La merveilleuse lettre de Frank Ntilikina, en hommage à Michael Jordan : traduction complète !

Le 29 sept. 2017 à 20:18 par Bastien Fontanieu

Frank Ntilikina
Source image : YouTube

Dans une longue et belle lettre publiée cette semaine sur The Players’ Tribune, Frank Ntilikina s’est ouvert sur de nombreux sujets, tous plus touchants les uns que les autres : la famille, le Rwanda, son enfance, et Michael Jordan.

Une rencontre exceptionnelle, racontée avec ce culot qui caractérise déjà le nouveau meneur des Knicks ? Bienvenue dans le monde de Frank, un garçon élevé par une mère déterminée et deux frères du même genre, balançant entre leçons de vie et exemplarité au boulot. Il est souvent difficile d’avoir accès au parcours traversé par les plus grands athlètes, afin de comprendre comment ont-ils fait pour en arriver là. Ntilikina a préféré s’ouvrir avant même d’avoir joué la moindre minute en NBA. Une honnêteté et une transparence mélangée à de la fougue et un poil de naïveté, le tout enrobé de douceur et d’affection. Y’a pas à dire, ce gamin a tout bon.

Michael Jordan m’a dit la chose la plus incroyable que j’ai pu entendre.

Je ne pensais même pas que j’allais le rencontrer. Je n’étais personne. Enfin, pas personne. Comment dire, j’étais… juste un mec normal. Âgé de seize ans. Un basketteur maigrichon à Strasbourg, en France. J’étais invité à jouer au Jordan Brand Classic.

C’était ma première fois aux Etats-Unis, et l’idée que je me faisais de New York City venait du hip-hop et de la série Friends. Mes frères regardaient ça tout le temps. Joey, Monica, Chandler. J’ai toujours aimé cette idée de l’Amérique.

Je me rappelle que nous avons atterri à JFK et nous traversions Manhattan en voiture, et ça paraîtra peut-être idiot pour certains, mais je trouvais ça tellement cool de voir tous ces taxis jaunes sur la route. Nos taxis ne sont pas jaunes en France. Les taxis jaunes avec de grosses lettres noires, c’est ça l’Amérique, pour moi. Puis j’ai vu les gratte-ciel au loin et je me suis dit, “wow, j’y suis vraiment là. Je touche mon rêve du bout des doigts”.

Je savais que l’événement s’appelait le Jordan Brand Classic, mais dans ma tête, jamais je ne pensais qu’on allait voir Michael Jordan. C’est comme aller à l’église et dire que vous allez voir Dieu, vous voyez ? C’est Jordan.

Donc on arrive dans la salle à Brooklyn, avec quelques joueurs présents. On traîne un peu, puis quelqu’un nous emmène dans une petite pièce. On attend peut-être 5 minutes, et personne ne sait vraiment ce qu’il se passe. Peut-être que la presse veut nous parler ou un truc du genre ? On attend, on attend…

Et Michael Jordan rentre dans la pièce.

Le GOAT.

Il est là.

Je me dis…

Est-ce qu’on peut dire des gros mots dans Player’s Tribune ?

En fait, je me dis ,”Oh putain, MJ”.

C’est marrant mais ma première réaction était “Wow, il a changé”.

Je ne le voyais pas comme un mec un peu plus âgé, vous voyez ? Je le connaissais plus jeune via YouTube. Du coup il commence à parler aux joueurs en disant “Bienvenue à New York”, tout ça. Et ensuite il fait le tour de la pièce, il serre quelques mains. Et je me dis, “Ok, tu dois lui poser une question, c’est ta seule chance”.

Mais je suis tellement timide. Non, plus que ça en fait. Comment dit-on en anglais ? Pétrifié. Je tremblais, et j’avais une petite voix.

Alors je lui dis, “Salut Michael, si je peux te demander quelque chose, quelle est la clé de tout ton succès ?”

MJ me regarde, il prend une seconde.

J’étais persuadé qu’il allait me dire ce que tout le monde me dit quand je pose la question. Ils parlent tous de travailler dur. C’est MJ. Il va me dire de travailler plus dur que n’importe qui, à 100%.

