Flashback : le jour où les Suns ont manqué Kareem Abdul-Jabbar… pour un pile ou face

Le 19 mars 2024 à 16:22 par Julien Vion

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Un coup de téléphone, une pièce de monnaie qui vole dans les airs et tout le destin d’une franchise qui bascule. Le 19 mars 1969, cet enchaînement scelle la gloire des Bucks au grand dam des dirigeants de Phœnix. Un demi-dollar pour acquérir le futur Adbul-Jabbar, c’est l’histoire du jour chez Trashtalk. 

Avant la saison 1968-69, la NBA connait des petits bouleversements. Bill Russell entre dans son ultime saison tandis que Wilt Chamberlain est aussi au crépuscule de sa carrière. L’heure est à la fin d’une époque. Pendant l’intersaison, deux nouvelles franchises voient le jour et intègrent la ligue : les Phœnix Suns dans l’Arizona et les Milwaukee Bucks dans le Wisconsin.

Pour constituer leurs effectifs, les dirigeants des deux équipes sélectionnent via une expension draft. En clair, chacune des douze franchises originelles protège sept joueurs qu’elle souhaite conserver, les nouveaux venus se relaient ensuite pour choisir parmi les athlètes non protégés.

Evidemment, ces équipes sont beaucoup plus faibles que les autres, et Bucks comme Suns terminent bon derniers de leurs divisions respectives. Un bilan de 27 victoires et 55 défaites pour les premiers, et seulement 16 petits succès pour 66 revers pour les seconds. Prochaine échéance déterminante : la Draft du 7 avril 1969.

A l’époque, il n’y a pas encore de loterie. Les franchises avec le moins bon bilan choisissent en premier les jeunes talents du pays. Il y a toutefois une exception, un tirage à pile ou face entre les deux équipes avec les moins bons résultats. Suns ou Bucks, le destin se chargera de la décision.

Surtout que cette année-là, Lew Alcindor, pivot de 21 ans, martyrise la ligue universitaire avec UCLA. Quelques semaines avant la draft, l’équation est on ne peut plus claire : Alcindor, athlète générationnel au potentiel illimité, est de très loin le meilleur prospect, et peut-être même l’un des futurs plus grands de tous les temps. Pour deux franchises vieilles de moins d’un an, l’enjeu est gigantesque.

The Suns lost Kareem Abdul-Jabbar to Milwaukee with a coin flip in 1969 deciding the No. 1 overall pick.

52 years later, Phoenix and Milwaukee meet in the NBA Finals. pic.twitter.com/gWX0RieGs0

— Evan Sidery (@esidery) July 4, 2021

Le 19 mars 1969, c’est depuis son bureau à New York que le commissioner de la NBA, James Walter Kennedy, procède au lancer tant attendu. Les deux partis sont priés de brancher leurs téléphones sur le bon canal et d’attendre religieusement l’annonce du résultat.

Jerry Colangelo, alors nouveau General Manager des Suns, demande à Kennedy s’il peut avoir le choix du côté de la pièce, Phœnix ayant qui plus est le moins bon bilan. Les Bucks n’ont rien à redire et le commissioner accepte. Afin de faire participer les fans, Colangelo a réalisé un sondage en amont, selon lequel 51,2 % des répondants auraient choisi “face”. La messe est dite.

Le commissioner commence les festivités, la pièce s’envole, et les espoirs de succès des Suns ne tardent pas à faire de même. “Pile” annonce le boss, les visages des dirigeants de l’Arizona se décomposent. Plusieurs années plus tard, le General Manager de Phœnix raconte sa version des faits :

“Visualisez, on est au téléphone. Il lance la pièce en l’air, elle tourne et redescend dans la paume de sa main sur le côté face. Elle a donc atterri sur face, mais il l’a ensuite retourné sur le revers de son autre main. Et bien sûr, c’était pile”.

Encore un peu de sel avec les larmes ? Jerry Colangelo n’en démord pas, mais c’est une “perte traumatisante” qu’il met du temps à digérer selon ses mots. À l’époque, il raconte qu’il est monté dans sa voiture pour… faire le tour de la ville pendant des heures. Il quitte la pièce pour garder la face, chacun son moyen de décompresser. Le demi-dollar restera longtemps en travers de sa gorge.

À Milwaukee, c’est pile ce qu’il fallait pour passer de petite franchise naissante à une des meilleures équipes de la ligue. Dès le premier match du jeune Lew Alcindor – un petit 29 points, 12 rebonds et 6 passes en détente – les commentateurs parlent d’une “nouvelle ère” pour la NBA.

Le pivot livre une saison fantastique et s’accorde le trophée de Rookie de l’année, une place dans les deuxièmes équipes All-NBA et All-Défense, et même un top 3 au classement MVP. Les Bucks ont même le deuxième meilleur bilan. Rien que ça.

Kareem’s legendary @NBA debut:

29 PTS | 12 REB | 6 AST pic.twitter.com/a54Cd9JsG5

— Milwaukee Bucks (@Bucks) March 24, 2020

Alcindor sera élu MVP dès la saison suivante, et ne se gênera pas pour lâcher 48 points en déplacement à Phœnix le 16 mars 1971, presque deux ans tout pile après le lancer. Sans rancune Jerry.

Dans la foulée, et grâce à l’arrivée d’Oscar Robertson en 1970-71, Milwaukee s’offre le premier titre de son histoire, seulement trois saisons après la création de la franchise. Alcindor est l’artisan majeur de ce succès, et hissera de nouveau les siens en Finales NBA en 1973-74, défait cette fois-ci en sept matchs face aux Celtics.

La suite, on la connaît : Lew Alcindor devient Kareem Abdul-Jabbar et file du côté des Lakers, où il s’adjuge le titre de meilleur marqueur de l’histoire de la ligue (38 387 points) en 1984. Pendant près de 40 ans, ce record considéré comme imbattable a cimenté la légende du natif de New York.

Et les Suns dans tout ça ? Quid du second choix à la draft 1969 ? Jerry Colangelo maintient qu’ils avaient besoin d’un pivot dans tous les cas, et fait le choix de Neal Walk et ses 2 mètres 08. Walk marche plutôt bien dans l’Arizona, mais on est loin d’un All-Star, encore moins d’un MVP.

The first pick in the 1969 NBA draft came down to a coin flip between the Milwaukee Bucks and the Phoenix Suns. The Bucks won and selected Lew Alcindor. The Suns were left with a hairy man named Neal Walk. pic.twitter.com/IQyghbQ1P0

— Paul Knepper (@paulieknep) July 2, 2022

Il dispute plus de 400 matchs avec la franchise et devient le pionnier des matchs en 15 points – 10 rebonds chez les Suns, un peu un Deandre Ayton avant l’heure. Son plus beau palmarès reste peut-être sa merveilleuse moustache, qu’il fait évoluer en barbe touffue quelques années plus tard. Si Neal peut concurrencer le KAJ sur un point, c’est peut-être les poils. Pas sûr que ça console les fans de Phœnix.

Le deuxième célèbre pile ou face de l’histoire de la ligue interviendra en 1984, quand les Houston Rockets ont la faveur des dieux des pièces et sélectionnent Hakeem Olajuwon. Entre lui et Abdul Jabbar, deux grands pivots légendaires, et deux destins joués à 50/50. 

Source texte : Milwaukee Journal Sentinel, Sports Illustrated