fin d’article.

Depuis la création de la Ligue, seules six rencontres ont été rejouées à la suite de plaintes déposées, souvent suite à une erreur flagrante d’arbitrage. Dans la plupart des cas, aucun changement drastique n’est à signaler. Mais lors de la saison 1978-79, des joueurs transférés se retrouvent à disputer le même match avec deux maillots différents. On touche au sublime.

“Toutes ces années plus tard, je n’arrive toujours pas à croire que c’est arrivé. Mais c’est arrivé. Je le sais. J’étais là.”

– Ralph Simpson, joueur des Sixers… et des Nets en 1978-79

D’un simple match rejoué…

Quand Philadelphie reçoit les New Jersey Nets le 8 novembre 1978, on ne s’attend qu’à une rencontre déséquilibrée entre deux équipes de l’Est.

Les Sixers ont bien débuté la régulière mais ne disposent pas d’un effectif très profond au-delà de leur star Julius Erving. Les Nets, eux, ont du mal à se remettre de la perte… de ce même Julius, qui avait été leur MVP en ABA trois saisons consécutives (entre 1973-74 et 1975-76). Le jeune Bernard King, tout juste sophomore, est leur seul rayon de soleil cette année-là.

D’abord ordinaire, la soirée monte d’un cran dans l’inédit au milieu du troisième quart-temps, alors que Philly mène de trois petits points (84-81).

Compte-rendu des évènements, attention, c’est un peu technique.

Bernard King attaque agressivement l’arceau sur Steve Mix, un beau bébé de 2m01 pour 100 kilos, venu en aide. Coup de sifflet de l’arbitre Roger McCann, faute offensive sifflée sur le joueur des Nets.

King jure qu’il n’a “pas touchew“, mais rien à faire. Il s’emporte, hurle à plein poumon sur le pauvre McCann qui n’a pas d’autre choix que de lui donner une faute technique. C’est sa deuxième du soir, et en NBA la règle n’a pas changé : deux techniques sont synonymes d’exclusion de la rencontre.

Dans tous ses états, l’ailier dégomme des chaises en chemin pour aller au vestiaire. Et c’est à ce moment-là que Richie Powers, arbitre assistant, entre en scène. Il siffle une nouvelle technique contre King, c’est-à-dire sa… troisième de la soirée. Kevin Loughery, coach des Nets, n’en croit pas ses yeux et se jette vers Powers pour lui demander des explications. L’officiel, visiblement bien lancé, lui signifie qu’il mérite lui aussi trois fautes techniques. À la douche.

“Ce coup de sifflet sur Bernard a tout déclenché, puis Kevin est devenu fou de rage et la prochaine chose dont je me rends compte c’est que le match était devenu hors de contrôle avec toutes ces techniques”.

– Harvey Catchings

Six techniques en quelques secondes, un joueur et un coach éjectés. Sauf qu’en NBA, selon le règlement, il est interdit de donner plus de deux fautes techniques à un joueur (ou un entraîneur) dans un seul match.

Malgré tout, la rencontre poursuit son cours – sans les deux protagonistes mais avec tous les autres – et les Sixers remportent un match fou en double prolongation (137-133). Eric Money, un tout jeune meneur anonyme, remplace King et se fait remarquer en inscrivant 37 points dans la défaite des Nets. On peut aussi noter que c’est Phil Jackson (l’unique), bien avant sa carrière d’entraîneur, qui se place sur le banc à la place de Loughery.

Boxscore Nets Sixers 1978, 22 mars 2024

Le box-score original, indiquant les 3 fautes techniques de King et Loughery (source image : Basketball Reference). 

Mais à l’issue de la rencontre, les New Jersey Nets décident de faire appel en vertu qu’il est interdit de recevoir plus de deux fautes techniques. Ils demandent même qu’on leur accorde le match gagné.

Larry O’Brien, commissioner de la NBA à l’époque, reconnaît les dysfonctionnements d’arbitrage. Il annonce que la protestation a été entendue mais que la fin du match sera rejouée à partir des deux exclusions.

Dans le même temps, O’Brien suspend Richie Powers pour cinq matchs sans solde pour “non-respect des procédures de la Ligue”, en plus d’une petite amende. Si ce n’est pas le sujet du jour, l’arbitre avait un historique de décisions douteuses et était déjà dans l’œil du cyclone.

Bref, tout ce beau monde – sauf Powers – a rendez-vous le 23 mars 1979 pour jouer les 17 minutes et 10 secondes restantes.

… à des joueurs qui changent de vestiaires

La nouvelle fin du match a donc lieu près de cinq mois après, à Philadelphie le 23 mars 1979, date où les deux équipes devaient de toute façon se rencontrer dans le calendrier de base. Mais ce qui fait basculer la chose de l’inédit à l’ubuesque, c’est un trade entre les deux franchises le 7 février 1979. Harvey Catchings, Ralph Simpson et un peu de cash sont envoyés par Philly dans le New Jersey tandis qu’Eric Money et Al Skinner font le chemin inverse.

On pourrait se dire qu’un transfert entre Eric Money et du cash, outre le jeu de mot facile pour les rédacteurs, ça ne fait pas pleurer dans les chaumières. Ce n’est faire offense à aucun de ces joueurs de dire qu’ils ne sont pas passés à la postérité.

Non, l’élément perturbateur dans l’histoire est la décision de la Ligue de les autoriser à disputer le match… pour leur nouvelle équipe ! Imaginez la scène quand l’arbitre siffle la reprise de la rencontre, et que certains joueurs ont changé de maillot.

“C’est là que ça m’a vraiment frappé, quand je suis entré sur le terrain et que j’ai vu tous mes anciens coéquipiers. Je me suis dit qu’ils ne nous laisseraient jamais faire ça, mais quand on voit le chronomètre et les gars avec qui on a passé quatre ans et demi de l’autre côté, c’est hallucinant.”

– Harvey Catchings

Dans ce trade, force est de constater qu’Eric Money n’en a pas eu pour son argent. Alors qu’il avait marqué 37 points à l’origine, les 17 minutes de temps réglementaire et les prolongations ont été effacées. Retour à 23 points, qui deviennent… 27 ? Le néo-Sixer dispute huit minutes avec sa nouvelle équipe et inscrit 4 points. Techniquement, il a donc marqué 41 points – dont seulement 27 de valables – et a fait le bonheur des deux équipes. C’est à ne plus rien y comprendre.

“Ce n’est pas comme si je ne les avais pas marqués. Je les ai marqués. C’est juste qu’ils ne les ont pas autorisés.”

– Eric Money

Mais Money, et son compagnon de fortune Al Skinner, lui resté sur le banc, peuvent se consoler avec la victoire puisque Philadelphie gagne de nouveau le match (123-117).

Rien de mieux que la mythique box-score officielle pour conclure le récit. Il indique donc Money, Simpson et Catchings dans les deux équipes. Et pourquoi pas ?

Boxscore Nets Sixers 1978, 22 mars 2024

Boxscore Nets Sixers 1978, 22 mars 2024

C’est donc la seule et unique fois de l’histoire qu’un joueur, trois en l’occurrence, dispute un même match avec les deux maillots. Pour la petite histoire, sachez aussi que les deux équipes se disputeront un match complet – celui qui était prévu à la base le 23 mars 1979 – après avoir rejoué cette fin de match. Encore une fois, les Sixers l’emporteront (110-98).

Ralph Wiggum, dans les Simpson, a souvent la réplique “I’m special”. Ralph Simpson, lui, peut se vanter d’avoir été l’acteur d’un match définitivement spécial en NBA. 

Source texte : NBA, New York Times, LA Times