Le chant du Pélican : un hommage à Anthony Davis, le phénix des hôtes de NOLA

Le 19 juin 2015 à 03:28 par Nathan

Anthony Davis

Et si nous prenions un moment, un instant hors du temps, afin de célébrer la présence d’un oiseau rare sous nos yeux. Le grand Davis, salué sous toutes ses plus belles plumes, entre trois envolées et deux migrations.

Anthony Davis, ô grand oiseau migrateur, quand puissamment tu t’élances, cuir à la main, dans toute ton extension, de la vigueur de tes mollets jusqu’à la raideur de tes avant-bras, tu déploies en corolles, comme la fleur dévoile sa senteur, la mystérieuse atmosphère d’un playground, que seul le spectateur averti peut déceler. Et, de même que le soleil transforme la nature insensible de l’épiderme, en la douce et chaude caresse que le printemps nous offre dans des ravissements incomparables, eh bien à chacun de tes appuis, à la place de la vulgaire brillance du parquet trop bien lustré d’une salle NBA, rempli de détails superflus, tous plus faux les uns que les autres, rayonne la rugueuse uniformité du bitume qui t’as vu naître, dont l’illustre simplicité sera toujours plus vraie que la vaine décoration qu’on veut lui imposer. Je te salue, grand Pélican !

Anthony, il ne serait pas vain de faire ici l’apologie des quelques centimètres carrés, dont ton humble serviteur – suivant en cela la marche toujours trompeuse de l’opinion – s’est lui-même allègrement moqué, mais auxquels chaque ligne qu’il écrit présentement aurait pu être dédiée si l’hommage n’eut pas été indigne de leur synecdotique beauté. Pardonne mon audace, Pélican ; mais n’aies pas peur du néologisme que je viens d’écrire. La synecdoque est la figure de style qui consiste à parler de la partie pour signifier le tout. Aussi ta pilosité préfrontale est-elle, de ce point de vue, dotée d’une telle réalité qu’elle aspire ton être tout entier. Je te salue, grand Pélican !

Car, en effet, comme on peut reconnaître un voilier à sa voile, on peut reconnaître un joueur à sa pilosité ; et, à côté d’un autre illustre compagnon de poil – James Harden, dont la barbe reconduit, à son échelle, l’alliage fait de puissance et de finition que son porteur exprime par son jeu – tu te tiens là, fier de ton sourcil, prêt à abattre une piètre armée de stylistes, lesquels ne peuvent bien évidemment pas comprendre ce dont nous sommes en train de parler. Je te salue, grand Pélican !

Quand le simple mortel, affublé de son sourcil normalement scindé, considère la forme de tes épaules, et qu’il la compare à celle de ton mono-sourcil, il s’agenouille devant toi, animal majestueux. La nature semble t’avoir pris comme idéal type pour dévoiler son ingénieuse beauté, comme la symétrie parfaite du papillon est redoublée et sublimée par celle, non moins parfaite, des motifs colorés dont ses ailes sont décorées. Ainsi ton sourcil reproduit-il, dans un mouvement de synthèse aussi mystérieux que minimal, la forme entière de ton corps : la molle pente qu’il tresse sur les côtés correspond à la lourde pesanteur de tes bras ; ton coup puissant, qui concilie en une unité irréductible l’intellect et le corps, à l’endroit où la scission des sourcils disparaît ; enfin tes larges épaules, que tu utilises si bien, à la courbe fantastique qui fait tout le sel de ton faciès. Je te salue, grand Pélican !

D’ailleurs il me souvient d’un moment, où ceux qui, ce soir-là, avaient la chance de te voir jouer, ont eu le même sentiment qu’à eu Malebranche lisant Descartes : l’impression paradoxale de ne pas tout comprendre, mais d’assister à un moment décisif dans le progrès de sa discipline. C’était au premier tour des PlayOffs, contre Golden-State ; certes, ton équipe ne faisait pas le poids, mais tous –adversaires compris – savaient que ton sourcil et toi-même se prélassaient au-dessus de la vulgaire mêlée. Les défenseurs se relayaient ; mais toi, dans ta solitude magistrale, tu dévoilais tes moves incomparables, avec le sentiment calme de ta puissance aérienne. Le ballon n’était plus un ballon : il était une partie de toi-même que ta gracieuse agilité affublait, par transitivité, d’une aura inconcevable pour le commun des mortels. Je te salue, grand Pélican !

Que t’arriveras-t-il, par la suite, ô Pélican ? C’est sans doute absurde, mais j’ai peur. Trouveras-tu, parmi la trentaine de maisons disponibles, chaussure à ton pied, dans le cas probable où le sol boueux de la Nouvelle-Orléans t’empêche, ô Pélican, de dévoiler l’étendue de ton plumage ? D’aucun aurait dit : de ton ramage, mais n’en déplaise au moraliste, tu es plus agréable à regarder qu’à écouter – et c’est tant mieux comme ça. Parmi la multitude des attributs grandioses dont le souverain pouvoir t’as affublé, as-tu celui qu’on prend (à tort) pour un mal, et qui consiste en la mauvaise fortune, alors qu’il est l’expression même de la miséricorde ? Autrement dit, pour arrêter un instant de parler en énigme, trouveras-tu ta voie vers un titre, ou jetteras-tu ton nom dans la fosse commune des grands-sans-titres ? Dieu seul le sait. Mais connaissant ta puissance et la grâce que la nature a bien voulu te donner en partage, je suis assuré qu’en ta présence, personne (je dis bien : personne) ne pourra se tenir sans risque sur ton chemin – personne, fut-il le Créateur lui-même !

Et moi, pour l’instant : je te salue, ô Pélican !

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