La course au tanking pour Victor Wembanyama s’annonce historique : jusqu’où iront les équipes NBA pour le phénomène français ?

Le 18 oct. 2022 à 16:30 par Gauthier Cognard

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Source image : montage TrashTalk

Victor Wembanyama est presque déjà assuré d’être choisi en premier lors de la Draft NBA 2023. On parle même de lui comme l’un des plus grands prospects all-time, en tout cas le plus grand (et pas qu’en taille) depuis LeBron James. Et depuis ses performances à Las Vegas au début du mois d’octobre, la course au tanking semble partie pour être l’une des plus folles de l’histoire de la NBA.

Chaque année, certaines équipes NBA ne cherchent pas à gagner. Elles veulent développer leurs jeunes joueurs en leur donnant un maximum de temps de jeu, tout en se préoccupant peu des résultats. Un luxe rendu possible par le système de ligue fermée utilisé aux États-Unis, à l’opposé des promotions et relégations classiques en Europe. Car au bout, il y a la Draft, où chaque équipe choisit un ou plusieurs jeunes parmi les déclarés. Et moins on gagne de matchs, plus on choisit tôt. Enfin, presque, puisque pour limiter le tanking (autrement dit la tendance à perdre “volontairement” pour augmenter ses chances à la Draft), un système de probabilités est en place.

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Tableau de probabilités pour la loterie de la Draft (depuis 2019)

Bon, pour ceux qui ne sont pas familiers avec la Loterie, quelques explications du tableau ci-dessus. La colonne de gauche désigne le seed, c’est-à-dire la place de chaque équipe dans cette loterie. La franchise avec le pire bilan de la dernière saison régulière est le seed 1, l’avant-dernière est le seed 2, et ainsi de suite. La deuxième colonne donne les probabilités pour chaque seed d’obtenir le premier choix de la Draft lors du tirage au sort. Ainsi, les seeds 1, 2 et 3 ont chacun 14%, la seed 4 est à 12,5%, etc. On remarque donc qu’avoir le pire bilan de la Ligue n’apporte pas la garantie d’obtenir le premier choix de Draft. Et heureusement d’ailleurs car sinon le Thunder n’aurait pas gagné une seule rencontre depuis trois ans. Tout le monde ferait tout pour perdre chaque soir, quitte à marquer dans son propre panier et ça deviendrait n’importe quoi.

Cette année, avec le phénomène français Victor Wembanyama qui fait saliver tout le monde, il semble qu’il y ait deux camps au sein de la Ligue. Ceux qui vont essayer de gagner, d’accrocher à minima une place en play-in, donc parmi les dix premiers de chaque conférence. Et il y a ceux qui feront tout pour ne pas y être. Toutes les excuses seront bonnes : blessures réelles ou pas vraiment, jeunes pas encore développés, load management pour les Playoffs qu’on ne fera pas, aquaponey le lendemain matin… Tout cela pourrait donner des séries de défaites rarement vues, et même pourquoi pas des résultats historiques à la manière des Sixers de 2016 et leur bilan magistral de 10 victoires pour 72 défaites. Nombreuses seront les équipes à vouloir perdre. Les Spurs n’ont pas été dans cette situation depuis 25 ans (derrière ils avaient récupéré… Tim Duncan, de quoi les inspirer) et leur effectif ressemble presque à une équipe de G League. Le Jazz a transféré toute l’équipe et le concierge avec. Les Pacers ont dégagé Domantas Sabonis, Caris LeVert et Malcolm Brogdon en quelques mois, et le duo Myles Turner – Buddy Hield pourrait suivre. Le Thunder est un grand spécialiste du tanking et avec la blessure de Chet Holmgren, on pourrait repartir pour un tour. Les Rockets – malgré un noyau déjà hyper prometteur – ne sont pas à exclure, surtout qu’ils savent faire : Ralph Sampson, Hakeem Olajuwon, Yao Ming, ils sont tous arrivés par ce biais, tiens c’est encore un big man, l’histoire serait-elle écrite ? On gardera aussi un œil sur les Pistons et le Magic, même si ces deux franchises ont eu leur numéro 1 de Draft et veulent désormais grandir. Enfin, mention pour les Hornets, qui ont vécu la pire offseason de toutes les équipes NBA et qui pourraient prendre la route de la défaite volontaire avec LaMelo Ball à l’infirmerie en début de saison.

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Cela fait plusieurs années que les scouts ont repéré Victor Wembanyama. En même temps, difficile de rater un mec de plus de 2m20 qui possède le talent d’un arrière. Ils ne l’ont pas découvert avec sa performance à Las Vegas contre Scoot Henderson, mais cette dernière a clairement solidifié son statut d’alien. 37 points, dont 7/11 depuis le parking et 5 contres, ce match restera peut-être dans l’histoire comme un tournant de la saison NBA à venir. Certaines franchises avaient déjà prévu de tanker à l’extrême, d’autres l’ont peut-être décidé depuis cette rencontre. C’est en tout cas ce que pensent Adrian Wojnarowski et Jonathan Givony, journaliste star pour le premier et expert de la Draft NBA pour le second, co-auteurs d’un article pour ESPN qui nous donne un aperçu de la hype qu’a créé ce match. Morceaux choisis.

“L’impact de la performance de Victor Wembanyama à la télévision nationale devrait devenir un facteur dans la course aux dernières places, et dans l’agressivité des stratégies des franchises pour y arriver. Après ce qu’il s’est passé mardi, les front offices pourront plus facilement convaincre propriétaires et fans que le tanking est la solution.”

