Les Bulls ont mal à leur attaque : Tom Thibodeau a-t-il atteint les limites du supportable ?
Le 13 mars 2015 à 19:14 par David Carroz
En début de saison, nous évoquions déjà la question : avec un effectif aussi fourni que celui de cette année, Tom Thibodeau allait-il s’inscrire parmi les vrais grands coaches, ceux qui mènent leur franchise jusqu’au titre suprême ? Alors que les Playoffs se rapprochent, faisons un premier point sur ce que le stratège chicagoan a apporté comme réponse jusqu’à présent. Est-il toujours l’homme de la situation pour les Bulls ?
Depuis son arrivée dans l’Illinois en 2010, remporter des matches est devenu une routine pour la franchise de “Windy City”. Meilleur bilan de la Ligue en 2011 et en 2012, avec une finale de Conférence lors de la première saison de l’ère Thibs, personne ne peut nier que Tom Thibodeau a transformé les Bulls qui étaient avant cela une simple équipe capable de se qualifier en Playoffs en 7ème ou 8ème position. Rien d’effrayant. Et même lorsqu’il a dû composer sans Derrick Rose deux saisons durant, le coach a su tirer le meilleur des joueurs de son roster pour faire de chaque rencontre une véritable bataille pour les équipes adverses, Chicago terminant ces exercices avec des bilans positifs.
Sous ses ordres, des joueurs comme Derrick Rose, Joakim Noah ou encore Jimmy Butler ont atteint des niveaux qu’on n’attendait pas forcément d’eux. Le premier a été élu MVP dès la prise en main des Bulls par Tom Thibodeau, le second est devenu l’un des tous meilleurs défenseurs de la Ligue et Jimmy Butler profite pleinement du temps de jeu que son coach lui accorde. Donc tout ne repose pas que sur le bilan chiffré du boss des Bulls, mais aussi de sa capacité à faire progresser ses hommes.
Enfin, plus que tout, Tom Thibodeau a ramené la basket chicagoan aux Bulls. Après les années fastes de Michael Jordan, Scottie Pippen, Phil Jackson & co, la franchise de l’Illinois avait touché le fond. Il a fallu des années pour revoir les Playoffs, et même lorsque la post-season pointait le bout de son nez, les fans du United Center ne se faisaient pas d’illusion et ne rêvaient pas de longs séjours dans la cour des grands. Tout cela a changé depuis que Thibs est à la tête de cette équipe.
Pourtant, le coach n’est toujours pas en terrain conquis dans les couloirs du Berto Center. Ses relations tendues avec le front office, en particulier avec Gar Forman le GM, ne sont pas que des rumeurs et ses jours pourraient être comptés dans l’Illinois. Depuis le début de la saison, toutes les parties répètent à l’envie le même refrain “Tout le monde tire dans le même sens, et le but est de gagner.” Mais alors que les Bulls n’incarnent toujours pas aujourd’hui l’ogre tant espéré depuis l’été précédent, les questions sur l’avenir de Tom Thibodeau vont revenir, et un bon parcours en Playoffs ne le sauverait pas forcément. Car en dehors de cette mésentente, ses méthodes ont peut-être atteint leurs limites et ne permettent pas d’exprimer pleinement le potentiel de cet effectif talentueux.
Bien sûr, les Bulls connaissent cette saison encore leur lot d’infortunes avec les blessures des joueurs cadres. Au moment de ces lignes, seuls Aaron Brooks et Nikola Mirotic ont pris part aux 66 rencontres disputées par la franchise. Jimmy Butler, Derrick Rose et Taj Gibson – encore blessés aujourd’hui – en ont manqué respectivement 11, 20 et 17. Joakim Noah retrouve seulement depuis peu le rythme après son opération du genou l’été dernier (il a même raté le dernier match car il ressentait une douleur à cette articulation) alors que Kirk Hinrich (12 rencontres manquées), Mike Dunleavy (19) et Doug McDermott (seulement 29 apparitions) ont aussi gouté aux joies de l’infirmerie. Avec de tels soucis, la marge de manœuvre est plus que fine et Chicago patine.
Si Tom Thibodeau n’est pas responsable de l’hécatombe au sein de l’effectif, on ne peut pas pour autant dire qu’il est exempt de tout reproche. En effet, si sa gestion des cas Derrick Rose et Joakim Noah (31 minutes pour le meneur, 30,9 pour le pivot) a montré un certain assouplissement et une meilleure compréhension de la santé de ses joueurs, la sur-utilisation d’un Pau Gasol plus tout jeune (34,7 minutes par match à bientôt 35 ans), alors que Mirotic ou Gibson peuvent prétendre à des minutes, peut soulever quelques questions. Même si pour ce dernier, Thibs a bien tiré sur la corde en le faisant jouer malgré des chevilles flinguées. Résultat, sur le flanc actuellement. Et que dire de Jimmy Butler, plus gros temps de jeu moyen de la Ligue avec 38,9 minutes par rencontre, et qui est aujourd’hui sur le carreau ? Pendant qu’il courrait ses marathons tous les soirs, Tony Snell prenait racine sur le banc. C’est seulement suite aux blessures de Mike Dunleavy et donc de Jimmy “Buckets” que le sophomore a gagné du temps de jeu, du rab qu’il a exploité afin de prouver qu’il avait un véritable rôle à jouer dans l’équipe.
