Balle orange, superstition et théorie de la main chaude
Le 13 mars 2014 à 17:37 par Alexandre Martin
En NBA, comme dans beaucoup d’autres sports, les athlètes, les coachs voire les dirigeants font preuve de superstition, s’appuient sur des éléments irrationnels ou sur des croyances établies pour faire des choix. Nous parlons ici d’impact purement psychologique, des facteurs qui finissent par avoir une influence directe ou indirecte sur le jeu, sur les résultats d’une équipe ou les performances d’un joueur comme la fameuse “main chaude”, ce mythe en libre circulation dans le monde du sport.
Qu’on le veuille ou non, le sport, les superstitions, les croyances ou autres théories plus ou moins fumeuses font très bon ménage. L’être humain est ainsi fait, il a besoin de se conforter psychologiquement, d’avoir des principes, d’être un peu (voire beaucoup) fétichiste. Les sportifs et notamment les basketteurs n’échappent pas à cette règle. Le numéro de maillot en est un bel exemple commun à tous les joueurs NBA. Il est très difficile, voire impossible, de faire changer de numéro à un joueur. Et pourtant, quelle influence a ce numéro sur le jeu d’un basketteur ? Concrètement : aucune ! Dwight Howard shooterait-il mieux les lancers-francs s’il portait le numéro 24 comme Moses Malone de son temps au Rockets ? Aurait-il plus de move au poste bas s’il portait le numéro 34 d’Hakeem The Dream ? De toutes façons, ces numéros ont été retirés à Houston donc la question ne se pose pas…
Vous tenez à votre numéro de maillot ? Evitez Boston !
Josh Smith rentrerait-il plus de 3 points s’il portait le 34 de Ray Allen ? Pas sûr… Un joueur tel que Dwyane Wade serait-il moins performant (sur l’ensemble de sa carrière) avec un autre numéro dans le dos que son fameux n°3 fétiche ? La réponse est clairement non ! C’est une évidence aussi bien scientifique que statistique car les basketteurs ont beau être accrochés à leurs numéros de maillots, il leur arrive régulièrement de devoir en changer notamment quand ils se font transbahuter d’une franchise à l’autre. Et, force est de constater que cela n’affecte pas leurs performances. Heureusement, car imaginez un instant le joueur qui arrive à Boston… Les dirigeants lui disent : “Alors mon garçon, ici, tu ne peux pas porter les numéros : 00, 1, 2, 3, 6, 10, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 21, 22, 23, 24, 25, 31, 32, 33 et 35…” Il est clair qu’il vaut mieux débarquer chez les Bobcats où aucun maillot n’a encore été retiré même si celui de Big Al pourrait l’être si ça continue !
L’immense Shaquille O’Neal a dû laisser de côté son numéro 32 quand il est passé d’Orlando à la Cité des Anges pour adopter le n°34 (Magic Johnson oblige). Pensez-vous sincèrement que le Shaq des Lakers fut moins dominant que celui du Magic ? Lebron James a du renoncer à son n°23 en arrivant à Miami (Michael Jordan oblige). On ne peut pas dire – 2 bagues et 2 MVP des Finales plus tard – que ce fut un gros problème pour le King. Vous l’aurez compris, les exemples sont légion et la conclusion est toujours la même : le numéro qui est sur le maillot n’influe en rien sur le joueur qui est dans ce même maillot. Pourtant, les basketteurs (et la plupart des autres sportifs) y attachent une importance parfois démesurée pour des raisons qui dépassent largement le cadre du sport. Cela leur permet de se raccrocher à des croyances, de se sentir dans la peau de leurs idoles. Toute raison est bonne pour choisir son numéro de maillot mais un joueur sans talent ou sans qualités athlétiques le restera. Vous pouvez toujours essayer de lui donner le n°23…
En plus de leur numéro fétiche, la plupart des joueurs ont pris l’habitude de porter des “décorations” ou des soit-disant “protections” comme les manchettes, les cuissardes, les genouillères ou les bandeaux qui sont devenus plus que de simples effets de style mais carrément des rituels. “Aller, j’enfile la chaussette gauche puis la droite puis mes genouillères, ensuite mon jersey, une manchette sur le bras gauche, le petit bracelet au poignet, etc…” Oui, oui, un véritable rituel ! Les joueurs peuvent parfois pousser ce fétichisme, ces habitudes ou ces superstitions – appelez ça comme vous le voulez – au point d’associer certaines performances à la présence ou à l’absence d’un de ces artifices. Bien aidés souvent d’ailleurs par les observateurs qui adorent monter en épingle et en faire des tonnes sur ce genre d’anecdotes.
