Frédéric Forte : un homme et… une interception rentrés dans l’histoire du basket français
Le 02 janv. 2018 à 17:32 par Alexandre Martin
Dimanche, peu de temps avant de passer en 2018, une triste nouvelle est venue ternir nos soirées de réveillon pour la nouvelle année : Frédéric Forte nous a quitté, terrassé par une crise cardiaque à seulement 47 ans. Le président du CSP Limoges laisse ainsi derrière lui un club orphelin et un basket tricolore endeuillé par la perte de l’un de ses héros. Un meneur au style discret qui, un soir d’avril 1993, a tué le Benetton Trévise d’une interception, propulsant ainsi son Cercle Saint-Pierre sur le toit de l’Europe et son nom dans la légende du basket français.
En 1993, c’est du 13 au 15 avril que s’est joué le Final Four de la reine des compétitions européennes, encore appelée à l’époque la Ligue des Champions. A Athènes, sur le parquet du bouillant stade de la Paix et de l’Amitié (salle de l’Olympiakos le Pirée), les Limougeauds du CSP avaient rendez-vous avec le gratin : le Real Madrid d’Arvydas Sabonis, le PAOK Salonique de Prelevits et Levingston et bien évidemment, le Benetton Trévise de Toni Kukoc… La mission semble très compliquée mais elle ne fait pas peur au groupe magnifiquement dirigé par le maître tacticien Bozidar Maljkovic. Le Serbe a fait de son équipe une redoutable machine défensive, un bloc impénétrable, une escouade très solidaire et hargneuse en défense qui s’applique en attaque où le talent de Michael Young fait régulièrement la différence. Meilleur marqueur (20 points) de la demi-finale qui a vu le CSP battre le Real et auteur de 18 points en finale contre Trévise, l’ailier américain – ancien de la Phi Slamma Jamma des Cougars de Houston – sera clairement l’un des hommes forts de la campagne du club français. L’autre homme fort pour Limoges est Jim Bilba car s’il est moins talentueux offensivement que son coéquipier Young, il est le pilier défensif de l’équipe, le socle autour duquel coach Maljkovic construit son cadenas.
Et c’est d’ailleurs l’ami Jim qui va se retrouver sur la ligne des lancers (principe du 1+1 encore à l’époque) à 55 partout, après une faute de Kukoc… Le premier fait ficelle, le deuxième rentre également. 57-55 pour le CSP. Il reste un peu moins de 40 secondes à ce moment du match. Le banc de Limoges est debout sauf le capitaine Richard Dacoury qui lui, est carrément à genou au bord de la ligne de touche. C’est Toni Kukoc qui monte la balle et qui va tenter quelque chose. Normal, il est le meilleur joueur de ce Final Four pour la troisième année de suite et s’apprête à rejoindre les Chicago Bulls après l’été pour étaler sa classe de l’autre côté de l’Atlantique. Toujours est-il que le Croate a Zurij Zdovc – le Slovène du CSP – face à lui. Massimo Iacopini vient poser un écran à Kukoc pour tenter de lui donner un peu d’espace. Switch. Et c’est Frédéric Forte qui se retrouve devant le Croate gaucher auquel il rend pas loin de 20 centimètres. Toni aka “The Croatian Sensation” face à Fred aka “The Brain”. Kukoc revient dans l’axe, plante ses appuis derrière la ligne à trois points face au panier. Mais au moment où il commence à armer ce qui semble être un geste de shoot, la main gauche baladeuse de mister Forte vient toucher le cuir, rien que le cuir. Et le Croate en perd le contrôle pendant que le Français s’en saisit et file vers le cercle adverse. Vite rattrapé, il a tout de suite la présence d’esprit de faire tourner le chrono. Pour cela, il sert Zdovc.
Le temps s’écoule et à un peu moins de 15 secondes du terme, le Slovène subit une faute qui l’envoie, à son tour, sur la ligne de réparation. Frédéric Forte vient de voler une balle au meilleur joueur européen du moment, une balle que Zurij Zdovc a désormais l’occasion de planter deux fois de suite dans les filets adverses. Il ne tremblera pas et donnera quatre points d’avance au CSP. Le match est quasiment gagné. Terry Teagle ratera sur la ligne de lancer, Michael Young également et le chrono file. Mais les Italiens reviendront tout de même à la charge. Iacopini tente un ultime tir lointain. Raté. Le rebond est long et c’est… Fred Forte qui s’en saisit. Il est tout seul. Il peut filer vers le cercle opposé et laisser éclater sa joie, tout comme le reste de son équipe, car le gong retentit. Le match est fini, le CSP Limoges vient de donner au basket français son premier titre dans cette compétition majeure sur la scène continentale. Un exploit dingue, symbolisé par cette interception de Frédéric Forte dans les mains de la légende croate Toni Kukoc.
On ne peut pas résumer les 19 ans de carrière de ce meneur – sélectionné en bleu à 75 reprises – à cette interception mais ce soir-là, de sa main gauche de pick-pocket, Frédéric Forte a offert un titre de champion d’Europe à son club de cœur mais aussi à une ville, à un pays… Le genre d’action qu’on n’oublie pas. Jamais.
Cette folle épopée en vidéo…