Kermit Washington, Rudy Tomjanovich et The Punch : quand une droite a transformé à jamais la NBA

Le 24 nov. 2018 à 18:00 par Victor Pourcher

Rudy Tomjanovich The Punch
Source image : Youtube

Vous avez vu Chris Paul, Rajon Rondo et Brandon Ingram tenter de se mettre sur la tronche lors du Lakers – Rockets de cette saison ? Et si vous êtes un peu sensible, ça vous a probablement choqué. Sinon, comme un gros dur, vous avez apprécié le retour des rivalités, de la tension et de l’intensité sur le terrain. Ok, arrêtez tout et suivez papi dans la DeLorean pour un autre affrontement entre les deux franchises : direction les années 70 et une droite qui a failli mener à un drame. 

On vous parle d’un temps que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître. Le Ligue en ce temps-là, décrochait des mâchoires jusque sur les parquets. Fin de l’hommage au regretté Charles. Mais l’idée est là : autre temps, autre mœurs et la NBA a bien changé depuis cette soirée froide de 1977, si bien qu’il faut encore raconter, encore expliquer. Le 9 décembre de cette année, les Los Angeles Lakers reçoivent les Houston Rockets à Inglewood, et l’affiche est belle entre deux équipes historiques et des noms qui résonnent encore aujourd’hui : Kareem Abdul-Jabbar d’un côté, Moses Malone de l’autre. Seulement de cette nuit-là, on aura bien du mal à se souvenir ni du jeu ni du score, qui affichera une victoire 105 – 116 de Houston avec 20 points d’un jeune Moses contre les 32 de Kareem. Non, on retiendra un autre événement, plus marquant, plus violent, à quelques phalanges du dramatique, et qui a investi toutes les mémoires. Comme souvent avec leur don de la catchphrase, nos amis américains, même s’ils ne se sont franchement pas foulés, ont parfaitement baptisé l’incident pour la postérité : The Punch.

Car pendant ce match, un début de bagarre éclate au milieu de terrain. Quiconque a déjà vu ce genre d’affrontement en NBA le sait : rapidement c’est la mêlée, chacun voulant aider son pote, lui-même parti soutenir un autre copain, etc… Beaucoup de gens donc, mais cette histoire se concentre sur deux hommes. D’un côté, Kermit Washington, beau bébé du secteur intérieur des Lakers de 2m03 pour 104kg posant 9,2 points, 8,3 rebonds et 1,4 passe de moyenne en carrière. De l’autre, Rudy Tomjanovich, poste 3 ou 4, plus scoreur avec ses 17,4 points accompagnés des 8,1 rebonds et 2 assists qui font de lui un joueur très sérieux à Houston. Kermit arrive en premier sur les lieux de l’accrochage. Sentant arriver quelqu’un dans son dos, il se retourne : c’est le bon Tomjanovich qui se ramène en courant sur la scène. Et c’est là que tout se joue. Washington, en voyant le Rocket s’avancer rapidement dans sa direction, semble penser qu’il vient se mêler aux festivités et, par peur, anticipation ou réflexe, lâche son plus beau direct du droit. Départ au niveau de son épaule, arrivée juste en-dessous du nez de Tomjanovich qui tombe immédiatement au sol. The Punch vient de partir.

Alors jusque-là, l’histoire est classique. Bim, bam, boum, le premier qui déclenche est souvent celui qui fait le plus mal. Sauf qu’ici, les conséquences ont failli être terrible, autant pour l’un que pour l’autre (enfin plus pour la victime quand même hein). Car si Rudy Tomjanovich ressent d’abord ce qu’il pense être un simple nez cassé, son petit tour dans l’hôpital va révéler un problème bien plus grave. Sous la force du coup, du liquide céphalo-rachidien, liquide dans lequel baigne le cerveau, est en train de s’écouler. Pas besoin d’être Dr. Mamour pour comprendre que c’est la merde, la vraie, celle qui pue tellement que ta vie est en danger. Là on ne parle pas de quatre points de suture, mais quatre jours en soins intensifs et d’un paquet d’interventions chirurgicales. Alors oui et heureusement, il s’en est sorti mais l’affaire ne s’arrête pas sur cette bonne nouvelle et les répercussions sont à la hauteur de la gravité des faits. Quelques chiffres maintenant, l’histoire ensuite. En poursuivant les Los Angeles Lakers devant la justice, Rudy touche 2 millions de dollars de dédommagement, tandis que Kermit Washington écope d’une amende de 10 000 dollars et une suspension de 60 jours. Mais les deux joueurs ne se remettront jamais vraiment de cette nuit-là.

Après cet accident, le basket reprend un temps ses droits. Rudy Tomjanovich revient la saison suivante, au bout de mois de soins, et il ne fait pas semblant le garçon : 19 points, 7,7 rebonds de moyenne à plus de 51% au tir pour son grand retour en 1978-79. Le corps va bien c’est sûr, mais ce ne sont pas les blessures physiques qui sont les plus longues à cicatriser, comme il l’expliquait en 2002 à l’occasion d’une rencontre avec Washington. Des propos que rapporte Jonathan Feigen du Houston Chronicle auteur du livre 100 Things Rockets Fans Should Know & Do Before They Die qui revient sur cette histoire.