C’est pour cela qu’aujourd’hui, alors que les Bulls devraient lancer leur sprint final vers les Playoffs en véritable épouvantail à l’instar des Spurs ou des Cavs, Chicago tousse. La défense n’est toujours pas revenue et, avec les blessures des uns et des autres, l’attaque ne retrouve pas son rendement de début de saison. Pas étonnant puisque ses deux meilleurs contributeurs – Jimmy Butler, 20,2 points et Derrick Rose, 18,4 points – sont absents. Mais ce qui est plus gênant encore, c’est que la circulation de balle et la fluidité sont complètement chaotiques, ou du moins d’une faible qualité. Cela n’est pas récent, mais le talent offensif des uns et des autres (Gasol, Butler et Rose en premier lieu) avait masqué ces lacunes. A l’heure actuelle, en plus des carences individuelles liées aux rendez-vous des joueurs avec l’infirmerie, c’est collectivement que l’attaque fait peur.
Pourtant, le groupe actuel se connait et en dehors de l’utilisation nouvelle de Pau Gasol, qui diffère de celle de Boozer l’an passé, les systèmes offensifs se ressemblent et devraient maintenant être assimilés par une grande partie des joueurs. En effet, en dehors donc de l’Espagnol et d’Aaron Brooks (de même que Mirotic qui joue de façon moins régulière en fonction des blessures dans le secteur intérieur), tous étaient déjà présents l’an dernier et doivent maîtriser l’attaque made in Tom Thibodeau. Malgré cela, point de progrès visible dans cette circulation de balle et dans la création. D’ailleurs, leur ratio assists/turnovers est le même que l’an dernier (1,52) et fait d’eux les 17èmes de la Ligue dans cette catégorie.
Au contraire, on peut même constater que Chicago s’appuie plus sur des solutions individuelles cette saison, avec seulement 59% des paniers marqués après une passe décisive (treizièmes de la Ligue) contre 65,4% en 2014 (second). De la même façon, alors qu’ils étaient sixièmes en nombre de passes pour 100 possessions (avec 24,1 assists/100 possessions), ils ont régressé de presque 2 assists (22,1) pour se situer dorénavant en milieu de peloton (14èmes). Si le retour de Rose et l’arrivée de Gasol ont gonflé l’attaque des Bulls, cela n’a pas amélioré la fluidité du jeu offensif chicagoan, bien au contraire. Aujourd’hui, difficile de trouver un véritable liant de ce côté du parquet malgré un nombre de points marqués plus important. Ce liant qui devrait permettre à ce moment de la saison de se passer plus facilement de joueurs, ou du moins de continuer d’afficher une cohérence dans les choix offensifs, construite depuis la fin octobre, voire plus.
À l’inverse, sans véritable solution pour organiser le jeu à cause des blessures, Tom Thibodeau est revenu à des systèmes de l’an dernier avec Joakim Noah en point de fixation dans la raquette. Sauf que sur les derniers matches, cette stratégie est poussée à la caricature avec un Jooks qui va jusqu’à remonter le terrain en dribble à de nombreuses occasions, en particulier quand Aaron Brooks est sur le banc. Alors oui, le Français Américain Suédois Camerounais citoyen du monde est un excellent passeur pour son poste et dispose d’une très bonne vision du jeu. Mais à trop jouer en tête de raquette derrière la ligne des 3-points, il perd en influence et n’est pas présent dans la peinture adverse pour prendre des rebonds offensifs, laissant Pau Gasol seul pour lutter face aux intérieurs adverses. Ce qui devrait être une force – la qualité de passe de la doublette Noah-Gasol – n’apporte finalement que peu de diversité aux attaques des pensionnaires du United Center. Si Joakim Noah a élevé ses stats depuis l’absence de Rose (7,8 passes sur 8 matches contre 4,4 sur l’ensemble de la saison), les résultats ne suivent pas. Et ce ne sont pas ses passes main-à-main suivies d’un écran pour un shoot à 3 de Dunleavy, Brooks, Snell ou Hinrich (les systèmes offensifs numéro 1, 2, 3 et 4 de l’attaque des Bulls actuellement) qui créent véritablement du jeu. Non, c‘est lorsqu’il est un passeur supplémentaire (à l’instar de Gasol) qui fait vivre le ballon depuis le poste haut ou le poste bas qu’il apporte une vraie plus-value à la circulation de balle des Bulls.
