Black History Month : Craig Hodges, le shooteur fou blacklisté par la NBA

Le 24 févr. 2023 à 10:40 par Nicolas Meichel

TrashTalk Black History Month Craig Hodges
Source image : AAIHS, montage Léonce MVP

Entre la deuxième partie des années 1980 et le début des années 1990, l’arrière Craig Hodges était l’un des shooteurs à 3-points les plus redoutables de la NBA, ce qui lui a notamment permis de se faire une petite place au sein des Chicago Bulls de Michael Jordan et de remporter deux titres de champion. Mais sa carrière s’est arrêtée prématurément – à seulement 31 ans – alors même que son activisme sur les questions de racisme grandissait. Story.

Nous sommes le 20 février 1993 au Delta Center de Salt Lake City, où se déroule le concours à 3-points du All-Star Weekend. Parmi les participants, un dénommé Craig Hodges, triple tenant du titre. Il porte un simple maillot blanc, avec des touches de rouge et de bleu, ainsi que le logo de la NBA sur le devant du jersey. Pourquoi n’a-t-il pas le maillot d’une équipe NBA sur ses épaules comme l’ensemble de ses concurrents ? Tout simplement parce qu’il n’en a plus d’équipe, lui qui est alors agent libre après avoir été coupé par les Chicago Bulls au terme de la saison 1992.

“Il était au bout, il défendait comme un plot et tout le monde en était conscient.”

Voilà la version d’un membre des Bulls de l’époque pour expliquer la décision de la franchise de se séparer du sniper, et le fait qu’il n’ait pas retrouvé d’équipe derrière. La version de Craig Hodges ? Elle est bien différente.

“Les propriétaires et les dirigeants des 29 franchises NBA ont participé en tant que “co-conspirateurs” pour me blacklister, à cause de ma tendance à m’exprimer sans retenue sur des sujets politiques en tant qu’homme afro-américain.”

C’est mot pour mot ce qui est écrit dans la plainte déposée par Craig Hodges à l’encontre de la Grande Ligue quelques années plus tard, en 1996. Quatre ans après son dernier match, l’ancien arrière n’a alors plus aucune chance d’intégrer la NBA mais veut mettre la lumière sur les vraies raisons qui – selon lui – l’ont poussé vers la sortie.

Influencé par le côté activiste de sa mère qui travaillait pour une organisation des droits civiques à Chicago durant son enfance, Craig Hodges a hérité d’une véritable conscience politique. Et ce n’est pas la NBA des années 1980-90, en plein essor sur le plan médiatique mais beaucoup plus silencieuse qu’aujourd’hui sur les questions de racisme et de discrimination envers les Afro-Américains, qui va calmer cette conscience. Au contraire, Hodges veut profiter de son statut de joueur de basket professionnel pour sensibiliser ses pairs, la Ligue et même le Président des États-Unis.

En octobre 1991, quelques mois après le premier titre remporté par les Bulls de Jordan, Craig Hodges est à la Maison Blanche avec ses coéquipiers. Mais alors que ces derniers sont tous en costard-cravate pour saluer le Président George H. W. Bush, lui débarque en portant un dashiki de couleur blanche pour attirer l’attention sur son héritage africain. Difficile de le rater. Mais Craig ne s’arrête pas là. Il profite aussi de l’occasion pour donner une lettre au POTUS dans laquelle il souligne les inégalités et le climat de violence touchant la communauté afro-américaine.

Cette action est dans la continuité de celle que Craig Hodges a entreprise quelques mois plus tôt, juste avant le début des Finales NBA entre les Chicago Bulls et les Los Angeles Lakers. Nous sommes alors en juin 1991, et l’affaire Rodney King – l’Afro-Américain roué de coups par la police à L.A. en mars de cette même année – est encore fraîche dans les esprits. Hodges veut alors pousser son coéquipier Michael Jordan et la superstar des Lakers Magic Johnson à boycotter le Game 1 de la série. Sans succès.

“Je connaissais la réponse avant même de leur demander. Mais ce qui est drôle selon moi, c’est la vitesse à laquelle ils ont écarté cette possibilité. Chaque conversation a duré moins de deux minutes. Le jour précédant le premier match, je lui en ai parlé et il m’a dit que c’était “trop extrême”. J’en ai parlé à Mike dans le vestiaire, et il a dit, ‘mec, c’est de la folie’.”

– Craig Hodges

Après ces deux épisodes, et des critiques envoyées à Jordan himself en pleine Finale 1992 pour son silence sur les questions sociales, Craig Hodges verra donc sa carrière NBA s’arrêter brutalement. Sa plainte déposée en 1996 contre la Ligue sera quant à elle classée sans suite, celle-ci étant considérée comme hors-délai par un juge.

Néanmoins, trois décennies plus tard, suite aux affaires George Floyd et Jacob Blake qui ont provoqué un grand mouvement de protestation dans l’univers NBA et même un boycott inédit dans la bulle d’Orlando en 2020, les actions de Craig Hodges sont revenues sur le devant de la scène. En étant cette fois-ci beaucoup plus saluées qu’au début des années 1990.

L’ancien arrière des Bulls était tout simplement un peu trop en avance sur son temps, et c’est spécifiquement pour ça qu’on peut aujourd’hui le considérer comme l’un des précurseurs en matière d’engagement social chez les joueurs NBA. Certes, sa carrière s’est arrêtée plus tôt que prévu, mais on n’a aucun doute sur le fait que Craig Hodges aurait fait pareil même s’il avait eu conscience des conséquences sur sa place dans la Grande Ligue.