Chicago Studebaker Flyers vs Toledo Jim White Chevrolets : un match pour l’histoire passé inaperçu
Le 11 déc. 2022 à 11:05 par David Carroz
11 décembre 1942. Le train emprunté par les Toledo Jim White Chevrolets arrive avec deux heures de retard en gare de Chicago. Un peu plus tard dans la journée, les joueurs seront en tenue pour se frotter à la franchise du coin, les Chicago Studebaker Flyers. Une rencontre de National Basketball League qui peut sembler anodine et qui ne fera pas les gros titres. Pourtant elle marque une étape importante du basketball aux États-Unis. En particulier pour les ballers afro-américains. En effet, pour la première fois de l’histoire, deux équipes intégrées vont s’affronter au sein d’une ligue professionnelle de panier-ballon.
Rendez-vous à Chicago pour Toledo
La saison a commencé depuis quelques jours et pour pallier le manque de joueurs à cause de la Seconde Guerre mondiale, les deux franchises n’ont pas eu d’autre choix que de s’ouvrir. Alors qu’à l’époque, les seules opportunités pour les basketteurs afro-américains sont de partir en tournée avec des groupes comme les New York Rens ou les Harlem Globetrotters, deux franchises de NBL ont fait tomber la barrière raciale. Il s’agit des Toledo Jim White Chevrolets et des Chicago Studebaker Flyers.
Drôle de coïncidence, alors que l’équipe de Toledo se déplace à Chicago pour cette confrontation, les deux Black Fives des Rens et Trotters sont de sortis également, à moins de 150 kilomètres de là. Pour leur part, ils vont se frotter à deux autres pensionnaires de la NBL. En effet, Milwaukee accueille un doubleheader avec une rencontre entre les Oshkosh All-Stars et les Harlem Globetrotters. Suivi d’un match entre les Sheboygan Redskins et les New York Renaissance. Est-ce pour cela que le match, pourtant ô combien important pour l’histoire, opposant les Flyers aux Chevrolets passe finalement complètement inaperçu ?
Médiatisation ? Zéro
Certes, un petit résumé ou une pseudo boxscore apparaît bien au sein des quelques journaux couvrant la NBL. Mais rien sur la portée de la rencontre. Du côté de Toledo, aucun papier dans la presse. Guère mieux à Chicago. Malgré une preview dans le Chicago Daily Tribune ou un récap dans le Chicago Herald American, que dalle. Même dans le Chicago Defender, pourtant journal afro-américain de la ville, aucune trace de la première fois où deux équipes intégrées s’affrontent au sein d’une ligue professionnelle. Une faible couverture médiatique qui résume bien l’état du basketball à l’époque. Il peine à faire son trou parmi les autres sports. Baseball, football américain, boxe et athlétisme ont bien plus la cote.
Retour donc à ce 11 décembre 1942. Un vendredi comme un autre en apparence dans l’Illinois. Sauf pour les personnes présentes au Cicero Stadium, enceinte de six mille places qui abrite les Studebaker Flyers. Car les péquins en tribune vont voir pas moins de dix Afro-américains fouler le parquet. Dans un quartier où normalement ils n’ont même pas le droit de mettre les pieds. Bill Jones, Casey Jones, Al Price et Shannie Barnett pour les visiteurs. Tony Peyton, Duke Cumberland, Bernie Price, Sonny Boswell, Roosie Hudson et Hillery Brown pour les locaux. À noter que Al et Bernie Price, adversaires du soir, sont frères. C’est d’ailleurs l’aîné Bernard qui termine meilleur scoreur de la rencontre, avec 10 unités au compteur. Alors on ne va pas vous faire le détail du match. D’une part parce que même si cela va vous surprendre, on n’a pas réussi à le mater. De l’autre parce que l’essentiel dépasse le cadre d’un récap d’un tel affrontement. Mais sachez pour votre culture qu’au final les Chicago Studebaker Flyers se sont imposés 42 à 30.
Avant tout le monde, dans l’indifférence
Un troisième succès consécutif pour eux, un deuxième revers d’affilée pour Toledo. À l’image de ces dynamiques opposées, les deux franchises vont désormais emprunter des chemins eux aussi pleins de contraste. Après deux nouveaux revers, les Toledo Jim White Chevrolets stoppent les frais et se retirent de la NBL. Les Chicago Studebaker Flyers voient leur popularité croître au sein de la Windy City, au point de migrer dans une enceinte plus grande et atteindre les demi-finales de la compétition. Avant de rejoindre leurs rivaux de cette soirée de mi-décembre en fin de saison. À savoir, eux aussi mettent la clef sous la porte.
Si bien que moins douze mois après cette date historique, plus aucun acteur n’est en NBL. Les deux franchises pionnières ont disparu. Aucune autre n’a pris le relais de l’intégration. L’événement, pourtant si fort, passe inaperçu et ne laisse presque aucune trace. Cinq ans avant le premier match de Jackie Robinson en Major League Baseball, une ligue professionnelle d’un sport collectif joue les pionniers. NFL ? Ségréguée. MLB ? Ségréguée. Et jusqu’à ce début de saison, la NBL suivait le même chemin. Mais bon, tout le monde s’en tape du basketball. Pire, la NBA – qui est pourtant le résultat de la fusion entre la NBL et sa rivale la BAA en 1949 – a purement et simplement effacé le chapitre de ses origines du côté de la NBL. D’autant plus ces pionniers et ce match. Oui, la Ligue qui se veut la plus progressiste et ouverte du monde a encore aujourd’hui du mal avec son propre passé.
Les successeurs attendront
Le silence et l’oubli autour de ce match illustrent deux choses. Tout d’abord qu’au sein de la NBL, l’intégration est discrète. Elle se fait dans le calme, par nécessité. Sans aucune volonté de porter un message politique ou social. La ligue a besoin de ballers, et les plus doués qui restent encore sur le marché à cause de la guerre sont des Afro-américains. Donc on les engage sans aucune arrière-pensée. Et le hasard du calendrier a voulu que cette rencontre puisse se dérouler, quelques jours avant que les Toledo Chevrolets ne mettent quittent la ligue. Ensuite, on se rend compte que cette avancée est un peu un one shot. Si à l’avenir, d’autres Afro-américains fouleront les parquets de la NBL au gré des besoins, aucune vague d’intégration n’est à relever jusqu’à la fusion avec la BAA. D’ailleurs entre 1942 et 1946, Wee Willie Smith est bien isolé lorsqu’il effectue une pige de quelques matchs pour laisser la porte entrouverte pour sa communauté, en fin de saison 1943.
Mais pour voir dix Afro-américains s’affronter de nouveau sur le même parquet d’une ligue professionnelle, il faudra attendre. La NBA qui naît en 1949 ne s’intègre qu’en 1950. Et seuls trois joueurs de cette communauté sont de la partie, un nombre qui va augmenter doucement pour dépasser la dizaine symbolique en 1955. Soit treize ans après cette rencontre entre les Chicago Studebaker Flyers et les Toledo Jom White Chevrolets.
Source : They Cleared The Lane de Ron Thomas et Breaking Barriers de Douglas Stark