Comme pour l’inoubliable match dit “du bandeau”, le game 6 des dernières finales NBA pendant lequel Lebron James a joué la fin de rencontre sans son habituel bandeau sur la tête. Le King avait évolué à un superbe niveau pendant ces minutes et on s’était même demandé si ce n’était pas un signe pour l’enfant d’Akron, un signe qu’il ferait mieux de jouer sans bandeau. Mais il l’a finalement gardé. Certainement après s’être regardé dans un miroir et avoir constaté que ce fameux “headband” cachait remarquablement bien sa calvitie précoce. Oui, je sais… Se moquer du physique, c’est bas…
Plus sérieusement, avec ou sans bandeau, le King reste le King et, après tout, ces habitudes à la limite du fétichisme font partie du folklore de la NBA. Ainsi soit-il !
La fameuse “main chaude”
Tous ces artifices, ces numéros peuvent influencer le jeu de certains joueurs et donc indirectement de leurs équipes mais avec de faibles répercussions tout de même. L’irrationalité, elle aussi, a ses limites… Sauf quand il s’agit de la sacro-sainte “main chaude”, celle qui permet de rentrer tous les tirs, de changer le cours d’un match, de faire un exploit ou de battre un record ! Oui, “être dans la zone”, “avoir la main chaude”, “être en feu”, sont des expressions très souvent utilisées sur les bords d’un parquet ou par les commentateurs d’un match NBA. Mais sur quoi repose cette notion de “main chaude” ? C’est simple, d’après les scientifiques et les statisticiens : sur rien de rationnel ! En tous cas, c’est ce que rapporte le très instructif Discover Magazine.
Et oui, la science dit clairement NON à ce concept de “shoot en série”, de “main chaude”. Yigal Attali – un scientifique qui fait des recherches pour le “Service des Tests Éducatifs” (Educational Testing Service) – l’explique d’ailleurs parfaitement dans un ouvrage intitulé “Perceived hotness affects behaviour of basketball players and coaches”, titre qu’on peut traduire par “le sentiment perçu de main chaude affecte le comportement des joueurs et des coachs”. Dans cet ouvrage, si Attali explique clairement qu’en décortiquant les statistiques sur un saison NBA entière action par action, – en y incluant les shoots et la distance de laquelle ils sont pris mais aussi les passes décisives, les lancers-francs, les rebonds, les fautes, les temps-morts, les remplacements, les contres, les pertes de balles et les interceptions (Oui, oui, c’est un travail de damné !!) – on se rend compte que cette croyance dans le fait “d’être chaud” influence grandement “la façon dont un match est joué, la façon dont le prochain tir est pris ou comment un joueur est placé…” C’est incontestable, si un joueur rentre plusieurs tirs d’affilée, cela a des conséquences sur la suite du match.
Cette saison, par exemple, nous avons eu droit à quelques énormes performances offensives. Carmelo Anthony a envoyé 62 points à 66% au tir le 24 janvier dernier juste après que Kevin Durant ait envoyé 54 points à 57% au tir le 17 janvier. Lebron James y est allé de 61 points à 67% au tir tout récemment. Si on revient un peu en arrière encore, on arrive au 22 janvier 2006, soir où Kobe planta 81 points à 28/46 au tir ! Des performances tout simplement extraordinaires dans l’ère du basket moderne (surtout celle du Black Mamba bien évidemment). Et, à chaque fois, les médias se sont – bien normalement d’ailleurs – délectés de ces performances fabuleuses et, à peu près partout, nous avons pu entendre parler de “main chaude”, de joueurs “dans la zone”…
Alors ? Quand un joueur rentre un ou plusieurs tirs d’affilée, faut-il absolument le laisser sur le terrain ? A-t-il plus de chances de rentrer le suivant ? Sur ce point, Wray Herbert, du très sérieux blog Full Frontal Psychology, se montre très clair dans sa réponse :
“Les scientifiques professionnels de la psychologie savent depuis des années que les séries pendant lesquelles un joueur est “chaud” et autres sortes de “momentum” sportif ne sont que des illusions. Des analyses statistiques précises ont prouvé de manière convaincante que le fait de rentrer un shoot – ou 5 ou 10 – n’augmente absolument pas la probabilité de rentrer le suivant.”
