Seattle, cette ville où le basket est une religion

Le 22 août 2014 à 14:20 par Nicolas Meichel

Nous qui vivons du mauvais côté de l’Atlantique, nous savons à quel point le basket tient une place prépondérante dans la culture américaine. Dans certaines villes, c’est un passe-temps, dans d’autres c’est une passion. Mais à Seattle, comme à Chicago, New York ou Boston, c’est encore différent. Là-bas, dans le Nord-Ouest des États-Unis, le basket est bien plus qu’un sport, c’est une religion.

Nous sommes le 18 juillet 2006, la France est touchée par la canicule, l’Indonésie est frappée par un tsunami, et les Seattle Supersonics viennent de signer leur arrêt de mort. Évidemment, on ne peut pas ranger ces différents évènements dans la même catégorie de gravité, mais dans l’esprit des Seattleites, cette date résonne également comme une catastrophe. Ce jour là, le propriétaire des Supersonics Howard Schultz, vend la franchise à un nouveau groupe d’investisseurs guidé par le businessman Clayton Bennett, natif d’Oklahoma City. Deux années plus tard, la ville de Seattle perd officiellement son équipe de basket, qui déménage à Oklahoma City pour devenir le Thunder.

seattle1Les Supersonics à Seattle, c’est comme l’OM à Marseille, c’est bien plus qu’une équipe. Avant le déménagement de 2008, ils faisaient partie du décor, du quotidien, de la vie des gens. Noirs, blancs, riches, pauvres, plus rien ne comptait quand il fallait aller voir les Supersonics à la KeyArena les soirs de matchs. Parce que le basket à Seattle avait le don de rapprocher les différentes communautés. On parle quand même d’une franchise qui a passé quatre décennies dans la cité émeraude. Crées en 1967, les Supersonics ont été la première équipe professionnelle de la ville, suivie ensuite par les Seahawks (football américain) et les Mariners (baseball) une décennie plus tard. En 41 ans d’existence, Seattle était peu à peu devenu une référence en NBA, que ce soit au niveau des performances sur le terrain, que de l’engouement en dehors. A partir de la deuxième moitié des années 1970, les Supersonics ont commencé à devenir une place forte de la ligue. En PlayOffs pour la première fois de son histoire en 1975, Seattle atteint les Finales NBA en 1978, sous l’impulsion du nouveau coach Lenny Wilkens, qui avait remplacé Bob Hopkins après un début de saison catastrophique. Malheureusement, les Supersonics s’inclineront face aux Washington Bullets lors du septième match décisif, dans leur propre salle, qui était encore le Kingdome à ce moment là (cette salle détient toujours le record d’affluence pour un match NBA, si l’on excepte le All Star Game de Dallas en 2010, avec 39 457 personnes le 30 mai 1978). Selon l’ancien journaliste du Seattle Times Steve Kelley, cette défaite avait été vécue comme une véritable tragédie à l’époque. Heureusement, ce n’était que partie remise. En 1979, Seattle remporte le premier titre de son histoire en prenant sa revanche contre Washington, en seulement cinq matchs. Les champions Dennis Johnson, Jack Sikma, Paul Silas, Gus Williams et les autres deviennent de véritables héros, et les Supersonics étaient sur le toit du monde. On était là dans la première grande époque de cette franchise. Cependant, quand on pense à cette dernière aujourd’hui, ce sont surtout les années 1990 qui viennent à l’esprit. Rappelez vous, cette décennie où Seattle était candidat au titre quasiment chaque année entre 1991 et 1998. Vous savez, cette équipe guidée par le mec avec la bouche grande ouverte, notre Papa à nous, MONSIEUR Gary Payton, accompagné de l’autre “highflyer” nommé Shawn Kemp qui martyrisait les arceaux adverses avant de devenir le Raymond Felton de l’époque ! Le tout commandé par George Karl, le seul entraineur de l’histoire à avoir été nommé “Coach Of The Year” puis viré la même année. Y’a pas à dire, ces Supersonics avaient de la gueule. Parce qu’ils étaient à la fois capables de perdre au premier tour contre Denver en 1993, et en même temps de faire douter les Chicago Bulls de Michael Jordan lors des Finales 1996. Mais avec le transfert de Kemp une année plus tard pour cause de tensions autour d’un nouveau contrat, puis celui de GP au début des années 2000, les grandes heures de la franchise étaient désormais synonymes de passé. Seattle a bien eu Ray Allen, puis l’actuel MVP Kevin Durant, mais les Supersonics étaient déjà en bout de course, et la fin était proche.

