Black History Month : Spencer Haywood, le combat d’une vie pour ouvrir à tous les portes de la NBA

Le 23 févr. 2023 à 18:05 par Nicolas Vrignaud

TrashTalk Black History Month Spencer Haywood
Source : Léonce MVP

Star universitaire puis des Rockets de Denver en American Basketball Association (ABA), Spencer Haywood a surtout marqué l’histoire de la NBA en emmenant la ligue devant la Cour Suprême. Pour sa mère, mais aussi pour permettre aux jeunes basketteurs vivant dans la pauvreté d’aider au mieux leurs familles. Une porte ouverte pour plusieurs générations après lui. 

Ouvrir le chemin pour plusieurs générations de joueurs, voilà ce que Spencer Haywood a fait durant sa carrière. Pour bien comprendre comment un joueur a réussi à provoquer de tels changements dans la politique de la NBA, un peu d’histoire s’impose. Allez, posez vous avec un bon café.

Spencer Haywood nait le 22 avril 1949 au coeur du Mississippi, à Silver City. Issu d’une famille de dix enfants, son enfance est très, très loin de celle qu’on se fait du rêve américain de l’après guerre. Ses parents travaillent comme métayers dans une plantation de coton, c’est à dire qu’ils cultivent la terre d’un propriétaire qui leur cède en échange une partie des récoltes obtenues. Coton, Mississippi, deux termes associés qui rappellent une époque très sombre. Vous l’aurez compris, les jeunes années de Spencer sont très compliquées.

Pour autant, le garçon fait preuve d’un talent indéniable dans une discipline sportive : le basketball. Grand garçon, le poste de pivot semble dessiné pour lui. En 1964, alors âgé de 15 ans, il déménage à Detroit, où il rejoint la Pershing High School et mène l’équipe de basket du bahut au titre de meilleure équipe du Michigan. Remarqué, il file ensuite à Trinidad State, une université dans le Colorado. 28,2 points et 22,1 rebonds de moyenne pour sa première année à la fac, ça fait parler. Il est donc sélectionné par Team USA pour participer aux Jeux Olympiques de Mexico en 1968.

Meilleur scoreur, il illumine la sélection américaine qui remporte le titre cette année là. Ni une ni deux, il change d’université et retourne à Detroit pour se frotter au gratin du basket universitaire. Meilleur rebondeur de NCAA avec 21,5 prises par match et énorme attaquant – 32,1 points par match – c’est officiel pour les derniers sceptiques : ce gamin a quelque chose en plus. Oui mais voilà, la NCAA c’est bien, mais Spencer a fait le tour : il s’agit maintenant pour lui mettre son talent au service d’une équipe professionnelle. Et vous vous en doutez, c’est là le début des problèmes.

La NBA n’autorise les joueurs à rejoindre la compétition qu’après avoir été diplômé à l’université, ce qui veut dire qu’Haywood devait encore moisir deux ans sur les bancs de la fac avant de finalement rejoindre la compétition. Avec deux parents qui gagnent en tout et pour tout 2 dollars par jour en se détruisant la santé, le choix est vite fait : direction l’American Basketball Association, grande rivale de la NBA d’alors. L’ABA propose en effet une exception a cette règle, nommée hardship exception. Cela consiste à autoriser les joueurs en difficulté financière notable à rejoindre la ligue avant l’obtention d’un diplôme.

1,9 million de dollars pour six ans avec les Rockets de Denver – ancêtres des Nuggets – et le tour est joué. Quand votre famille trime autant, on signe sans réfléchir. Et cette première saison pro va montrer le niveau de domination d’Haywood. Rookie, il envoie 30 points et 19,5 rebonds par match, meilleur scoreur et rebondeur de la ligue. Il finit donc à la fois rookie de l’année et MVP de la saison 1969-70, malgré une défaite en Playoffs face aux Stars de Los Angeles.