“Quand quelque chose comme cela arrive dans la vie d’une personne, il doit se soigner, physiquement et émotionnellement. Le physique se guérit. La nature et la médecine s’en occupent, je n’ai rien à voir là-dedans. La guérison émotionnelle, elle, a tout à voir avec moi. […] Cela prend du temps, donne des leçons et engendre de la douleur. J’ai vécu dans ma propre douleur à cause de mes pensées. Cela n’a rien à voir avec les autres. Je dois vivre avec moi-même.”

Usé mentalement, les stats de Rudy Tomjanovich descendent les deux années suivantes et il met un terme à sa carrière à l’issue de la saison 1980-81. À l’âge de 32 ans, c’est la fin d’une belle carrière qui l’a mené cinq fois aux All-Star Game dont une sélection après cet incident, et autant de fois en Playoffs avec Houston, mais le commencement d’un long processus de guérison qui passera par la douleur, puis le pardon. Kermit Washington n’a pas non plus eu une carrière pleine de sérénité après The Punch. Car si envoyer un seul direct n’a jamais valu à un joueur d’être banni de la Ligue, lancer un obus destructeur qui manque de tuer sa cible a, étrangement, de quoi faire fuir pas mal de franchises. Rapidement tradé à Boston pour finir la saison suite à cette affaire, il atterrit ensuite à San Diego pour une pige d’un an chez les Clippers avant de poser ses valises à Portland. Là-bas, il enchaîne trois bonnes saisons dont une en 13,4 points, 10,5 rebonds et 1,6 block de moyenne en 1979-80, qui le consacre All-Star. Mais l’épisode The Punch lui colle l’image d’un paria, d’un joueur violent et nerveux, en bref, l’image d’un gars qui, même involontairement, a failli en tuer un autre à mains nues. Oui, c’est peut-être injuste et il n’a bien sûr voulu tuer personne mais la NBA se construit de petites histoires, de records et de moments forts. Et faute d’avoir eu une carrière hors-norme, Kermit Washington est rentré dans l’histoire pour ce seul fait d’arme.

Rassurez-vous, nous sommes aux States, là où toute histoire a une Happy End. Rudy Tomjanovich est devenu un immense coach du côté de Houston, sa maison, et même sur la scène internationale à Team USA. En même temps, frôler la mort sur le terrain, puis revenir avec une saison All-Star, c’est qu’il y a de la ressource chez cet homme, du vécu à transmettre, du plomb dans la tête (attention avec les vannes, prenez des gants…) et des couilles dans le caleçon. Désormais, quand on ouvre l’armoire à trophée de Rudy, on tombe sur deux titres NBA avec les Houston Rockets d’Hakeem “The Dream” Olajuwon, les seuls de la franchise, et un titre de champion olympique en 2000 accompagné de Mourning, Garnett ou encore un jeune Vince Carter (big up au héros Fred Weis).

Surtout, il a surmonté cette épreuve et réussi à pardonner au fil du temps et des rencontres avec Kermit Washington, surprenant ce dernier qui, suite à la rencontre de 2002 à Oakland, déclare :

“Il y a très longtemps, j’ai dit à Rudy : ‘Je suis désolé de ce qui est arrivé. Je suis vraiment désolé. Tout est de ma faute. S’il-te-plait, pardonne moi.’ Mais je ne pensais pas qu’il serait à ce point capable de pardonner.”

Pas si étonnant quand l’on connait la vision des choses de Tomjanovich. Pour lui, ce pardon était nécessaire : pas pour Kermit, pas pour les autres, mais pour lui, pour pouvoir avancer. Difficile de se mettre à la place de celui qui a vu la mort de près, on ne peut que l’écouter :

“Si je garde ces choses-là, des choses qui me détruisent, une partie de moi, je rate une belle vie. Ce qui importe, c’est où sont les gens aujourd’hui. Pour moi, ce qui est arrivé dans le passé, n’a rien à faire avec où je suis aujourd’hui. Je dois vivre désormais. Analyser, juger le passé n’apporte rien de bon à qui que ce soit. Ce qui m’importe maintenant, c’est comment je vais vivre, et j’ai fait mon choix.”

Parfois, tout est présent pour qu’une histoire traverse les années : un bataille, la mort toute proche, un homme que l’on érige en super-méchant repenti, un autre en super-gentil titré et qui offre son pardon, une happy end et des poignets de mains. Franchement, The Punch, ça a quand même une autre gueule qu’un zoom x100 au ralenti sur le crachat de Rondo, non ?

Ce ne sont pas seulement ces deux destins qui ont été transformés par The Punch. La Ligue entière a été marquée à jamais par cet événement dramatique et si l’on ne voit plus autant de barfight qu’à l’époque sur les parquets, c’est bien parce que la politique de la NBA s’est durcie au rythme de son expansion. Rangez les histoires de comptes Twitter et de likes sur Instagram, ici on parle de vraies grosses embrouilles et de grand pardon. 

Source texte : Houston Chronicle


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