L’influence de la pilosité faciale, dans la perception des joueurs en NBA ainsi que leur autorité
Le 10 juin 2016 à 16:11 par Bastien Fontanieu
Changement de sujet. Sur un détail qui n’échappe à personne, mais est immédiatement rangé dans la case du futile lorsqu’un joueur est décortiqué. Pourtant, l’image dégagée par chacun reste irrémédiablement figée par la forme de ces visages, et pour une bonne raison.
Nous sommes à Memphis, en 2006. Pau Gasol n’a que 25 ans, n’a pas encore annexé la France, mais un challenge s’impose déjà à lui et le poursuivra pendant longtemps dans sa carrière. Il ne se fait pas respecter par nombreux de ses adversaires, parfois trop physiques avec lui, qui lui font payer son jeu tout en finesse et en technique. Le problème ? Il tente de le chercher, de le définir, de mettre le doigt dessus pour le changer. Est-ce le manque de muscles, le fait qu’il vienne d’Espagne, peut-être les coups de poings sur ses pecs qui ne sont pas assez nombreux. Les saisons s’enchaînent, mais l’étiquette reste collée : Pau is soft AF, c’est relou. Envie d’autorité. Puis lui vient cette idée qui causera quelques disputes avec sa mère, elle qui préfère le look de nice boy, ou guapo comme dirait l’intéressée. Moins pianiste, davantage batteur, le géant va décider de laisser pousser sa barbe et ses cheveux, afin de se donner un nouveau style. Pourquoi pas, autant essayer. Et soudain, le déclic, une sélection au All-Star Game à l’appui. Encore plus de confiance en lui, des cris qui sortent avec régularité, une autorité qui se développe en partant – à la base – d’une idée aussi stupide qu’éloignée de ses performances, l’homme découvre un détail aussi fin qu’un poil de barbe mais qui fait pourtant la différence chez certains, notamment les adversaires ainsi que les fans. ‘La dernière fois que j’avais rasé le tout et coupé mes cheveux, je suis passé par une sale série de rencontres, donc je me suis regardé dans le miroir et me suis dit allez, on va retrouver le mode un peu sale’. Un peu sale, un peu vilain, un peu Néandertal, voilà le résultat final de cette réflexion qui aura rongé Gasol pendant un certain temps et l’a aidé dans son image comme son palmarès.
Le cas de Gasol n’est pas isolé, on l’a vu, le voit et le verra pendant encore longtemps. Et quelque part, cette réflexion vaut aussi pour nous, confortablement assis devant le spectacle quotidien que représente la NBA. Rasoir au premier abord, la question peut tout de même être posée : et si nous étiquetions les joueurs, à la fois consciemment comme inconsciemment, en fonction – notamment – des pilosités faciales et leur autorité dégagée ? Simple connerie d’un jour ou mécanisme ancré dont on ne peut se détacher ? De nombreux exemples nous ramènent à ce sujet et méritent qu’on y passe quelques minutes, le temps d’un coup de peigne comme dirait l’autre. Prenons des cas actuels connus, jouant le même poste, mais dont les styles sont différents. Jouons le jeu, sans forcément tomber dans le stéréotype machiste d’entrée. Des joueurs comme Al Horford, Dwight Howard et Chris Bosh par exemple, souvent labellisés soft à cause de leur jeu. Est-ce vraiment leur jeu uniquement, ou y a-t-il un aspect visuel qui pousse à aller dans ce sens du jugement, à cause de leur discrétion pileuse ? De l’autre côté, Steven Adams et Joakim Noah n’ont pas le même âge ni la même couleur de peau, pour autant leur intimidation est peu négociée, en grande partie grâce à leur carrure et leurs efforts certes, mais aussi… par cette touffe de poils qui dessine leur visage. Et là, on ne parle que des intérieurs. Car si on se retrouve derrière l’arc, toutes les perceptions varient, face à des joueurs qui sont pourtant parmi les plus compétitifs et badass de leur équipe. Devin Booker est extrêmement jeune et a souvent droit à des punchlines sur sa babyface, ne parlons pas de Stephen Curry dont l’image est souvent collée à celle d’enfant doré qui a peur du contact. Cependant, le meneur des Warriors est probablement plus généreux qu’un Russell Westbrook au niveau des dessins moustachus, d’où la seconde question : est-ce le jeu qui fait les traits de l’homme, ou les traits de l’homme qui font son jeu ? Et pour même aller plus loin, peut-on se séparer de ce stéréotype ou doit-on vivre à ses côtés éternellement, jusqu’à en avoir… les cheveux blancs ?
Considéré trop gentil et pas assez vocal, Kevin Durant est passé par la case bouc-garni afin de gagner en confiance, en maturité, en sérénité. Collier intégral pour Anthony Davis, pareil pour LeBron à ses débuts, hésitation pour Andrew Wiggins ? Rudy Gobert qui souhaite asseoir son autorité en déployant la totale, James Harden indétrônable dans sa version longue et charismatique. Justement, parlons de l’arrière un instant. La perception serait-elle la même au sein de la planète basket, s’il gardait son jeu et devenait totalement imberbe, ou bien l’image d’un joueur soft lui collerait immédiatement à la peau, car refusant de défendre et jetant ses bras pour avoir des lancers ? Hmm. Attendez, mieux. L’image qu’on se fait d’un athlète dominant ou respecté doit-il forcément passer par la présence d’une stache minimum ? Birdman dit oui, Laimbeer affirme que non. Les cas varient, les contours aussi. Pour en revenir au premier, celui de Pau Gasol et qui est assez connu dans les coulisses de la NBA, voir des joueurs atteindre les 24-25 ans représente une période qui s’avère souvent forte, à la fois dans l’identité de l’intéressé et l’image qu’on gardera de lui. Mais plus qu’une histoire de mémoire et de sentiments, c’est avant tout dans le niveau de confiance d’un athlète ainsi que le reflet montré par les adversaires que ce détail prend une toute autre importance. Car dans une jungle aussi hostile et musclée qu’est la Ligue, savoir tenir le regard avec l’ennemi n’est pas qu’une question de technique ou de muscle, c’est aussi une question de look. Et pas forcément chez les babtous, comme certains pourraient l’avancer. Cette redéfinition faciale est aussi marquante chez les blancs que chez les renois, chez les grands que chez les petits. Reste à savoir ce qui fait qu’on associe machinalement l’autorité à une barbichette sur le terrain, au-delà des stéréotypes liés au bouc ‘efféminé’ ou au collier ‘intimidant’.
On vous voit rigoler, par peur de vous prendre au jeu. Mais la prochaine fois, entre deux coups de rasoir, posez-vous la question par pure curiosité. L’impression qu’on a d’un adversaire est-elle influencée si ce dernier est rasé comme le jour du mariage de votre soeur, au point de défendre plus durement sur lui, ou bien offrirez-vous le même traitement si ce même joueur possède une barbe de 50 centimètres et des cheveux attachés ? Gasol a fait le test, nous aussi. Autant vous dire que ça décoiffe…
Source image : Montage FanSided – Valleyofthesun