Certains vont même plus loin, comme Bill Simmons, journaliste de The Ringer invité par Zach Lowe pour parler de Victor Wembenyama sur son podcast, The Lowe Post.

“Je pense que c’est encore plus poussé que pour LeBron. Certaines équipes vont compromettre leur intégrité pour le récupérer si c’est possible.”

Le ressenti semble donc être partagé au sein de la Ligue. D’autant plus que certains managers auraient directement fait part de leur ressenti aux journalistes d’ESPN, et qu’ils semblent persuadés que quelque chose sera différent cette saison.

“Un GM nous a dit qu’il pensait que ce match allait démarrer une course au tanking comme on ne l’a jamais vu. […] À vrai dire, plusieurs membres d’organisations nous ont fait part de conversations avec leurs propriétaires qui semblaient mieux comprendre ce que pourrait apporter Victor Wembanyama à leur franchise, et les étapes à suivre pour pouvoir le récupérer.” – A. Wojnarowski et J. Givony

Une prise de conscience qui pourrait donc entraîner un changement de mentalité, et une course aux dernières places inédite en NBA. C’est bien simple, vingt équipes se qualifieront pour la postseason, play-in inclus. Les dix autres ? Elles pourraient décider de tout faire pour être le plus bas possible dans le classement.

Vous l’avez compris, les limites de la nullité pourraient vraiment être repoussées cette saison, même si tout cela n’est encore que spéculation et qu’on a déjà vu par le passé des scénarios plus ou moins similaires pour des prospects du même calibre que Victor Wembanyama. En 2003 par exemple. À l’époque, les probabilités à la Loterie étaient réparties différemment. Les deux pires bilans avaient 22% de chances d’avoir le premier pick, le troisième 15%, le quatrième 12%, puis on passait directement à moins de 1%. Le tanking à plusieurs était ainsi moins encouragé, mais le tanking extrême un peu plus. Et en 2003, un joueur faisait fantasmer toute la NBA : le Chosen One LeBron James, évidemment, déjà comparé avant même sa draft aux plus grands joueurs de tous les temps. Alors les Cleveland Cavaliers – ça tombe bien le King est né dans l’Ohio – n’ont pas fait les choses à moitié pour se donner les meilleures chances de l’avoir. Un bilan incroyable de 17 victoires, le pire de la Ligue, à égalité avec les Denver Nuggets (qui eux sont tombés à la troisième place, oups), et une première place récupérée tranquillou. La suite on la connaît.

LeBron James SI

La première couverture de LeBron James pour Sports Illustrated, le 18 février 2002. Soit un an et demi avant sa draft.

Cette hype pour le Roi n’a jamais été retrouvée depuis, à part peut-être une fois mais qui semble quand même en deçà au niveau des attentes. En 2019, c’est Zion Williamson qui s’avance en tant que favori de la Draft. On ne parle que de lui, tout le temps, même aux autres joueurs draftés, à tel point que ça en devient même gênant. C’est lui qu’on est venu voir. Et c’est pour lui qu’on a tanké. Presque autant qu’en 2002-03, on essaye beaucoup de perdre en 2018-19 : les Knicks à 17 victoires, les Suns et les Cavs à 19, les Bulls à 22… Pas de bol, c’est une équipe de New Orleans en 33-49, huitième pire bilan de la Ligue, qui profite du changement de règles intervenu la saison même et de ses 6% de chances pour rafler la mise. Un point commun entre les années 2003 et 2019, c’est la présence d’autres top prospects dans la classe de Draft qui poussent plusieurs équipes à tanker : quitte à rater le premier choix, le deuxième et le troisième ne sont pas mal non plus. On pense à Darko Milicic Carmelo Anthony en 2003, et bien évidemment aussi Chris Bosh et Dwyane Wade (oh la claque) même si ces deux derniers ne possédaient pas la même hype que LBJ et Melo. Et en 2019 on avait évidemment le phénomène Ja Morant derrière Zion, sans oublier R.J. Barrett ou encore Darius Garland (oh la future claque).

En 2023, la donne sera similaire. Évidemment, tout le monde voudra Victor Wembanyama (pas sûr que la France se rende encore bien compte de la chance qu’elle a). Mais derrière, il y a également du beau monde. À commencer par Scoot Henderson, le meneur de la G League Ignite. Il a montré lors de leur affrontement à Las Vegas qu’il pouvait tenir le choc, avec 28 points, 5 rebonds et 9 assists. Si Wemby est considéré comme un prospect générationnel, Henderson est déjà perçu comme une future star. Mention aussi à des mecs comme Nick Smith et Cam Whitmore, qu’on compare à Gilbert Arenas et DeMar DeRozan respectivement, ou encore les frérots Amen et Ausar Thompson (Overtime Elite). Ceux qui n’auront pas le premier choix devraient donc récupérer de jolis prix de consolation, une raison de plus pour que beaucoup soient dans les starting-blocks.

La hype autour de Victor Wembanyama, c’est presque du jamais vu. Presque, parce que Ralph Sampson a existé, Lew Alcindor aka Kareem Abdul-Jabbar aussi, et évidemment LeBron James. Mais la course au tanking pour le récupérer pourrait être la plus folle de l’histoire de la Ligue. Tout ça pour un Français. Mesdames et messieurs, le basket de chez nous a un bel avenir.