Mais il ne dit pas ça. Il dit quelque chose de très surprenant. J’y ai pensé toute la journée, toute la semaine, j’y pense encore aujourd’hui.

Vous savez ce qu’il m’a dit ?

Il faudra attendre pour le savoir !

Si je le dis maintenant, vous allez fermer cette page, retourner sur Instagram ou je ne sais quoi. Je sais comment ça se passe, je ferais pareil. Mais vous devez d’abord entendre d’autres choses en premier, pour comprendre en quoi la réponse de MJ était si incroyable pour moi. Cela n’aura pas de sens si je ne vous parle pas du Rwanda, de NBA 2K, et d’autres choses.

La NBA était mon rêve. Depuis toujours. Mon rêve. Ma famille est arrivée en Europe en provenance du Rwanda pendant la guerre. Ma mère s’est échappée avec mes deux grands frères, Brice et Yves, avant même que je ne sois né. Ils sont d’abord allés en Belgique,j’y suis né puis nous sommes allés en France quand j’étais petit. Pendant longtemps, je ne savais rien de ce que ma famille avait subi pendant la guerre. Dans ma tête, j’étais juste un petit Français. J’aimais jouer aux jeux vidéo et j’adorais le basket. Mes frères m’emmenaient au terrain pour jouer en 1 contre 1, et ils me mettaient des branlées. Puis on rentrait à la maison pour jouer à NBA 2K. Mais au moins, aux jeux vidéo, parfois c’est moi qui leur donnait des branlées.

On se trashtalkait tout le temps. J’aimais trop le basket. Je ne sais pas pourquoi, j’aimais juste ça. Je voulais toujours rester debout pour voir les matchs NBA à la télé avec mes frères, mais ma mère me disait non. C’était une infirmière, et elle bossait comme une dingue. Elle avait deux endroits différents où elle travaillait, alors quand elle rentrait à la maison elle cuisinait puis elle allait se coucher. Et quand elle dormait, fallait pas déconner avec ça. Je me rappelle des Finales NBA 2007, j’avais 8 ans et je voulais tellement les regarder. C’était les premières finales de LeBron, contre Tony Parker et les Spurs. Je devais les regarder. J’ai supplié ma mère. Elle m’a dit non.

Je suis allé me coucher, mais je savais que mes frères regardaient le match dans le salon, alors je n’arrivais pas à m’endormir. Je n’arrêtais pas de sortir de ma chambre tout triste, en les suppliant. “Non, va te coucher !”, me disaient-ils. Je les suppliais, et suppliais encore… A force, je les avais tellement gonflés qu’ils ont dit “Ok, tu peux regarder, mais tais-toi ! Ne fais pas de bruit !”.

On ne pouvait pas réveiller maman. Alors on regardait tout le match avec le volume au plus bas, sans faire de bruit. Tim Duncan sortait une action de fou et on réagissait comme des dingues… mais en silence. Vous savez, en agitant nos bras, en s’attrapant les uns les autres, en mode, “T’AS VU CE MOVE ??”, mais en chuchotant.

C’est un beau souvenir pour moi. Même à 8 ans, je savais que je voulais un jour jouer en NBA. Mes frères me soutenaient vraiment dans ce rêve, et même d’une manière assez marrante si vous ne les connaissez pas. Du genre, quand on allait au terrain, quand je dis qu’ils me mettaient fessées, ils me mettaient des fessées, mais vraiment ! Sans pitié. En faisant des grands contres dans les airs, comme Dwight Howard. Ils me disaient, “ok, si tu veux y arriver, tu dois travailler sur ça, tu dois jouer de telle manière, tu dois bosser ce move, tu dois être costaud…”

C’étaient mes frères. Je les trouvais tellement cool. Mais je n’avais aucune idée à quel point ils travaillaient dur. Un jour, je n’oublierai jamais, je voulais jouer à 2K. Je suis allé dans la chambre de Brice, et sa porte était fermée. Je l’ouvre, et je lui dis “Allez, viens on joue.”

Il me répond “non, je peux pas, je fais mes devoirs”.

Triste, je vais dans la chambre de mon autre frère, et il dit la même chose.

Et je me dis, “mais c’est quoi ce délire ? Ils sont ouf, c’est l’heure de jouer à 2K !”.