Surtout que dans son rôle actuel, il garde le ballon de longues secondes en attendant de trouver une solution, ralentissant le jeu et limitant les possibilités ensuite. Il est fréquent que la balle quitte ses mains alors qu’il reste moins de 11 secondes à jouer, laissant peu de place pour créer des situations. Il faut dire que le mouvement n’est pas le fort de l’attaque des Bulls, et le positionnement de Jooks derrière l’arc, lorsqu’il lui arrive de mener le jeu des siens, réduit d’autant plus le spacing, à savoir l’espacement des différents joueurs sur le parquet. En effet, seul Pau Gasol (ou Mirotic lorsqu’il est sur le terrain) se positionne à l’intérieur et les autres acteurs sont arrêtés, l’un d’eux se trouvant à moins d’un mètre de Noah. Ce n’est pas compliqué alors pour la défense adverse d’être en place.
Ainsi, alors que les Bulls disposent d’un large éventail d’armes offensives aux profils différents, aucune d’elle ne se trouve régulièrement en position préférentielle pour prendre ses tirs. Si aucun joueur ne rentre plus de 50% de ses shoots (Pau Gasol est le plus adroit avec 49,3%), est-ce seulement par maladresse ? Non, c’est que le nombre de tirs faciles ou libres n’est pas assez élevé. Alors que lorsque Kyle Korver bénéficiait de nombreux écrans pour se retrouver libre lorsqu’il jouait sous le maillot des Bulls, Mike Dunleavy, Aaron Brooks ou encore Tony Snell n’ont pas ce luxe, ou de manière moins fréquente. Au lieu de cela, et malgré une assez bonne réussite de loin pour eux (41,4% pour Mike, 40,3% pour Aaron, 39,9% pour Tony), ils doivent conclure de nombreuses possessions sans être dans un fauteuil pour shooter.
Car c’est aussi cela le souci des Bulls : pousser leurs attaques jusqu’au bout de l’horloge ou presque. En soi, ce n’est pas un problème s’il y a de la création et du mouvement, avec des tentatives de pénétration, des balles ressorties et une agression de la défense adverse. Mais à Chicago, si on va au bout des 24 secondes, c’est parce que la balle ne tourne pas assez ou pas assez vite. Derrick Rose parvient à apporter du dynamisme grâce à son style de jeu, libérant des espaces pour les autres, Jimmy Butler éventuellement aussi (même s’il est un moins bon passeur), mais il faut que leurs coéquipiers ne restent pas passifs à simplement attendre la balle sans bouger. Lorsqu’on regarde un match des Bulls, on a parfois l’impression qu’ils ont pour consigne de ne pas pouvoir être deux joueurs en mouvement en même temps en attaque et que chacun est juste dans un rôle fixe et sans imagination.
Alors forcément, après la démonstration de jeudi soir entre Spurs et Cavaliers, on a du mal à comprendre comment Chicago ne fasse pas mieux et surtout que les Bulls n’aient pas progressé. Bien entendu, la fluidité du jeu de San Antonio est un travail de longue haleine construit sur la continuité. Mais l’effectif de Cleveland a connu de nombreuses modifications et est définitif que depuis janvier (février si on prend en compte Perkins dont le rôle est loin d’être prépondérant). Pourtant, David Blatt et son staff ont modelé un vrai visage offensif à cet équipe, avec du mouvement et une meilleure circulation de balle. D’où les questions légitimes sur la capacité de Tom Thibodeau à faire jouer ses hommes en attaque…
Ce qui est surprenant, c’est que Thibs peut très bien dessiner d’excellents schémas offensifs après les temps morts pour libérer un shooteur ou même un intérieur avec du mouvement et des écrans. Dans ce cas-là, de bonnes opportunités se présentent. Mais sur le cours du match, on ne voit que trop peu de ces situations qui devraient être travaillées et maitrisées à ce moment de la saison. Ce n’est pas le cas, et la responsabilité repose sur les épaules de Tom Thibodeau – et son staff – bien plus que sur les absences pour cause de blessures.
Loin de nous l’idée de dénigrer le travail de Thibs et de tout ce qu’il a accompli depuis son arrivée dans l’Illinois, mais aujourd’hui, il semble que les limites de son style soient atteintes. Pour franchir un nouveau palier, il faut une évolution sur la banc. Se débarrasser de lui ? Non, ce ne serait pas la solution, car les bases sont solides et les Bulls ne peuvent pas se permettre de tout reconstruire alors que leur fenêtre pour un titre n’est pas large.
Avec un gourou défensif comme lui, c’est un assistant expert de l’attaque et pouvant apporter de la diversité dans les systèmes offensifs qui doit être ajouté au staff. C’est évidemment trop tard pour cette saison, mais Chicago devrait encore pouvoir faire partie des outsiders pour le titre l’an prochain. De toute façon, aucun coach sur le marché n’arrive à la cheville de Tom Thibodeau, il serait donc illusoire de penser trouver mieux. L’amélioration doit se faire au sein du staff. Sauf si Gar Forman en décide autrement…
Source image : AMANN pour TrashTalk