L’Italien qui ne voulait pas fausser le jeu : qui était Daniel Biasone ?
Le 05 févr. 2015 à 16:32 par AlexB
Non, Daniel Biasone n’est pas le nouveau sélectionneur de l’équipe nationale d’Italie, ni un personnage des Sopranos, mais nous lui devons la NBA telle que nous la connaissons.
Dans les années 1950, Daniel Biasone, un immigré italien qui a bâti son patrimoine en gérant une salle de bowling, était le propriétaire des Syracuse Nationals. Là n’est pas son plus grand accomplissement, puisque ce cher Danny est le père de l’horloge des 24 secondes. Rappel historique : fin de saison 1954, la NBA est au plus bas, et son avenir est sévèrement compromis. A cette époque, le spectacle offert est pitoyable. Et pour cause, pas de règle spécifique sur les fautes intentionnelles et donc, pas de temps limite pour shooter. Une rencontre NBA se résumait donc à ça : un joueur qui plante sa tente sous le panier et attrape une passes lobée, se prend un coup dans les côtelettes par son défenseur et se retrouve sur la ligne des lancers-francs. Si son équipe mène en fin de match, elle file la balle au meneur qui dribble jusqu’à ce que l’équipe adverse fasse faute sur lui et l’envoie sur la ligne. Au final, un match NBA n’était donc qu’une bataille de gnons résolue sur la ligne des lancers, d’où le désamour des fans qui signifiaient leur mécontentement en jetant toutes sortes d’objet sur le parquet. Quelques chiffres pour illustrer : une moyenne de 79,5 points par match, le légendaire 19-18 entre Fort Wayne et Minneapolis, une moyenne de 80 lancers-francs pendant les PlayOffs de 1953 et des Finales 1954 soporifiques (79-68, 62-60, 81-67, 80-69, 84-73, 65-63 et 87-80).
Le point de non-retour est atteint lors d’un match de PlayOffs entre Rochester et Indiana qui se termine en 5 prolongations, où durant chaque overtime, l’équipe qui avait le ballon la première le gardait tout au long de la période pour tenter le tir de la gagne. Tout ça ne pouvait plus durer, et c’est là que Biasone intervient avec une idée de génie, instaurer un temps limite pour tirer. Mais pourquoi 24 secondes ? Biasone s’est souvenu des rencontres qu’il avait aimé à regarder et s’aperçoit que chacune des équipes avaient tiré 60 fois environ, ce qui nous fait donc 120 tirs par match. Ce nombre devient donc le minimum pour qu’une rencontre soit considérée comme acceptable. Dans un rencontre de 48 minutes, si chaque équipe tire toutes les 24 secondes, on arrive à un total de…bingo, 120 tirs ! Cette idée, Biasone l’a lancée en 1951 et a dû attendre que les autres propriétaires décident d’expérimenter le procédé en août 1954 au cours d’un match amical. La saison suivante, l’horloge des 24 secondes est adoptée. En guise de remerciement, son équipe remporte le championnat de 1955. L’introduction d’une limite de 6 fautes d’équipes par quart-temps permet également au jeu de se développer plus vite. En 1958, la moyenne de points marqués passe à 100 points par match, et le public de l’époque peut assister à un match Boston-Minnesota qui se solde par un autre record : victoire de Boston 173-139 (31 points et 29 passes pour Bob Cousy). La NBA décide de décorer Danny Biasone en 2000…8 ans après sa mort. Mieux vaut tard que jamais.
Maintenant ancrée dans les mœurs, l’horloge des 24 secondes n’est pas seulement une simple règle ou un moyen de rendre le spectacle attractif, elle est également utilisée à des fins stratégiques, avec certaines équipes qui vont décider de manger le chrono et shooter au dernier moment, ou alors dégainer rapidement, par exemple lors du début de la rencontre opposant Golden State à Atlanta le 18 mars dernier, on a pu voir pas moins de 3 tirs derrière l’arc en 6 secondes seulement. D’un point de vue statistique, cet usage de l’horloge couplé au nombre de possessions par équipes permet ainsi de juger une équipe en fonction de sa vraie vitesse de jeu, certaines équipes peuvent donc être surestimées par rapport à son nombre de possessions en comparaison à leur fréquence de tirs, ou tout le contraire. Et il n’y a pas qu’en attaque où l’horloge des 24 secondes est utilisée au bénéfice d’une équipe, puisqu’elle peut être qualifiée de «sixième défenseur» : le pourcentage de tirs pris s’élève à 56,8% quand il reste plus de 16 secondes, et descend à 40,6% quand une équipe n’a plus que 4 secondes à tirer ou moins (nyloncalculus.com), Chicago se distingue dans ce domaine en n’autorisant que 33,9% de tirs quand le temps presse. En résumé, plus l’horloge avance et plus une défense peut contester un shoot efficacement, car mieux placée et consciente du nombre de possibilités qui se réduisent pour l’équipe à l’attaque, contrairement aux shoots rapides où la défense est en train de se placer ou de se replier en situation de contre-attaque ou sur un rebond offensif. Les Splash Brothers de Golden State approuveront sans doute.
Voila comment une idée qui paraît aujourd’hui couler de source, a permis à Danny Biasone en plus d’offrir aux stratèges un éventail de possibilités, tout particulièrement en cette époque de statistiques efficaces et aussi de porter le titre honorifique de l’« homme qui a sauvé la NBA ». Prends ça, David Stern.
Source : The Book of Basketball de Bill Simmons
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