J’étais seul ! Alors je suis parti jouer au terrain. Je suis revenu quelques heures après, et leurs portes étaient toujours fermées. J’ouvre la porte de la chambre de Yves.

Il me dit, “je bosse toujours”.

Je dis “comment ça ? Pourquoi tu bosses si dur ?”.

Il répond “pour l’école de médecine”.

Et je me dis “médecine ? Mon frère ?”

Ils restaient dans leurs chambres toute la soirée, ils ne sortaient que pour manger. Et je me rappelle manger avec eux et ma mère, et tout le monde était très fatigué. Et je me suis dit “Ok, j’ai compris, c’est comme ça que tu dois bosser”.

Ce que je ne comprenais pas, c’était d’où cette mentalité venait. Je savais qu’ils venaient du Rwanda et qu’ils voulaient une vie meilleure, mais à chaque fois que j’en parlais à mes frères, ils me disaient “il vaut mieux que tu ne saches pas. Oublie”.

Je savais qu’il y avait des livres sur le Rwanda et la guerre sur l’étagère de mon beau-père. Donc un jour, j’y suis allé et j’ai ouvert ce grand livre. Je ne comprenais pas tout, mais j’ai vu toutes ces photos de la guerre…

Des cadavres partout au sol. Et pas des soldats. Des femmes, des enfants.

Et c’est tout ce qu’il me fallait pour comprendre. J’ai refermé le livre et je l’ai remis à sa place.

Et je me suis juste dit, “oh mon Dieu, ma mère et mes frères étaient là ? Ils ont vraiment vécu ça ?”

Je n’ai rien dit à personne concernant le livre. J’ai fait comme si je ne l’avais jamais ouvert. Mais quand j’ai vu cette photo, c’est là que j’ai vraiment commencé à comprendre pourquoi tout le monde dans ma famille travaillait si dur. J’ai essayé de faire la même chose, mais avec le basket. Quand j’ai eu 12 ans, je suis allé dans une école qui se spécialisait dans le basket, et ils ont commencé à me parler d’équipes professionnelles en France, et de ce qu’il fallait faire pour arriver à ce niveau là.

Donc je me suis dit, “ok, c’est la première étape”.

Quand j’ai eu 15 ans, j’ai signé avec la SIG Strabsourg, et ai commencé à jouer pour l’équipe professionnelle très vite après ça. Puis à 16-17 ans, j’ai pu jouer à l’étranger dans le tournoi FIBA U18 et le Jordan Classic, et même à Toronto pour le camp Basketball Without Borders. Je gagnais bien ma vie – rien de bien fou, mais assez pour ne pas m’inquiéter. Alors j’ai dit à ma mère de ralentir la cadence. Je lui ai dit, “tu dois arrêter avec ces deux jobs. Tu dois te relaxer un peu”.

Et je n’oublierai jamais ce qu’elle m’a dit.

Elle m’a dit, “je m’arrêterai quand tous mes enfants auront atteint leur rêve”.

J’ai répondu, “Maman, Yves est chirurgien, Brice est kiné, je suis un joueur pro. On a réussi”.

Et elle m’a dit, “ce n’est pas ton rêve. Ton rêve est de jouer en NBA. Je lèverai le pied quand tu auras atteint ce rêve”.

Donc maintenant, on arrive à mon moment préféré de l’histoire. Pas MJ. Pas encore.

On arrive à la Draft 2017 à Brooklyn. C’était fou parce que la nuit d’avant, mon équipe jouait le match 4 des finales de Pro A ! Je ne voulais  pas les laisser tomber, mais je ne voulais pas non plus manquer le meilleur moment de ma vie. Donc j’ai sauté dans un avion avec ma famille juste après le match et nous sommes allés de Paris à New York. C’était la même chose que trois ans auparavant. Atterrissage à JFK. On voit les taxis jaunes. Les buildings… Mais maintenant je vais être drafté en NBA. C’était fou.