C’est même souvent le phénomène inverse finalement, comme l’explique très bien Yigal Attali en conclusion de ses recherches :
“Bien que la “main chaude” en basket soit illusoire, les croyances en cette théorie sont tellement solides que ça ne fait pas que nourrir de nombreux débats, cela affecte également le comportement des joueurs et de leurs coachs. Sur la base des données d’une saison entière en NBA, les recherches reportées ici montrent qu’un seul tir réussi par un joueur suffit à accroître les probabilités que ce même joueur prenne le tir suivant. Cela suffit pour accroître la distance moyenne depuis laquelle le prochain tir est pris, pour faire baisser la probabilité que ce prochain tir rentre et pour faire baisser la probabilité que le coach ne remplace ce joueur.”
En même temps, il est clair que – mis à part peut-être Gregg Popovich – n’importe quel coach va avoir tendance à laisser sur le parquet un joueur qui vient de rentrer 2 ou 3 tirs consécutifs. Ceci veut donc bien dire que notre puissante croyance dans cette notion de “main chaude”, même si c’est faux ou irrationnel, affecte inévitablement les matchs et pas forcément dans le sens que nous pensons. Le joueur concerné joue différemment, ses partenaires et ses adversaires également. Le coach pense la suite du match différemment, le coach adverse également… Donc, assez paradoxalement, le fait de croire avoir un joueur “en feu” peut également très vite poser des problèmes à une équipe si elle se laisse trop porter par cette notion de main chaude car les autres joueurs vont avoir tendance à vouloir servir ce coéquipier “en feu” qui va lui-même prendre des tirs de trop plus loin. La défense se resserre souvent sur le joueur à la “main chaude” qui a, du coup tendance a quand même shooter et donc souvent, à rater… Bref, en général, beaucoup de facteurs peuvent retourner une série de tirs rentrés contre l’équipe qui vient d’en profiter ! Et ça, c’est rationnel ! Croire que le prochain tir à 3 points de Josh Smith va rentrer parce qu’il vient d’en mettre deux, l’est beaucoup moins !
Au final, si un joueur enfile les 3 points comme des perles pendant un quart-temps, une mi-temps voire même un mach entier, inutile de croire que c’est une histoire de main chaude, de série ou de zone. La science et les stats sont formelles, ces théories ne tiennent pas la route ! Un joueur fournit une telle performance tout simplement parce qu’il réunit au même moment plusieurs facteurs clés de la réussite en basket : grande confiance, grande concentration sur chaque tir, que des bons choix de tir et une grande forme physique. Ces performances hallucinantes des scoreurs, ces performances dont on parle encore des années après, sont des exploits dus à une confluence de facteurs sur une période temps donné. Sinon franchement, si ce n’était qu’une question de “main chaude”, c’est à dire de mettre en route la machine, Kevin Durant ne planterait pas 32 points de moyenne par match mais 45…
Il n’en reste pas moins que nous continuerons tous à parler de joueur “en feu” ou “on fire”, de shooteur de série, que nous continuerons de nous extasier devant les exploits d’un Lebron, d’un Melo ou d’un KD. Nous continuerons de nous dire : “T’as vu, il avait la patte chaude hier le Melo ?” Il faut continuer, ça fait partie de la NBA tout ça et le monde du sport ne peut pas être basé que sur des principes et des faits réalistes sinon ce serait moins passionnant. Continuons donc mais n’oublions pas qu’un exploit de joueur en feu est toujours le fruit d’un gros boulot associé à un gros talent et une grande confiance. Si la NBA adore les mythes, la superstition et les croyances, elle ne permet aucun miracle…