Avec un tel talent, Spencer Haywood souhaite donc renégocier son contrat. Sauf qu’il fallait lire les petites lignes écrites en police 3 en bas de la page. L’accord stipule que 1,5 millions de dollars – sur les 1,9 au total – lui seront versés… après ses quarante ans, et étalés sur deux décennies via des versements réguliers. Insupportable pour le joueur, qui claque la porte. La magouille, connue sous le nom de Dolgoff Plan – du nom de son créateur, Ralph Dolgoff. L’idée ? Faire signer des jeunes un peu trop pressés et naïfs en leur faisant tourner la tête avec des montants très importants, sans qu’ils ne s’aperçoivent que la quasi totalité de leur revenu ne leur sera versé qu’à très long terme.

Haywood s’engage l’année d’après avec les SuperSonics de Seattle, en NBA cette fois. Eh mais attendez m’sieur, ça marche pas comme ça. La NBA ne possède pas d’hardship exception comme sa rivale. De fait, Spencer est hors la loi et ne peut théoriquement pas jouer. Ce qu’il fera quand même, sous les sobriquets d’une foule très opposée à cela. Un speaker lui fera même le joli cadeau d’indiquer à l’ensemble de l’audience “qu’un joueur illégal est sur le terrain”. Une fois, il devra carrément être évacué face à la véhémence du public. La ligue est bien sûr au fait de ce qu’il se passe, et menace d’invalider le contrat tout en mettant une bonne flopée de sanction dans la tronche de Seattle.

C’en est trop pour le joueur, qui ne souhaite que pratiquer son basket en étant tranquille. Pendant que les Rockets parviennent à casser purement et simplement son ancien deal par vengeance, Spencer Haywood prépare un recours en justice contre la NBA : le début du dossier Haywood v. National Basketball Association. Soutenu par le proprio des Sonics de l’époque, Sam Schulman, il saisit un tribunal de Californie en déclarant que l’empêcher de jouer en NBA serait une violation du Sherman Antitrust Act de 1890 qui – pour vous la faire courte – évoque les règles de compétition au sein d’un marché et met en place les fondements du droit à la concurrence dans le commerce.

La juridiction californienne statue en faveur d’Haywood et l’autorise à jouer, mais la NBA proteste. Le Ninth Circuit Court of Appeals est saisi, il s’agit de la juridiction faisant autorité sur l’ensemble de l’Ouest américain. En réponse, Spencer et Schulman saisissent la Cour Suprême, la plus haute autorité juridique des États-Unis, pour régler définitivement le problème. En attendant la décision, il est autorisé à jouer et continue de subir la haine dans de nombreuses salles de basket.

Finalement, les juges décident que la plainte d’Haywood est valable. Épilogue heureux pour le joueur, mais surtout révolution à venir pour la NBA. Un accord est trouvé très rapidement entre les deux parties pour que Spencer soit autorisé à jouer légalement. Dans la foulée, la ligue modifie aussi ses règles et instaure une hardship exception : les joueurs en difficulté financière ou scolaire auront désormais le droit de rejoindre la ligue sans passer par la case université. Le chemin est désormais ouvert pour énormément de futurs grands. Moses Malone, Kobe Bryant… mais également LeBron James n’en sont que des exemples.

La suite de la carrière d’Haywood sera marquée par deux sélections dans la All-NBA First Team, en 1972 et 1973, ainsi que quatre sélections au All-Star Game. Il sera sacré champion NBA en 1980 avec les Lakers, mais ne participera à aucun match des Playoffs, étant suspendu pour une addiction à la cocaine qui le fera s’endormir en plein entraînement. Pour son engagement et sa détermination à faire bouger les cases d’une ligue encore très ancrées dans ses principes, Haywood sera introduit en 2015 au Hall of Fame. 8 ans après que les Sonics aient retiré son maillot.

Une carrière marquée par un combat : celui de faire la NBA un rêve accessible pour tous. Si Spencer Haywood déclarera plus tard qu’il n’a fait ça “que pour sa mère”, les avancées obtenues suite à son engagement ont elles marqué durablement le futur d’une ligue alors au bord de la destruction. 

Sources : USA Government, ESPN, The Athletic, Sports Illustrated