Je n’avais aucune idée d’où j’allais jouer. J’avais vu sur Twitter que les Knicks étaient intéressés par mon dossier, mais je savais qu’ils me suivaient moi et d’autres joueurs qu’ils appréciaient. Et je ne voulais pas me monter de scénario en tête, vous voyez ? Je ne voulais pas être déçu. Alors quand on est arrivés dans la greenroom, j’ai dit à mon agent, “quoiqu’il arrive, ne me dis rien ! Je sais qu’il y a ce type qui va balancer l’info en premier sur Twitter, et je ne veux pas gâcher le moment. Laisse-moi juste l’entendre de la bouche d’Adam Silver,.

Mon agent est du genre, “Allez…”

Et je dis “Non ! Sérieusement, ne me dis rien”.

La Draft commence, et Adam Silver arrive au podium. C’était… Comment décrire ce feeling ?

C’était… comme quand j’avais 13 ans, que je regardais la Draft 2012 à la télé, et quand Anthony Davis avait été sélectionné, j’avais pris une photo et l’avait mis sur mon Instagram en disant, “l’endroit où les rêves se réalisent”.

Et maintenant j’y suis pour de vrai. Mes frères rigolaient, parce que j’étais hyper tendu. J’étais pas serein du tout.

Mon agent avait ce petit carnet. Chaque fois qu’Adam Silver se ramenait au podium pour annoncer un joueur, il obtenait des infos via son téléphone et il rayait un nom de sa liste.

Choix 1. Je le vois rayer un nom. C’est Fultz.

Choix 2, je le vois rayer un nom. C’est Lonzo.

J’essaye de ne pas le regarder, mais je le regarde quand même du coin de l’œil, car je ne peux pas m’en empêcher.

Choix 3. Il raye un nom. Choix 4, 5, 6…

Minnesota était en 7. Ils ont envoyé le pick à Chicago, l’agent raye un nom. Ils choisissent Lauri.

Les Knicks sont les suivants.

Mes yeux sont incontrôlables, j’essaye de ne rien regarder.

Tout d’un coup, je le vois rayer un autre nom… puis fermer son carnet.

Je suis genre “… !!!”

J’avais mon téléphone dans ma poche. Je ne voulais pas le regarder. D’un coup il se met à vibrer dans tous les sens, non-stop.

Je suis genre “… !!!!!!!”.

Je regarde droit devant, et je dis à ma famille “taisez-vous, ne dites rien !”

Adam Silver arrive au podium.

“Avec le 8ème choix de la Draft 2017, les New York Knicks choisissent… FRANK…”

J’ai tenu jusqu’à ce que je sois en coulisses avec ma famille. Puis j’ai pleuré.

On devait rentrer en France le soir-même pour que je puisse jouer la finale, et une fois dans les airs, j’ai dit à ma mère, “ok, tous tes fils ont atteint leur rêve. Tu peux te relaxer”.

Et elle m’a dit, “Ok, maintenant je peux me relaxer”.

Perso, je ne peux pas. Mon rêve ne débute que maintenant. Je vais jouer au basket dans la plus grande ville du monde.

Du coup, je peux maintenant vous dire que ce MJ m’a dit quand j’avais 16 ans.

J’ai dit,”salut Michael, si je peux te demander quelque chose, quelle est la clé de tout ton succès ?”

Il a réfléchi. Puis il a dit, “ce que tu dois faire, c’est aimer le basketball. Tu ne peux pas être un des plus grands si tu n’aimes pas honnêtement le jeu. Une fois que tu aimes le basket plus que quiconque dans le monde, tu seras prêt à faire des sacrifices. Tu seras prêt à te lever tôt. Tu seras prêt à tout faire pour être le meilleur. Mais d’abord, tu dois vraiment aimer ce sport.”

Cela parait simple, mais plus j’y ai pensé, plus ça a pris sens dans ma vie. Beaucoup de gens me demandent, “alors à ton avis, tu vas être bon à quel point ? Quel est ton potentiel ?” Je ne connais pas la réponse. Je ne sais pas ce qui va m’arriver en NBA. Mais ce que je sais, c’est que j’aime ce jeu plus que tout.

Alors voilà, vous savez désormais pourquoi. C’est pour ça que cet homme est une légende. J’ai continué à penser à ce qu’il m’a dit ces trois dernières années.

Merci pour votre conseil, Mr Jordan.

Merci, GOAT”.


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