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Toute cette histoire, tout cet engouement, toutes ces émotions n’ont malheureusement pas suffi pour empêcher l’impensable. En 2008, Seattle n’avait plus son équipe de basket. La raison ? Un manque d’infrastructure. Selon un rapport de 2006, la KeyArena, salle des Supersonics, n’était plus adaptée aux normes demandées par la NBA. Capacité trop faible, manque d’espace pour accueillir les différents évènements, une rénovation et un agrandissement de 220 millions de $ étaient indispensables. Seul problème, les élus de l’État de Washington n’ont jamais voulu donner les fonds nécessaires. C’est ainsi que les Supersonics ont été vendus à Clayton Bennett, qui avait assuré à l’époque qu’il ferait tout pour garder la franchise à Seattle. Cependant, la majorité des Seattleites savait que c’était probablement le début de la fin, et que Bennett avait véritablement pour but de déménager la franchise à Oklahoma City. Ce dernier proposera tout de même un projet de salle à 500 millions de $ du côté de Renton, dans la banlieue de Seattle, mais évidemment, les élus locaux avaient refusé de prendre part au financement. A partir de là, les Supersonics se dirigeaient progressivement vers Oklahoma City, mais ce n’était pas sans résistance. L’incroyable mobilisation des fans étaient à la hauteur du soutien que ces derniers donnaient régulièrement à leur équipe, tel un vrai sixième homme. Le slogan S.O.S. “Save Our Sonics” était lancé, et de nombreuses manifestations avaient eu lieu à l’époque. Des personnages politiques comme Christine Gregoire, alors gouverneur démocrate de l’État du Washington en 2008, avait inclus les Supersonics dans sa campagne de réélection. C’est dire à quel point Seattle tenait à son équipe de basket. Malheureusement, tout cela n’aura donc pas été suffisant. Vécu comme un véritable drame local, la perte des Supersonics n’est toujours pas digérée à Seattle. Mais c’est toute la NBA qui se retrouve pénalisée, probablement sur le plan économique, mais surtout sur le plan symbolique. Seattle est une terre de basket, et les Supersonics sont devenus mythiques dans le paysage de la ligue. Leur absence constitue un vide énorme, sans oublier le fait que cette ville représente le plus gros marché du Nord-Ouest des États-Unis, avec un potentiel bien plus intéressant qu’Oklahoma City (Seattle est classé 14è en terme de marché télévisé, alors qu’Oklahoma City n’est que 45è, selon Station Index).

Si vous souhaitez en savoir plus concernant l’ensemble des détails de cette affaire, TrashTalk vous propose l’excellent documentaire “Sonicsgate – Requiem for a Team”, sorti en 2009, et qui retrace l’histoire des Supersonics, de leur création à leur disparition.

Seattle, bien plus que les Supersonics

greenlakeVous savez à quoi on reconnait une vraie ville de basket ? Elle n’a pas besoin d’une équipe professionnelle pour rester sur la carte de la balle orange. Parce que même si Seattle n’a plus d’équipe au plus haut niveau, chaque personne normalement constituée a conscience de la place que cette ville occupe dans le paysage du basket américain. De la NCAA au lycée, en passant par le mythique playground de Green Lake Park (voir ci-contre) et les ligues d’été, Seattle est sur tous les fronts.

Au niveau universitaire, les Washington Huskies sont la principale équipe de la ville. Considéré comme l’un des programmes basket les plus réputés du pays, que ce soit chez les hommes ou les femmes, UW a vu passé sur son campus de nombreux joueurs qui sont plus tard devenus professionnels. On peut citer Brandon Roy, Nate Robinson ou encore Isaiah Thomas. Mais ces trois joueurs ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Parce qu’à l’image de Chicago, Seattle est un véritable vivier de talents. Voici la liste des principaux joueurs NBA, anciens ou actuels, originaires de la cité émeraude : Brandon Roy, Jamal Crawford, Jason Terry, Nate Robinson, Spencer Hawes, Doug Christie, Aaron Brooks, Rodney Stuckey, Terrence Williams. Il y’a du beau monde hein ! On peut cependant aller encore plus loin. Seattle est également réputé au niveau High School (HS), puisque la ville possède des lycées qui sont reconnus nationalement, comme Rainier Beach, et à un degré moindre Franklin. Au cours de la saison 2002, Rainier Beach HS était même classée numéro 1 dans tout le pays, devant des équipes comme Oak Hill Academy et les St-Vincent St-Mary Irish de LeBron James. Doug Christie, Jamal Crawford, Nate Robinson et Terrence Williams sont notamment passés par Rainier Beach, alors que Jason Terry et Aaron Brooks ont quant à eux été formés à Franklin.

crawfordLe basket ne s’arrête jamais à Seattle, même quand les différentes saisons touchent à leur fin. A ce moment là, c’est la ligue d’été Seattle Pro-Am qui prend le relais. Créée en 1996 par Doug Christie, elle est aujourd’hui gérée par Jamal Crawford et son ami de lycée, Rashaad Powell. Considérée à juste titre comme l’une des ligues d’été les plus relevées du pays, elle permet aux meilleurs talents locaux de s’exprimer, tout en accueillant les plus grandes stars NBA au Royal Brougham Pavilion, la salle de l’université Seattle Pacific qui a accéléré le développement de cette ligue. Par exemple, des joueurs comme Kevin Durant, Blake Griffin, LaMarcus Aldridge, Kyrie Irving ou encore Tyreke Evans y sont passés pour jouer des matchs exhibitions. Le but est donc à la fois de promouvoir encore un peu plus le basket à Seattle, mais également de permettre à tous ces jeunes privés des Supersonics de voir des joueurs de haut niveau et des professionnels dans leur ville, en personne, et pas juste à la télévision comme ils en ont l’habitude. Car ce sont peut-être eux qui sont les plus touchés par leur absence. A l’époque, les “kids” grandissaient avec les Supersonics, aujourd’hui ils grandissent avec leur fantôme.

Qui sait, peut-être qu’un jour les Supersonics ressusciteront. Mais en attendant, Seattle ne possède pas d’équipe professionnelle de basket, et ça c’est un comble pour une ville qui respire la balle orange. Tous les joueurs NBA qui sont passés par Seattle témoignent de leur amour pour la cité émeraude. On a rien contre Milwaukee ou Minnesota, mais voir les Bucks ou les Wolves dans la plus grande ligue du monde alors que les Supersonics tournent les serviettes sur le banc, c’est comme voir Vin Baker prendre la place de Shawn Kemp dans la raquette (remember 1997 ?). Heureusement, le basket à Seattle est représenté par bien plus qu’une franchise NBA, il est ancré dans la culture de la ville, telle une religion. Et ça, personne ne pourra jamais le voler.

Source : Sonicsgate, grantland.com, sbnation.com | Source image : http://4.bp.blogspot.com


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